~ The great misconceptions of me.

Dans la pénombre, les pattes d'une louve se posaient silencieusement contre le sol pierreux pour la énième fois. Le temps passait depuis la rencontre qu'elle avait eu en ce lieu avec son amant, mais c'était bien là le dernier souvenir qu'elle en avait. Depuis qu'ils s'y étaient vus, elle n'avait plus entendu parler de lui. Il lui avait pourtant dit de l'attendre ici chaque nuit, qu'il serait là dès qu'il le pourrait, immobile comme elle l'était elle-même en ce jour funeste. La prise de conscience qui découla de la disparition de Marrok fut brutale et la mit à l'écart de sa propre meute. Elle était alors revenue ici pour faire le deuil de cette relation qui avait été trop rapide mais qui pourtant avait nourri les derniers espoirs de la louve. L'angoisse issue de cet évènement n'avait pas laissé intact le physique autrefois harmonieux de Huyana, elle n'avait pas su résister à ses anciens démons. On pouvait apercevoir des cicatrices s'étendre le long de ses pattes, recouvrant une bonne partie de chacune d'entre elles. Mais les blessures les plus profondes n'étaient pas visibles, elles gisaient là, sans que personne ne puisse les apercevoir.

Des filets de sang s'écoulaient par moment des morsures qu'elle s'était infligée, preuve que la cicatrisation ne pouvait pas avoir lieu. Et au sein de son cœur, l'espoir se déchirait, réduisant tout ce qu'elle avait construit en lambeaux. Tout n'était plus que fumée et cendres, il l'avait détruite sans même être violent. Il n'avait pas eu le courage de l'abandonner en face, de lui révéler ce qu'il avait vraiment eu derrière la tête le jour où ils s'étaient rencontrés. Elle en serait presque venue à le haïr, mais pour détester il eut fallu qu'elle aime cet être en premier lieu. Intérieurement, elle le savait, extérieurement tout laissait à penser qu'il n'y avait qu'un trouble psychologique à résoudre au plus vite. Personne ne pouvait se doutait de la peine qui parcourait le moindre de ses muscles, qui courait dans ses artères, rendant ainsi son sang brûlant. Elle devenait peu à peu un brasier où se mêlaient haine et jalousie, car peut-être avait-il trouvé quelqu'un ailleurs. Cela ne l'aurait pas étonnée, pour ce qu'elle connaissait de lui, rien ne l'aurait surprise davantage que ce qu'il lui avait fait.

Des frissons lui parcoururent l'échine et elle ferma les yeux en forçant sur ses paupières comme l'on force sur la vie pour qu'elle nous ouvre ses portes lorsque nous sommes au bord de la mort. Elle le vilipendait, l'injuriait sans ouvrir la gueule, le traitait de tous les noms sans même utiliser le langage. Et voilà qu'elle se retrouvait muette tant les émotions avaient été ravageuses, l'amour avait causé la perte d'une sensibilité qu'elle pensait pourtant avoir regagné avec le temps. Jusqu'à ce jour, elle avait cru à son retour, mais c'était sans compter ce qu'il faisait à côté. Elle avait été tellement stupide, ses réactions d'ingénue avaient été pitoyables. Jamais elle n'aurait dû se laisser avoir, et pourtant elle avait sauté dans le piège sans se douter des malheurs qui lui arriveraient ensuite. Les traits de son visage lupin se crispèrent, on put d'ailleurs voir en eux toute l'agressivité que renfermait Huyana, toute la rage qui bouillonnait sous ses babines. Il fallait qu'elle se calme, au risque de faire de mauvais choix. Sa meute passait avant tout, et il allait falloir qu'elle se remémore à quel point celle-ci devait être importante. Car Marrok était passé au-delà de ses relations sociales, il était venu barricader son monde avec une puissance visible. A présent, elle semblait seule, perdue entre les parois de cette grotte, ces murs pierreux qui ressemblaient fortement à ceux de son esprit.

L'odeur de son Alpha percuta son esprit fragilisé et on put voir ses paupières se rouvrir. Ses yeux ambrés ne laissaient plus rien transparaître mis à part son désespoir, ultime émotion qui parcourait à présent ses entrailles. Il fallait qu'elle se ressaisisse, au risque d'être chassée de sa propre meute. Toutefois, cette réaction de la part de Selene aurait été justifiée, la louve grise n'avait pas été présente au cours des rassemblements, ni lors des parties de chasse. Elle n'avait rien fait pour les siens, elle s'était simplement morfondue après la disparition de son amant. Et cerise sur le gâteau, Marrok faisait parti d'une autre meute, chose qui n'allait certainement pas la mettre sur un piédestal aux yeux de son Alpha. Tout dans son attitude laissait à penser qu'elle n'avait en rien l'intention de se reprendre, elle avait failli à sa tâche et toute sa meute devait en être consciente. Selene était derrière elle, se tenant là comme si la déception de voir Huyana dans cet état ne lui permettait plus de bouger. Ce fut pour cette raison que la louve au pelage d'argent se tourna vers elle, lui permettant de se rendre compte de l'intensité de ses multiples blessures.

