Perdre quelque chose de soi-même - Libre

Selene était morte. Dahak était mort. Mais tout ça lui paraissait soudain un moindre mal. Il n'y avait pas que les deux morts à déplorer. Non, Syliah, sa mère, avait succombé à la vieillesse. Le Soleil avait disparu, la Lune avait disparu, laissant place à un unique crépuscule. Ce moment qu'il aimait pourtant tout particulièrement était devenu une chape de plomb qui étendait un silence pesant sur l'île. Ses dieux avaient disparus comme sa mère, son mentor et son alpha.

Il était complètement dévasté par ces trois deuils consécutifs, enroulé en boule dans la Tanière des glaces. Dans un petit renfoncement, à peine visible, plongé dans la pénombre. Sunrise avait l'impression que tous ses points d'appui avaient disparu, le laissant tombant dans un gouffre d'où il ne voyait pas le fond. De temps en temps, un sanglot étouffé lui échappait, comme pour rappeler qu'il était là, encore éveillé. A part ça, il était entièrement silencieux et immobile, ses yeux vairons jaune et bleu fixant un point invisible, hagard. Le jeune mâle ne se sentait pas la force de seulement se lever. Syliah était morte. Maman était morte. Et il avait la sensation qu'une partie de lui était morte avec elle, Dahak, Selene et la disparition des astres. Quelque chose de grave se préparait. Il en était sûr.

Caleb revenait du temple. Il avait vu, de loin, sa tante qui avait l'air complètement folle et qui errait. Elle avait l'air de pleurer à chaudes larmes. L'ambiance des terres actuellement étaient SI pénibles ! Il soupira et rentra finalement sur le Kohinoor.

Même ici, tout avait l'air si immobile... Soudain, il vit un mouflon pousser un cri à vous glacer le sang. Il se mit alors à dévaler la pente, non pas élégamment comme le faisaient le mouflons habituellement, mais comme une pierre, comme un pantin désarticulé. L'animal se mit à rouler, hurlant à nouveau avant de finir mort, projeté dans sa chute sur un rocher. Le crac émit souleva tous les poils de Caleb qui se mit à courir. La tanière était proche...

Et il était terrifié. Si terrifié qu'il se mit en boule et se rendit compte sans doute trop tard qu'il venait de se serrer contre un loup qu'il ne connaissait que peu.

- P... Pardon, murmura Caleb. J'... J'ai perdu mon sang froid.

Un an et toutes ses dents, mais clairement pas tout son courage.

Sunrise sursauta en sentant quelque chose de poilu et de chaud contre lui. Ce contact, bien qu'il fut loin de l'odeur de sa mère lui rappelait douloureusement Syliah, et un sanglot supplémentaire lui aurai sans doute échappé si il n'était pas occupé à regarder le jeune loup. Il devait avoir un an ou un peu plus. Lui-même atteignait presque les deux ans. Il lui disait quelque chose, sans qu'il ne put se souvenir où il l'avait déjà vu. Peut-être à un rassemblement.

- Pas grave...

Même sa voix semblait vide et morne. Comme si même parler était dénué de sens, futile. Calant à nouveau sa tête entre ses pattes, il repensa aussitôt à sa mère, à Dahak, à Selene. Tant de deuils consécutifs.

A un an, Caleb était encore un sacré jeunot, c'était certain. Il se lécha nerveusement le museau et pencha la tête sur le côté.

- Ca va pas ?

Ca avait pas l'air d'aller, en tout cas. Caleb ne savait pas quoi faire, à part poser des questions et, comme disait sa mère "Quand quelqu'un va mal, lui poser trop de questions dessus, c'est pas une bonne idée". Il recula sans quitter le loup, enfin, sa silhouette dans l'obscurité, du regard.

- Je suis Caleb, le fils de Kunal et Keelin. Je pars, pardon encore pour mes manières.

Il avait entendu ça, un jour. "J'ai perdu mes manières." C'était très classe et très digne. Donc très lui.

Non. Non, plus rien n'allait. Sunrise avait beau chercher, la seul consolation qu'il avait était de se dire qu'il ne pourrait pas tomber plus bas. Peut-être pourrait-il bien subir quelque chose qui l'aurai encore plus abattu, mais mieux valait ne pas y penser, du moins pas tant qu'il n'était pas un tant soit peu moins morose.

- Ma... mère...

Il étouffa un sanglot. C'était si dur de simplement le dire.

- Syliah... morte.

Utiliser les mots morte et Syliah dans la même phrase lui semblait vide de sens. N'aurai-t-il pas pu faire quelque chose pour retarder cette échéance? Pour sauver sa mère, même quelques instants de plus?

- Tu.. peux rester si tu veux. C'est... pas grave.

Le jeune mâle n'avait qu'à moitié envie de rester seul après ça, mais il ne comptait pas non plus retenir Caleb si il avait envie de faire autre chose.

Caleb hésita... Puis il comprit qu'il n'avait pas les mots pour le réconforter. Il était encore jeune et ce qu'il connaissait pour réconforter ses frères était simple : Se coller à eux. Il le faisait rarement avec Baldur parce qu'il avait toujours la sensation de lui faire mal. Il se tortillait et se tendait.

Mais il se blottit contre le mâle sans réfléchir deux fois, cédant à sa partie de louveteau...

- C'est triste, murmura t-il d'une voix encombrée.

Oui, c'était très triste. Il ne s'imaginait pas sans sa mère. A vrai dire, cela lui semblait impossible qu'elle meure, il était si jeune.

- J'vais rester un peu, et puis j'vais partir.

Il se sentait bien, finalement... Triste, mais quelque peu réconforté.

Il fut surpris en sentant de nouveau le contact de Caleb contre lui. Il ne pouvait que souhaiter au jeune loup que sa mère - comment déjà? ah, Keelin - ne meure pas aussi prématurément dans sa vie... Sunrise lui se sentait dévasté de cette perte, et il avait peur, peur que d'autres membres de sa famille meurent à leur tour, c'était sa plus grande crainte à ce moment précis.

- ... Merci...

Il se sentait seul, douloureusement seul, même si Delilah, Sköll, Arawn, la meute tout entière était là, ça n'était pas pareil. Sa mère, sa mère l'être qui comptait le plus au monde pour lui, sa mère était morte et il avait l'impression que jamais il ne s'en remettrai, tant ce chagrin pouvait être fort.

Caleb resta quelques instants contre Sunrise. Il avait la sensation de ne pas trouver... Les bonnes choses à faire. Peut-être qu'il n'était pas fait pour ça. Kunal, son père, avait perdu sa mère et Caleb sa grand-mère. Mais il avait la sensation que c'était différent.

Une foule de sensations...

- Mange quelque chose bientôt... La meute sera là pour t'épauler quand tu voudras sortir.

Cela lui semblait tellement débile ! Mais Caleb tentait d'être... Dans l'avenir. Positif. Le moment "où il sortirait".

Caleb s'écarta du mâle. Il sortit de la tanière, la tristesse lui collant à la peau comme de la glu. C'était très difficile à supporter... Peut-être que sa tante Absinthe aurait mieux su.

» Quelque chose qui manque - Lilith
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