[Jugé] Partir loin de Keres

Dragan voulait retrouver le Kohinoor. Ici, il n'y avait rien de plus qu'une odeur de terre, celle des proies... Et celle de l'air. Rien des Renégats. Le choc était fort pour Dragan, à présent qu'il évoluait sans se battre mais en souhaitant retrouver l'île principale. Il se rendit compte à quel point l'endroit lui semblait inconnu, hostile...

Il trottinait dans ce no man's land rouge qui lui collait aux coussinets et lui brûlait les yeux. C'était un endroit détestable et Dragan languissait de revoir les neiges du col de l'Ulfric, ou ne serait-ce que retourner dans Khthonia qui serait un lien vers l'île principale et Neona.

Il avait la gorge sèche, soif comme tout, un peu faim... Et un besoin fou de balayer tout sur son passage, comme aveugle à tout.

Dragan voulait sa terre.

Delilah était étendue de tout son long, à quelques centimètres à peine de la mer. Les vaguelettes qui venaient s'écraser sur le rivage lui mouillait parfois le bout des pattes. Ses blessures lui faisaient mal. Chaque nouvelle respiration lui faisait un peu plus de mal que la précédente. Son épaule lui faisait mal aussi. Sa nuque également. Le réveil fut dur. Vraiment dur, bien plus dur que le premier.

La rouquine se redressa avec lenteur, pour passer en position assise. Elle soupira doucement, ce qui lui arracha une légère grimace de douleur. Puis elle se releva pour de bon. Ses premiers pas furent chancelants. Elle commençait à avoir faim et soif. Et elle était épuisée. Son envie de se battre diminuait petit à petit au fur et à mesure que le nombre de ses blessures augmentaient.

Elle reprit sa route pour chercher une quelconque sortie à ce territoire. Trouver une faille vers Khthonia aurait surement été le mieux. Mais la seule chose qu'elle trouva... Ce fut un autre loup. Dragan. Elle eut presque envie de se jeter à ses pattes, en espérant que lui, il n'aurait pas totalement perdu la raison. Et pourtant... Même elle, en le voyant, n'avait qu'une seule envie... C'était de faire couler le sang.

Dragan sentit une odeur, autre que celle de la terre et de l'iode. Il tourna le regard dans cette direction... Et vit une femelle. Une rousse aux yeux bleus. Les yeux de Syliah. Les yeux de celle qui avait plongé sa mère, pendant une période, dans un sale état. Peut-être que cette femelle, qui lui ressemblait tant, ne demandait rien de mieux que de monter en grade. L'idée lui hérissa le poil et il gronda tout bas, affichant clairement son rang.

Il s'immobilisa en l'observant d'un oeil sévère. Il avait largement affiché sa capacité à prendre le Kohinoor et à le garder. Les femelles s'y déplaçaient sans qu'il leur demande quoique ce soit.

Il aurait mieux fait de demander bien plus son du. De toutes les soumettre comme il avait fait avec Esperanza. Faire pareil avec les mâles. Tous les soumettre, tous leur faire comprendre leur place, c'est à dire sous lui. Il ne bougea pas d'un pouce mais son regard se fit plus dur encore.

Delilah avait envie de pleurer. Sans vraiment savoir pourquoi. Elle en avait simplement envie. Les nerfs, très certainement. Mais elle se contenta de serrer les crocs. Pourquoi pleurer ? Peut-être parce que ça devenait trop dur pour la petite princesse de s'imposer face aux autres. La chasse, les jeux de combats, les chamailleries... Ça n'avait jamais vraiment été son truc. Et même si actuellement, c'était son instinct qui la guidait, elle avait du mal à accepter de se battre. Elle se sentait si... Mal.

Le loup blanc grogna soudainement, tout en montrant davantage son côté dominant. Il voulait faire valoir son rang, très certainement. Delilah comprenait, dans le fond. Elle avait beau avoir été qu'une sale gamine plus que détestable, elle avait grandit et mûrie, surtout depuis le départ de sa mère. Et puis, de toutes manières, elle préférait faire profil bas, ses blessures la lançait encore. Elle baissa donc légèrement la tête, baissa ses oreilles et ramena sa queue entre ses pattes. Depuis qu'elle avait ses premières chaleurs, elle se sentait différente. Elle sentait que les mâles étaient différents avec elle aussi. Ou au moins le solitaire qu'elle avait rencontré à la plage Manami... Ça la rendait mal à l'aise de savoir que Dragan aussi pourrait sentir ses chaleurs. Alors le fait de courber l'échine et de ramener sa queue entre ses pattes ne la gênait plus tellement, vu le contexte. À côté de lui, elle ne valait rien. Elle n'était que la fille des bêtas, ce n'était pas tellement un bonus.

Delilah n'osa pas relever ses yeux bleus clairs, presque transparents, vers son alpha. L'idée de l'attaquer lui titilla un instant l'esprit, tant l'atmosphère devenait pesante. Mais sa fatigue plus l'attitude du mâle blanc l'aidait à garder son self-control. La peur aussi l'aidait à ne pas bondir. Elle avait peur du retour de flamme qu'elle se prendrait dans la tronche si jamais elle osait l'attaquer.