- J'ai failli en tant qu'espionne, mais également en tant que simple membre d'une meute que pourtant j'estime, souffla Huyana d'une voix brisée, preuve qu'elle n'avait pas parlé depuis bien longtemps.

Cela faisait environ trois semaines qu'elle se tenait reculée des membres de sa meute, elle se cachait d'eux sans nul doute pour qu'ils ne voient pas son état désastreux. Et puis, l'agressivité que possédait son âme devenait de moins en moins facile à contenir. Pour leur bien, elle avait décidé de ne plus revenir, car d'espionne elle était passée à fardeau. Huyana était un poids aussi bien pour son Alpha que pour tous ceux qu'elle pourrait croiser. Ses poils, hérissés sur son échine, témoignait de son stress mais également du trouble qui l'habitait. Cependant elle ne se chercherait pas d'excuse, aux yeux de Selene elle devait déjà être catégorisée comme une déserteuse, une gangrène à détruire au plus vite. La louve grise avait levé un regard penaud vers son Alpha à la fourrure blanche comme neige, lui laissant ainsi entrevoir son mal-être mais également tout ce qui ne lui appartenait plus. La fierté n'avait plus sa place dans le comportement qu'elle arborait à présent, elle en était consciente. Sa tête s'abaissa, elle se montrait soumise alors que tout son corps se tendait, prêt à sauter à la gorge de celle qu'elle respectait pourtant énormément. Heureusement, une semblant de raison persistait en elle, c'était ce qui la sauvait.

Folle, ça oui elle le devenait. Peu à peu, elle sombrait dans un trouble psychologique qu'elle n'avait encore jamais connu. Elle se laissait aller à son angoisse maladive, à ce stress qui la détruisait aussi bien à l'extérieur qu'à l'intérieur. Huyana n'était plus elle-même, et elle ne parvenait pas à se raisonner. Evidemment que les cicatrices qui parcouraient ses pattes ne devaient pas être belles, Selene devait croire qu'elle s'était battue. Mais elle n'avait pas besoin d'aide pour s'infliger cela, elle n'avait besoin de compagnie pour marquer sa peau au fer rouge avec ses crocs. Il n'y avait pas de sens dans ses réactions, il n'y avait pas de logique dans ce qu'elle était en train de devenir.

- Je ne me cache pas, souffla la louve au pelage terne en tentant tant bien que mal de parler avec une voix cassée devenue rauque à force de se taire.

Les mots qui sortaient de sa gorge étaient morts, tout comme ce qu'elle avait pu vivre dans cet endroit en compagnie d'un amant qui s'était finalement joué d'elle. Elle ne parlerait pas de cette histoire, elle ferait passer cela pour quelque chose d'autre. Après tout, les êtres pouvaient sombrer dans la folie sans raison apparente.

- Je ne rejette pas la meute, continua-t-elle en essayant de cacher l'aspect délabré du ton de voix qu'elle empruntait aux cadavres.

Selene ne comprendrait pas si elle lui annonçait avoir eu une aventure avec un mâle d'une autre meute, elle la verrait comme une traite, une lâche dont le seul destin devait être la mort. Huyana voulait éviter cela, principalement car elle tenait encore à la vie. Misérablement, certes, mais c'était une bonne raison pour camoufler ce qu'elle s'était fait.

- La meute ne m'a rien fait, dit-elle à la manière d'un automate, comme si elle récitait une leçon apprise au détriment de son propre Alpha.

Elle la respectait, elle l'estimait même, mais cette raison n'était pas suffisante pour tout lui avouer. Elle n'avait plus de fierté, plus d'amour propre, mais elle voulait que l'intimité qu'elle avait eu avec Marrok en cet endroit soit sauvée.

- Et je ne me bats avec personne, finit-elle par dire à son Alpha avant de planter un regard ambré dans le sien, lui montrant ainsi le peu de détermination qui survivait en elle.

Afin de lui prouver qu'elle n'était pas violente, qu'elle ne se battait pas, elle s'infligea sous les yeux de Selene une énième morsure. On vit ses crocs labourer une partie de chair encore vierge sur le haut d'une de ses pattes antérieures, laissant couler un nouveau filet de sang. Puis, elle releva la tête, les babines à présent tâchées de son propre liquide vital. La croirait-elle à présent ?

- La colère ne te sert à rien, dit finalement Huyana en laissant son regard dans celui de son Alpha.

