[Entraînement] La flèche du savoir

Toute la nuit, ou presque, Yluziah s'évertua à ramener le contenu de ses caches dans une plus grande, près de la tanière. Le travail était long, et malgré son épuisement, elle ne dormit qu'une ou deux heures.

Yluziah se leva à l'aube. Toute la forêt était envahie d'une petite brume, celle qui s'élève avec le début de la chaleur de la journée. En fendant les langues de brouillard, Yluziah laissait des zones béantes où quelques volutes tentaient de reformer la toile ténue.

La lune, cette nuit, était presque pleine. Et avec l'entrainement chez les loups, tout était synonyme de préparation à la bataille. Cela lui donna un frisson, long et puissant. Quelle horreur.

En gémissant, elle approcha d'abord de l'eau, où elle cueillit de longues tiges de prêle, puis les rapporta à la tanière. Malheureusement, la zone était complètement vide de fruits. Ce n'était pas la saison, et les boosters en vitamine C étaient quasiment inexistants. Ils feraient sans.

Au moment où elle jappa, devant la tanière, une rangée deux fois longue comme elle était étalée au sol. Des plantes, des branches, tout était là pour expliquer aux siens comment se protéger... Du moins, autant que possible.

L'arrivée d'Azarah se fit dans le chaos, mais Yluziah tint sa langue. Ce n'était pas pour ça qu'elle était là.

S'approchant des "plumeaux" végétaux, elle acquiesça avec un petit sourire, son air serein et passionné prenant place sur son visage.

- La prêle oui. On la trouve près de la Moriko principalement. Si on la mâche et la met sur une blessure, en cataplasme, c'est bon sur les plaies superficielles, ça calme le saignement. En bref : c'est vraiment un incontournable pour les plaies ouvertes.

Puisqu'Azarah était là, et qu'elle était concernée en première ligne, Yluziah lui montra les plantes, calmement.

- Là, tu as tout ce qui est bon contre les plaies. Le grand plantain, contre les hémorragies aussi, même les moyennes. On mâche, on colle sur la plaie, on immobilise le membre. On a aussi du hamamélis. Là c'est contre les bleus et anti-inflammatoire. En cataplasme aussi. On a la chance d'avoir du frêne, tu vois les branches là. Si quelqu'un a une articulation abîmée, il fera une cure.

Elle soupira en observant les deux plantes qu'elle détestait utiliser. Elle l'avait fait, une fois. Un crève-coeur.

- Ce sont deux plantes qui sont... Dans un traitement ultérieur, si il y a des complications. La grande ortie surtout. Si une plaie s'infecte.

D'un mouvement plus discret, elle montra un buisson touffu, déraciné. Yluziah détestait déraciner, mais c'était une plante trop importante pour prélever de manière sporadique.

- J'ai récupéré du nigelle sur Annalee entre la mort de Koa et l'accession du nouvel Alpha. J'aimerais qu'on évite de trop l'utiliser, je n'en ai pas beaucoup... Mais si on mâche environ une petite ramification de feuilles de nigelle... C'est anti-douleur. Ca peut aider à aller plus loin.

Yluziah plissa les yeux en entendant la description de Marrok. C'était une plante qu'elle connaissait, en revanche... Quelque chose clochait.

- Les aulnes n'ont pas de fruit, et pourtant, ce que tu me décris est un aulne rouge. Les cônes qui pendent ne viennent qu'au printemps, c'est donc bien trop tôt pour ça. Peut-être que tu as cru qu'il y avait des fruits à cause des bourgeons, dit-elle d'une voix un peu sceptique. En tout cas, l'odeur n'est pas si désagréable que ça, par rapport à d'autres plantes ici. Tu peux me croire.

Certains saules avaient de sales odeurs aussi. Certaines plantes dégageaient des effluves nauséabondes lorsqu'elles étaient coupées ou brisées. Mais au nez d'Yluziah, le pire étaient les champignons.

- Quant à l'utilisation, c'est si tu manges ou touches quelque chose de toxique. Par exemple, si tu touches, tu mâches de l'aulne et tu le poses sur la zone pendant un petit moment. Si tu manges quelques brins d'une plante dangereuse, manger de l'aulne rouge peut te permettre de t'en tirer seulement avec un ou deux jours d'indigestion. Au lieu de mourir.

C'est sûr que le choix était vite fait.

Azarah hochait pensivement la tête tout en écoutant les explications de son amie grise. La louve n'avait jamais, jusqu'à maintenant, réellement saisi l'ampleur et l'importance de la tâche de guérisseur. Grâce à cet enseignement, elle comprenait mieux les responsabilités pesant sur la louve. Cela la lui fit regarder d'un oeil nouveau, plus scrutateur, la guérisseuse.

En enseignant les usages des plantes, ce qui visiblement la passionait, elle paraissait... plus sûre d'elle. Moins timide, réservée. D'habitude avide de paroles, de mots et de détails, voilà qu'elle ne se tarissait plus d'explications sur les remèdes et les médecines. Toujours franche, la louve noire la taquina :
"Apparemment, chacun de ces remèdes a également le don de te faire parler plus que d'ordinaire."
Pour lui faire comprende que cela n'était qu'une voutade, elle lui donna un délicat coup de tête -après tout, guérisseuse ou non, elle était fragile-, et braqua son regard vert taquin dans celui d'Yluziah.