Elle était blessée. Elle était blessée. L'adrénaline pulsa dans ses veines, il gronda de plus belle et s'approcha. Il ne voulait pas la posséder, ou en tout cas, il sentait tout d'abord le sang et se sentait... Agacé et excité à la fois par sa position d'omega. Il voulait la soumettre plus qu'il l'avait jamais fait. L'instinct de violence qui l'étreignait était fort, comme l'instinct de saillie lors des chaleurs habituelles. Mais ce n'était pas habituel.

Il se précipita sur elle, tous crocs dévoilés et visa le dos, le flanc, peu importe. Il voulait qu'elle saigne plus, il voulait qu'elle sente qu'il était le maître. Le vrai maître, celui qui avait droit de vie, de mort, d'exil, de reproduction. Le maître. Dans son esprit, tout tournait si vite, tout était peint en nuances de rouge, rouge passion, rouge sang frais, rouge sans coagulé. Rouge colère.

Il n'écoutait pas ce tiraillement lointain, comme un appel violent mais trop masqué par une tempête pour être entendu. Même en hurlant, cette voix ne transpercerait pas l'ouragan qui s'était emparé de lui en le faisant charger Delilah.

Delilah s'abaissa un peu plus au fur et à mesure qu'elle entendait les pas de Dragan se rapprocher d'elle. Son ventre touchait presque le sol lorsqu'elle sentit ses crocs se planter dans sa chair, au niveau du dos. Un couinement de douleur, strident, se fit entendre. Sa première réaction vu de rester en position de soumission, même si visiblement ça ne suffisait pas à apaiser le mâle blanc. Elle sentit de nouvelles morsures, du côté de ses flancs et elle serra les crocs pour ne pas couiner à nouveau.

Puis ce fut la morsure de trop. La rouquine se redressa et se retourna pour essayer de mordre à son tour. Une patte, l'épaule, le cou... Peu importe, elle voulait juste le mordre. Peut-être que ça le calmerait un peu... Ou peut-être pas.

Dragan se sentit galvanisé par la montée du sang, son goût, sa texture, la soumission...

Mais elle se rebella. Elle OSA se rebeller et ça ne fit qu'accentuer la profonde envie de la mater, la casser. C'était exactement le problème avec sa position. Il ne se sentait pas légitime. Il ne se sentait pas en mesure de... S'imposer sans le charisme de sa mère, ou sans une femelle. Tout était trop inégal, tout était trop en déséquilibre. Ils n'avaient pas d'omegas.

Il lui fallait un omega. Et après tout, cela ne demandait pas simplement un changement dans l'organisation de la meute ? Que l'un d'entre eux se mette totalement en soumission et change de lui-même ?

Puis il se rendit compte qu'il... Massacrait celle qui avait été la petite insupportable à qui il avait tenté d'apprendre à chasser... Et baissa profondément sa garde.

Au fur et à mesure que le temps passait, Delilah se redressait, quittant pour de bon la position de soumission qu'elle avait adopté au début. C'était comme si un fil invisible venait la tirer par le haut. Son poil au niveau de son échine se hérissa, sa queue se remonta également pour prendre une position horizontale et elle dévoila enfin ses crocs à Dragan. Alpha ou pas, les critères de la vie réelle ne comptaient plus désormais pour elle. Delilah se sentait plus vivante que jamais. Un feu brûlait en elle. Elle venait tout juste de réaliser que Syliah n'était pas si loin d'elle. Elle était même tout près.

Aucune hésitation ne la traversa lorsqu'elle bondit sur le loup blanc. S'il baissait sa garde, elle ne laisserait pas passer une telle occasion. Au contraire, la jeune louve puisa dans ses dernières ressources pour répliquer. Ses mâchoires claquèrent près de la gorge de son adversaire, alors que ses pattes avant cherchaient à lui labourer le poitrail de coup de griffes. Elle n'abandonnerait plus. Plus jamais.

Le regard de sa propre mère lui brûlait la nuque, lui brisait toute volonté. "Comment PEUX TU faire ça à un de tes propres membres de meute ? COMMENT ?" Il revoyait la colère dans ses yeux vairons, il revoyait sa taille. Elle était plus petite que lui mais lui avait toujours semblé... Grande. Plus grande que lui.

Il voulait se dégager de là. Ruant comme une anguille entre les mains d'un pêcheur, il tenta de la bousculer pour éviter toute blessure supplémentaire que les superficielles qu'il avait jusque là... Et fuit.

Au final, il n'avait sans doute pas saigné Delilah. C'était bien Delilah. Elle n'avait jamais été agressive. Il entendait sa mère hurler dans sa tête et comme si son sang essayait de le fuir. Comme si le sang de sa mère refusait de rester en lui et brûlait les parois de ses veines.

Il fila vers Khthonia... Il voulait fuir ce fantôme qui le hantait.

[Dragan quitte le cirque des damnés]