La réaction qu'avait Selene envers elle la faisait rire intérieurement, elle ne contenait aucunement sa rage. Huyana s'était trompée sur le compte de cette Alpha, elle n'aurait jamais dû lui faire confiance. Au lieu de lui tendre la patte pour lui donner son aide, elle la laissait sombrer seule au fond du gouffre. Ses démons l'envahissaient, mordant son adrénaline avec toute la hargne qu'ils pouvaient. Les décharges électriques du corps de la louve grise faisaient tendre ses muscles, cette situation l'énervait au plus haut point. Peut-être aurait-elle dû avouer ce qui la poussait à se mutiler ainsi, à faire d'elle la pauvre esclave d'un désespoir qu'on ne pouvait plus nier. Sans doute aurait-ce été plus explicite, Selene aurait alors compris. Mais non, Huyana ne souhaitait plus rien dire à cette dominante qui n'avait en fait que faire de ce qui avait pu se passer. Elle était froide, exigeante envers les membres de sa propre meute, et loin d'être aussi bonne qu'on le disait sur les autres territoires. Elle venait de s'en rendre compte, et toutes ces révélations étaient de trop lorsqu'on savait à quel point elle était sous pression.

- Et pour couper court à tout ce que tu pourrais croire me concernant, siffla finalement Huyana en plaquant ses oreilles contre son crâne sans aucune retenue. Ce ne sont pas des besoins personnels, ce ne sont pas des envies masochistes qui me poussent à venir ici. En tout cas, merci de ta compréhension.

Cette dernière phrase était ironique, on pouvait percevoir au ton de sa voix que cette situation lui tapait sur les nerfs. Les coups de marteau que lui infligeaient les dires de Selene n'étaient pas là pour l'aider mais plutôt pour la descendre. Elle ne comprenait pas, elle ne comprendrait sans doute jamais quel genre d'évènement s'était passé en ce lieu. Alors peut-être pouvait-elle être vue comme une traitre, mais elle n'avait pas fait de mal à sa meute. Elle ne s'était pas battue contre les individus avec qui elle avait partagé des parties de chasse, elle n'avait pas vilipendé son Alpha. Selene la confortait dans une position de rejet de toute forme de dominance, elle lui prouvait qu'elle avait eu tort de faire confiance à quelqu'un qui aurait dû l'aider au lieu d'agir ainsi.

- Je ne suis pas partie, susurra la louve grise en laissant apparaître un sourire mesquin au coin de ses babines. J'étais là, tout le temps. Ce n'est que la nuit que je me réfugie ici, mais dans la journée je ne suis jamais loin de la meute. Oublierais-tu qui je suis ?

Elle releva alors la tête avec lenteur en finissant par pointer les oreilles vers Selene. Avait-elle oublié de quelle discrétion était dotée Huyana ? Elle avait omis ce petit détail, et cette furtivité lui avait servi lorsqu'elle avait dû se nourrir après le passage des autres membres de la meute sur une carcasse. Elle avait entendu certaines conversations, s'était même intéressée à ce qui s'était dit malgré son état. Son Alpha avait oublié sa première impression sur elle, et ce fut le déclenchement du changement d'attitude qui avait eu lieu dans ce dialogue. Huyana s'était laissée aller à la froideur mais également à une colère sourde parmi laquelle l'ironie envers Selene était de rigueur. Qui était-elle pour la juger ainsi, sans même avoir attendu qu'elle puisse raconter ce qui lui était arrivé ?

- Tu as peur que je contamine la meute, s'exclama-t-elle en laissant toute la liberté du monde à la moquerie qui s'était juchée en haut de ces quelques mots. Aucune meute n'est en cause, et je ne me venge pas par plaisir. Pour sauver ton rang, tu es prête à sacrifier un membre de ta meute, par peur que celui-ci ne soit pas à la hauteur de tes attentes. Tu me déçois.

Elle se sentait en droit de dire ces dernières paroles, le fait que son Alpha la décevait était une chose vraie. Selene n'était pas la diplomate que l'on croyait, elle ne ménageait nullement les faibles de sa propre meute et les poussait à devenir de simples grains de sable qui dérangeaient les rouages d'une machine pourtant bien huilée. Huyana lui en voulait mais elle camouflait ça derrière un masque de froideur, derrière une rage qui ne véhiculait rien de plus qu'une dangereuse folie. Ce trouble flamboyait au sein de ses prunelles, dominant son âme sans contestation.

- Curieusement, je n'attente pas à ma vie, lui répondit Huyana en levant une de ses pattes dégoulinante de sang et de pus avant de la reposer. Vois-tu, cette tendance étrangement morbide est lié au stress. Mais tu n'as encore jamais vu ça, je me trompe ? Alors tu prends ça comme de la folie. Quelle Alpha nous avons là, décernons-lui donc le trophée des dictateurs.

