Deux sans trois · Seirei

Sorrow avait disparu. Disparu, pouf, envolée. Pandore était restée un bon moment de plus à la chercher dans les souterrains, sur Neona, partout. Mais non. Il semblait qu'une malédiction pesait sur les coyotes de l'île. Qu'on lui parle une seule fois du rejet de Mene contre son espèce et Pandore piquerai une crise de nerfs. Elle ne croyait pas du tout en la déesse Lune. Elle ne croyait qu'en elle-même, en ses deux amis et en sa capacité à survivre. Imaginer qu'une Lune décidait tout son avenir et tout ce qu'elle allait faire la rendait pas très perplexe: Elle n'existait pas. C'était un conte pour loups. Si elle décidait tout, prédisait tout, qu'est-ce qui les avaient empêchés de se faire écraser par un éboulement, tués par n'importe quel loup?

Pandore errait à la nuit tombante, les étoiles commençant à décorer le ciel. Marchant bientôt sur ses trois ans, la solitaire contempla la lune presque pleine. Quelques nuages se hâtaient lentement dans leur course. Une petite brise agitait les moustaches de la coyote. Trois ans, trois ans qu'elle éprouvait le rejet de trois meutes et de quelques solitaires. Elle savait son corps grandir, comme pour n'importe quel être vivant. A trois ans, elle était déjà une jeune adulte. Et capable de se défendre contre un loup tant qu'il était pas trop bon combattant. Les chaleurs arrivaient, aussi, dans pas longtemps. Sans Sorrow dans leur petite bande, leur meute de trois redevenaient deux solitaires vivant à un endroit précis. Et ça les désavantageaient pour se défendre, bien que jusqu'à maintenant personne n'était venu les attaquer directement dans leur tanière.

Finalement, la coyote s'assit sur la pierre noire, songeant que c'était là qu'elle avait rencontré Sorrow, sur la pierre noire de l'Api Bara. Elle avait les yeux bleus, Pandore avait les yeux dorés. Ce détail ne changeait rien, mais qui s'en souciait maintenant. Seirei devait être inquiet à mourir... Elle savait bien que leur lien était fort. Des fois, elle en avait été un poil jalouse, mais sans plus à vrai dire.

Seirei était toujours en pleine guérison. Sa rencontre avec une Renégate lui avait laissé un souvenir cuisant, et il avait eu de la chance de croiser un guérisseur bienveillant qui avait accepté de soigner ses blessures. Il souffrait tout de même beaucoup moins, et ses plaies ne s'étaient pas infectées. Malgré tout, il avait encore une légère boiterie qui le gênait quand il voulait courir, et sa nuque était raide. Tout cela passerait avec le temps, mais dans l'intervalle... cela n'arrangeait pas l'humeur du coyote.

En effet, cela faisait un bon moment qu'il n'avait pas revu Sorrow. La femelle avait cessé de venir le rejoindre à leur tanière, et son odeur s'était effacée des terres de Néona. Craignant pour celle dont il était amoureuse, Seirei avait cherché des traces de son passage - ou de ce qui lui était arrivé - un peu partout sur Sarkan, à part l'île de Keres où il ne remettrait jamais les pattes. En vain. Il n'y avait plus la moindre preuve qui prouvait que Sorrow existait, avait existé, excepté ses souvenirs et la tanière dont il était désormais le seul occupant. Seirei était désespéré. Sorrow avait été la première personne à être gentille à son égard, et ils avaient partagé leur quotidien pendant plus d'un an. Il en était venu à souhaiter fonder une famille avec elle, et ils avaient souvent rêvé d'un futur plus heureux, d'un futur où les coyotes seraient capable de faire face à n'importe quel loup parce qu'ils pourraient compter sur leurs congénères pour les défendre... mais ce rêve semblait plus lointain que jamais maintenant que la population de coyotes sur l'île avait été réduite à deux. Lui-même, et Pandore, une autre femelle coyote qui s'était installée sur la Falaise.

Pandore avait vécu aux côtés de Sorrow et Seirei pendant un bon moment, bien qu'ils aient toujours gardé des tanières séparées. Ils n'étaient pas vraiment une meute, mais ils en étaient proches. C'était quelque chose de réconfortant. Et maintenant c'était la seule chose qui lui restait... Seirei n'avait toutefois pas perdu le goût de vivre. Il aimait Sorrow, il aimait sa compagnie, son esprit, sa gentillesse... elle lui manquait terriblement, et il se sentait perdu, incapable de comprendre ce qui s'était passé. Toutefois, il n'allait pas abandonner pour autant; il ne se laisserait pas dépérir. Et puis Pandore était toujours là. Il n'était pas seul, et il s'accrochait à cette idée.

D'ailleurs, quand on parle du coyote, on en voit la queue. Seirei errait sur l'île neutre, sans réel objectif, et était arrivé sur la roche noire d'Api Bara. Il remarqua donc la présence de la seule autre coyote de l'île, Pandore... Le mâle se redressa quelque peu puis alla vers elle.