Marrok arriva au moment où elle reculait, et elle lui décocha un sourire qui, si il n'était pas radieux, était au moins légèrement chaleureux. La louve était heureuse que lui aussi apprene les usages des plantes, qu'il pourrait ensuite plus tard utilisé.
Il demanda des précisions à Yluziah, et celle-ci lui répondit par une tirade davantage adressée à elle-même qu'au mâle. Elle en profita pour renifler soigneusement les plantes précédemment évoqués, afin de s'imprégner de leur odeur doucereuse. Cela fait, elle promena son regard sur les autres médecines.
Tout en gardant une oreille braquée sur la conversation. En effet, ce que raontait la louve grise lui serait sûrement utile un jour.

Yluziah esquissa un sourire un peu timide, mais sincère, à l'attention de son Alpha. C'était exactement ce qui se déroulait. Parler des plantes était un moyen assez impressionnant pour elle de s'affranchir des limites. Elle avait le pouvoir, avec ces plantes. Elle était une bonne guérisseuse, elle le savait. Mieux encore : Elle avait le pouvoir de leur apprendre des choses. A eux, les puissants.

Avec les plantes, il n'était pas question de force, de stratégie. Il était question de cerveau. Et celui d'Yluziah était un cerveau de compète.

Tournant la tête vers Marrok, elle secoua la tête.

- L'aulne n'est pas toxique, c'est même tout le contraire, dit Yluziah avec un petit rire. C'est ce qu'on mâche et qu'on pose sur la plaie. Ou qu'on avale. Pas ce qui provoque le mal.

Puis il s'approcha de la verveine... Elle retint un soupir un peu ironique.

- Eh bien, on dirait presque que tu n'as pas besoin de moi avec les plantes... Les feuilles sont utiles pour le calme, mais le plus intéressant, c'est quand la verveine est en fleur. C'est excellent contre la fièvre.

Le sourire timide dont fur récompensée la boutade d'Azarah fut la plus belle récompense qu'elle aurait jamais souhaité venant de la part de la guérisseuse, et elle lui répondit par un sourire encourageant.
Marrok lui-même se mit à plaisanter, et l'ambiance bon enfant du moment ui réchauffa le coeur.

Mais le mâle eut la bonne idée de commettre une bourde. Celle-ci, pourtant peu grave, lui valut un regard foudroyant de la part de sa supérieure : la dominante n'aimait pas qu'il confonde présent et passé.
"Oui, eh bien, ton ancien alpha t'aura au moins permit de savoir à quoi cela ressemble, afin que, quand moi, je t'ordonnerais d'aller en trouver, tu sauras son apparence." déclara-t-elle en insistant bien sur les notions... importantes.

Son ton froid n'était que feint, mais elle était dominante de nature. Et n'appréciait pas que son subalterne ne puisse devoir sa loyauté à un autre qu'elle-même...
Se rendant compte qu'une fois encore, elle était possessive, la louve détourna le regard et cessa d'accabler Marrok, reportant son attention sur les remèdes.
"Mais ce sont des pensée..." fit-elle, heureuse de reconnaître au moins l'une des plantes alignées devant elle."Tu as du avoir du mal à en trouver, même avec l'arrivée du printemps... Quels effets ont-elles ?"

L'omega acquiesça aux dires d'Azarah.

- Les pensées... Celles ci sont séchées. J'en ai sauvé avant l'hiver, je ne sais pas trop comment elles ont survécu, mais une chose est sûre, il n'y en a pas beaucoup. Pourtant, j'en aurais beaucoup l'usage. C'est bon contre les toux grasses, le mal de ventre et d'estomac. Quand on a mangé une viande un peu avancée.

Ca arrivait, pendant la famine. Mais parfois ça rendait la digestion plus facile.

- C'est une de mes plantes préférées... Une de celles qui me rend la vie plus facile.

L'intervention d'Azarah la fit se recroqueviller légèrement, mais elle laissa échapper un couinement, tentant d'apaiser l'ambiance entre eux. Afin de détendre un peu plus l'atmosphère, elle répondit à Marrok.

- Je vais regarder. Pour que tu n'y penses pas, regarde ce tas là, Azarah, tu seras intéressée aussi. Ces plantes là sont des anti-douleurs, principalement articulaires, que vous trouverez facilement. De gauche à droite, Reine des prés, pour tout, hamamelis pour les chocs, le frêne que vous connaissez déjà.

Elle s'approcha de la patte de Marrok et observa l'articulation. Il pouvait marcher dessus, mais la patte semblait être un peu hors de l'axe. Mince... C'était toujours douloureux.

D'un mouvement rapide, elle saisit la patte dans sa gueule et tira fermement, le claquement de l'os retrouvant sa place dans l'articulation se faisant entendre.
Ca avait du lui faire un mal de chien...