Elle prenait son pied en balançant toutes ces paroles à la figure de Selene. Se sentir grande était jouissif, elle retenait la violence qui déferlait dans son corps. Ses muscles étaient tendus et malgré son état de faiblesse extrême, elle se régalait face à cette Alpha qui dégringolait sur l'échelle de son estime. Elle aurait voulu rire devant elle, mais elle en était incapable.

- Je me réjouis de briser la confiance d'une salope, lui répondit la louve grise alors que son regard ambré restait planté dans celui de Selene qu'elle considérait désormais plus comme son Alpha, la tranquille n'était plus.

Huyana la provoquait mais elle n'en avait pas conscience, en vérité elle se fichait de savoir si oui ou non elle ferait encore partie de la meute au jour levant. Elle n'attendait rien de plus de la part de Selene que de la haine à son égard. L'idée d'être soumise devenait de plus en plus insupportable à ses yeux et elle ne se laisserait plus jamais faire ainsi. C'en était terminé de la douce tranquille aux envies diplomatiques et aux paroles sereines. Il était temps que la meute voit de quel bois était faite la louve grise au lieu de la percevoir comme un poids, un charognard qui vivait à leurs crochets. Car non, elle n'était pas venue chercher de l'aide et il n'en avait nullement était question dans la logique de son esprit malade. Elle voyait à présent les autres comme une menace potentielle, comme un danger qui allait la cueillir si elle ne réagissait pas. Finalement, les solitaires devaient avoir la belle vie, ils n'étaient soumis à aucune règle et leurs valeurs étaient celles de la survie. Les meutes n'étaient qu'un handicap, tout du moins lorsqu'on en était simplement un membre. Car les dominants jouissaient d'une protection sans limite de la part de leurs esclaves, et il était hors de question que la demoiselle fournisse à Selene un sang neuf pour son propre rang. Cette dernière ne méritait même pas d'être regardée, elle pouvait aller mourir au fond d'un ravin que Huyana n'aurait pas bougé d'un poil.

La folie s'ajoutait au brasier de rage qui s'affirmait en elle, brûlant au passage tout ce qui faisait parti des sentiments inutiles qui auraient pu la pousser à se faire pardonner. C'était inutile, le pardon était pour les forts, et elle était devenue aussi faible qu'un louveteau. Si Selene voulait se battre, lui sauter à la gorge pour la dépecer, qu'elle le fasse. Huyana n'était pas en état de se défendre, même si elle l'aurait tout de même fait. Car contrairement à ce qu'on pouvait penser, la louve grise n'avait pas perdu son instinct de survie et ses plaies n'étaient pas à un stade d'infection très élevé. Elle n'allait pas mourir de ça, elle pouvait aisément se soigner. D'ailleurs, elle surveillait fréquemment ses pattes afin de savoir quand la limite avait été atteinte avant d'essayer de leur prodiguer quelques soins. Selene ne pouvait pas comprendre une peine de cœur, elle n'en avait tout simplement pas. Etait-ce trop demandé que de comprendre la détresse d'une femelle qui se voyait happer par d'anciens démons ? Pour cette dominante, la question ne se posait même pas, elle ne tentait pas de comprendre celle qui pourtant l'avait estimée durant un certain temps. La folie arrachait toute contenance aux mots qui pouvaient à présent sortir de sa gueule, il n'y avait plus aucune raison de l'écouter. Huyana sombrait dans la folie, pas à pas, elle devenait celle qu'on allait craindre.

Aucune répartie, cette Alpha ne méritait pas que Huyana prenne ses dires en considération. Elle l'insultait comme elle l'avait insultée auparavant, avec le même mot. Si ça, ce n'était pas pitoyable, alors qu'est-ce que c'était ? Aux yeux de la louve grise, les rapports avec le Kohinoor étaient définitivement finis, brisés. Selene avait fait en sorte d'anéantir les bonnes pensées qu'elle aurait pu avoir à son égard. Dommage. Ils avaient perdu quelqu'un qui aurait pu leur être utile, car son talent n'était pas fait pour tout le monde. L'espionne qu'avait été Huyana ne serait plus jamais esclave d'une aussi piète Alpha, il en était absolument hors de question.

- Quel dommage d'avoir aussi peu de répartie, s'exclama la louve grise en éclatant d'un rire mauvais avant de prendre le pas dans le sens contraire, elle n'avait pas envie de sortir de cette grotte derrière Selene, elle traçait sa propre route à présent.

Huyana s'était mise à trottiner vers une sortie en contre-haut, elle sauta sur quelques rochers couverts de gemmes et s'en alla de ce territoire qui n'était plus sien. Ses pattes ne la faisaient pas souffrir, et elle se mouvait avec grâce malgré son état de faiblesse visible. Ce fut donc sans un regard en arrière qu'elle quitta les terres du Kohinoor pour se diriger ailleurs, et dieu savait ce que sa folie allait lui faire subir.

|End.|