« Bonjour, Pandore, » salua-t-il sans pouvoir empêcher sa voix de trahir son chagrin.

Tant d'espoirs brisés, tant de projets voués à l'échec...

Pandore releva la tête en entendant son nom. Drôle de coincïdence que de penser à quelqu'un et de le voir arriver tout aussitôt. Elle lui répondit d'une voix presque semblable à la sienne: triste et consciente que leur espèce se limitait maintenant à deux individus.

- Bonjour Seirei...

Ne seraient-ils vraiment que deux sur tout l'île? Contre plus de soixante loups? Pourquoi diable aucun coyote ne se réveillait sur l'île comme les lupins des trois meutes? Ils étaient trois, assez pour repousser un loup en principe normal et même un peu plus fort que la moyenne. Deux, deux jeunes coyotes de presque trois ans, c'était bien peu pour se défendre. L'idée de chasser sur les terres d'une meute lui paraissait soudain impossible et lointaine.

Pandore releva la tête et lui rendit ses salutations d'une voix triste. Il semblait qu'elle était d'humeur aussi morose que lui, ce qui n'avait rien d'étonnant. Il n'y avait plus que deux coyotes sur l'île... leur espèce semblait vraiment être en grand danger, car ils ne pourraient pas faire face à la menace lupine tous seuls. Un seul loup adulte serait probablement suffisant pour les tuer tous les deux s'ils n'arrivaient pas à s'enfuir devant lui!

« Il semblerait qu'il n'y ait plus que toi et moi, à présent, » déplora le mâle. « Que devrions-nous faire? »

Le coyote se sentait perdu. Il ne fallait pas espérer chasser des proies conséquentes sur le territoire d'une meute à deux, et leur force de frappe cumulée était ridicule. Ils ne pourraient pas non plus lutter face à la menace des renégats, et même Khthonia commençait à devenir très peu sûre. Que feraient-ils s'ils se retrouvaient coincés sur Néona? Il n'y avait rien à manger, ici, et ils devraient risquer leur vie pour quelques morceaux de rat.. Ce n'était pas le genre d'existence à laquelle Seirei aspirait.

Pandore était triste, elle aussi. Et anxieuse pour ce qui allait se passer désormais. Mais si il y avait une chose qu'on remarquai, c'était qu'elle était dynamique. Et la jeune coyote comptait bien se battre. Pour son espèce, pour Seirei, pour Sorrow et peut-être même pour d'autres coyotes. Se laisser abattre? Ce serait céder, se rendre. Et ça, jamais. Absolument jamais.

- Je suis sûre qu'il y a d'autres coyotes. Sûre et certaine.

Plantant ses yeux dorés dans ceux chocolats de Seirei, elle le mettait presque au défi; te laisserai-tu abattre? Pour la jeune coyote, c'était tout bonnement impossible. Jamais elle n'abandonnera. Peu lui importent les loups, les catastrophes de Mene, le rejet.

- Les loups peuvent faire ce qu'ils veulent. On les trouvera. Et on retrouvera Sorrow.

Déterminée, elle l'était et comptait bien le rester.

Pandore affirma avec certitude qu'il existait d'autres coyotes sur l'île. Seirei n'en était pas convaincu, il avait longtemps parcouru l'île en long, en large et en travers, sans jamais trouver la moindre trace d'autres représentants de leur espèce. Plus précisément, il avait exploré toutes les terres neutres et fait quelques incursions dans les terres des meutes. Il était donc possible qu'il ait raté des traces sur les territoires de meute - mais comment un coyote aurait pu y survivre pendant tout ce temps?

La coyote planta son regard dans celui de Seirei. Sa foi lui remontait le moral. Peut-être que tout n'était pas perdu, même si le fils d'Iselwyn avait du mal à faire autre chose que broyer du noir.

« Tu as raison, il ne faut pas renoncer. Et puis, nous sommes toujours là, nous ne sommes pas seuls. Il y a encore de l'espoir, je suppose... »

Et puis il ne voulait pas faire ce plaisir aux loups, il ne voulait pas les laisser gagner. Oui, il y aurait toujours de coyotes sur Sarkan, que cela leur plaise ou non!

Bien sûr qu'il y en avait, de l'espoir. Et bien sûr que même s'il n'y en avait absolument plus, elle en trouverai quand même. Elle comptait bien persévérer, coûte que coûte. Certes, elle était triste, mais hors de question qu'elle ne se laisse abattre.

- Il nous faudrai un allié pour chasser de grosses proies. Un solitaire, ou un loup qui n'a pas de préjugés contre nous... A deux, on n'y arrivera pas.

D'ailleurs, un autre problème se posait à Pandore: c'était bien celui de faire prospérer son espèce. Elle avait toujours oublié toute pensée sur la reproduction, franchement peu intéressée; ce seraient Sorrow et Seirei qui auraient des petits, pas elle. De toute façon, elle aurait beaucoup de mal avec des coyoteaux. Hum.

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