Partir en exploration - Libre

« Mau ! Mau ! »

Une petite voix aigüe et paniquée résonnait dans l’air, sous le ciel ardent aux couleurs de feu. La loupiotte au blanc de neige, responsable ces appels, était visiblement affolée. Tandis qu’elle avançait, elle regardait en tout sens, guettant la réponse de sa sœur. Une boule d’angoisse lui tordait l’estomac. Elle était en territoire inconnue, effrayée, apeurée. Mais plus question de faire demi-tour : elle devait retrouver sa sœur.

Elle avait bien tenté de l’empêcher de partir. Mais sa sœur était têtue et ne l’avait pas écoutée. Nuvuja l’avait alors regardée quitter leur nid douillet, avant de se rouler en boule dans un coin de la petite tanière, grommelant contre sa sœur et jetant de fréquents regards à l’entrée en espérant qu’elle revienne, la mine boudeuse.

Puis elle avait soudainement relevé la tête, tandis qu’une insidieuse pensée s’était insinuée en elle. C’est pas juste, Mau elle va découvrir plein de trucs et pas moi. Sa curiosité latente s’était éveillée, transformant sa colère en jalousie. Elle avait grogné, s’était levée et avait fait les cent pas dans la tanière, ne sachant que faire. Elle frissonnait en imaginant la colère de sa mère en rentrant si Mau n’était toujours pas là. Et c’est moi que maman va disputer, alors qu’elle voulait pas m’écouter ! La loupiotte était persuadée que sa mère lui reprocherait de ne pas l’avoir empêchée de partir. Et puis zut, moi aussi je veux voir ce qu’il y a dehors !

Cédant au curieux mélange de sentiment que formaient sa curiosité, son envie, sa crainte, sa colère, et sa jalousie, Nuvuja était sortie de la tanière et avait entreprit de chercher son aînée.

Et là voilà à présent, apeurée et inquiète, perdue, cherchant sa sœur. Et elle songeait à sa mère et à sa colère, lorsqu’elle les retrouverait… Tout ça à cause de Mau !

« Mauuu ! »

Elle continua de l’appeler, balayant le paysage du regard, cherchant une tâche sombre au loin, au milieu de ce crépuscule permanent – qui était, pour elle, la normalité.

Elle l’aperçut alors, par là-bas, à trottiner. Nuvuja s’élança alors à corps perdu vers elle.

« Mauuu ! »

Tout à son empressement, dans sa course effrénée, elle trébucha et roula sur un bon mètre avant d’atterrir aux pattes de sa sœur. Elle se releva et secoua les feuilles vertes sur elle. Puis elle regarda autour d’elle, inquiète, et se rapprocha de Mau.

« Maman va nous gronder à cause de toi ! » Murmura-t-elle sur un ton de reproche.

Toujours inquiète, elle se laissa cependant aller à contempler l’endroit où ils étaient. Les arbres nombreux et hauts. Des oiseaux qu’elle n’avait jamais entendu auparavant.

Curieuse, elle fit courir son regard sur les branchages et les feuilles, couleur de miel sous un ciel ocre. Toutefois, maintenant qu’elle l’avait retrouvée, elle ne quitterait pas sa sœur d’une semelle.

Curieuse, la jeune loupiotte regardait tout autour d’elle, mais restait collée aux basques de sa sœur. Sa chute était déjà oubliée : elle était d’une maladresse particulièrement frappante et ce genre de chose lui arrivait souvent.

Maintenant qu’elle était avec sa sœur, elle se sentait rassurée. Elle en oubliait même l’image effrayante de sa mère et son courroux ! Malgré tout, elle dévisageait chaque nouvelle chose avec un mélange d'inquiétude, de curiosité et de plaisir.

L'inconnu n'était-il pas d'une complexité effrayante et intéressante, pour une louvette au tempérament craintif ?

Elle sursauta lorsqu’une chouette s’envola d’un arbre proche, le battement d'ailes précipité résonnant bruyamment dans le silence ambiant. Les yeux levés au ciel, elle regarda les feuilles se balancer curieusement sous le ciel rosé, dans un doux bruissement, cherchant l’animal des yeux. Mais elle ne vit aucune ombre se mouvoir dans les branches. Tout restait calme, silencieux... Presque endormi.

Elle s’approcha d’un arbre à l’écorce trouée. Un liquide incolore suintait du trou, qui semblait profond. Fermant un oeil et ouvrant grand l'autre, elle s'amusa à tenter de voir dans le trou comme à travers une longue-vue. Puis elle approcha son museau du liquide épais et flaira l'odeur étrange qui s'en dégageait. Sa langue jaillit d'entre ses crocs, et la petite loupiotte lécha la sève. Le goût sucré – acidulé la fit grimacer de surprise. Bon, mais inexplicable.

« Trop bizarre ! » Murmura-t-elle avant de se retourner pour galoper rejoindre sa sœur. « Eh, Mau, les arbres ici ils sont bizarres ! Y a de l’eau sucrée dessus. »

Tout en marchant, les yeux furetant de-ci, de-là, montrant des curiosités à sa soeur et s'extasiant ou s'inquiétant de nombreux mystères, Nuvuja se demandait si d’autres loups vivaient ici. La louvette ne connaissait guère que sa mère et sa sœur. Et papa qui est très loin, comme maman a dit. Elle ne saurait pas vraiment comment réagir si elles en croisaient. Nuvuja venait même à craindre une telle rencontre.

« Mau, tu crois que on pourrait voir d’autres loups ici ? »

Instinctivement, elle se rapprocha de sa sœur en dissimulant un frisson.

A la mention de leur mère, Nuvuja eut un frisson et se rapprocha aussitôt de Mau. Elle l’imaginait déjà, avec ses yeux qui lançaient des éclairs et sa voix dure leur reprochant d’être sorties de la tanière. C'était effrayant !

Rabattant ses oreilles en arrière, inquiète, Nuvuja fit part de ses craintes à sa sœur.

« Tu crois qu’elle va disputer fort ? »

Mais c’est la faute à Mau aussi, se dit-elle. Moi, je serais pas sortie sinon... Et puis c’est toujours Mau qui fait les bêtises, et moi aussi je me fais disputer ! C'est vraiment pas juste...

Bougonnant dans ses pensées, mettant sa sortie sur le dos de sa sœur, Nuvuja se déresponsabilisait. Pourtant, elle savait très bien qu’elle aurait droit aux mêmes reproches que sa sœur. Et c'était ce qui ne lui plaisait pas.

Lorsque Mau mentionna la présence d’autres loups, répondant à sa question et confirmant ses craintes, Nuvuja s’arrêta de marcher, apeurée.

« Une grosse meute ? Plein plein ? » S'inquiéta-t-elle.

Elle se remit à galoper pour rattraper sa sœur qui allait vite – un peu trop pour les petites pattes maladroites de Nuvuja.

Le coeur battant, collée derrière sa sœur, elle fit son possible pour ne pas la lâcher d’une semelle. Cette fois, sa curiosité avait disparu et la loupiotte regardait les alentours avec crainte.

Heureusement que sa soeur était là, car Nuvuja n'aurait pas le cran de se défendre en cas de problème. Elle portait bien son statut de cadette : des deux, sa soeur était bien plus débrouillarde qu'elle, qui était trop timide et craintive. Même dans leurs jeux, c'était Mau qui gagnait à tous les coups.