Tu as bien grandis (Prio Ymir)

Ymir avait réussi une chasse en groupe. Il n'en revenait toujours pas! Cétait ce genre de miracles que le faisaient croire en Mene, la déesse de la Lune. Ymir n'était pas entièrement convaincu de son existence, mais il tendait davantage à prier cette déesse qu'à considérer que tout ce qui arrivait était le fruit de phénomènes naturels. Il ne lui venait jamais à l'idée d'apporter une offrande... toutefois, à cette occasion particulière - un succès en chasse en meute, après tant d'échecs consécutifs qui lui avaient fait craindre une malédiction - il avait décidé de venir visiter le Temple.

C'est pourquoi le loup gris était actuellement en train de marcher dans sa direction. Que de souvenirs emplissaient les terres de Néona! C'était un temps heureux, où sa mère était encore vivante, où il s'amusait avec ses frères et soeurs et embêtait son père. Et se disputait avec Lilith. Quoique, ça, il le faisait toujours.

En revanche, Ymir n'avait revu ni Abyss ni Seren depuis la mort de sa mère. Pas plus que Jaws d'ailleurs, mais ce dernier ne lui manquait pas. Il se demandait de plus en plus fréquemment ce qui leur était arrivé, et surtout s'ils allaient bien... sa soeur était un membre de la meute d'Annalee, mais il ne l'avait jamais croisée lors de ses rondes près de la frontière. Quant à son père, Ymir supposait qu'il était toujours solitaire. Près du temple, le loup aux yeux verts distingua une silhouette familière. Intrigué, il infléchit sa trajectoire pour aller y voir de plus près... e til se rendit compte qu'il s'agissait d'Abyss! Un grand sourire s'étira sur les babines du Bêta d'Iselwyn et il partit au grand galop à la rencontre de son père.

« PAPAA! » hurla le jeune loup, oubliant tout sens du décorum.

Il arriva à toute vitesse sur l'autre mâle et lui sauta dessus dans une sorte de câlin violent et pas du tout approprié à de paisibles retrouvailles. Ce n'était pas de l'agressivité, juste un excès d'enthousiasme.

Ymir ne tarda pas à cesser son câlin et à reculer - plus exactement, il ne tarda pas à reprendre ses esprits et à se comporter comme il en avait l'habitude. Il remarqua alors, à sa grande surprise, que son père sentait... la meute du sud, Annalee. Il n'avait pas l'odeur d'un solitaire! Gueule bée, Ymir écouta son père confirmer qu'il appartenait désormais à la meute d'Annalee. Il s'était préalablement excusé de ne pas être venu le voir plus souvent, mais que l'alliance entre Iselwyn et Annalee leur permettrait de se croiser. Ymir était toujours stupéfait - il n'aurait jamais imaginé que son père puisse entretenir le désir de joindre une meute! Cela prouvait bien à quel point on pouvait mal connaître même les personnes qui nous étaient proches, ou alors à quel point ces dernières pouvaient changer...

D'ailleurs, lui-même avait aussi changé. Il était encore mieux qu'avant!

Toutefois, Ymir se sentit bizarre quand Abyss se mit à pleurer. Un parent qui pleurait, c'était... étrange, et le loup gris avait l'impression de voir quelque chose qu'il n'aurait pas dû, d'être en train de faire une sorte de sacrilège.

« Je ne t'en veux pas. On était trop nombreux, tu... tu as pris la meilleure décision. La famille a été séparée, d'accord, mais au moins nous sommes tous en vie... et nous pourrons renouer les liens brisés. Comme tu l'a dit, nous sommes voisins... je suis très souvent dans le sous-bois... »

Ymir s'interrompit, soudain gêné. Le sous-bois avait autrefois appartenu à Iselwyn - et de façon très récente, en fait. Alors le rappeler ainsi à un membre d'Iselwyn, en frottant la plaie avec du sel en mentionnant qu'il était presque toujours, c'était... cela rendait les choses plus douloureuses.

« Et, euh... comme ça Seren n'est plus toute seule, c'est bien. Je... tu pourrais me dire ce qu'elle est devenue? » demanda maladroitement le loup gris.

Ymir ignorait tout de sa soeur, mais avait cru entendre qu'elle était devenue omega, ce qui ne lui plaisait pas du tout...

Ymir fit une drôle de tête à la mention des habitudes de langage de son frère. Il s'agissait d'un mélange entre "oui, ne m'en parle pas" et "plus rien ne m'étonne de la part d'Obsi de toute façon". Le loup gris fut ravi d'apprendre que sa soeur cadette allait bien, et tout autant qu'elle était loyale et pas oméga; ce dernier oint l'aurait vraiment attristé... et il aurait cherché un moyen de briser ça. De rendre sa soeur plus forte, ou plutôt de faire davantage ressortir la force qu'elle possédait nécessairement en tant que sa soeur.

« Oui, Obsi n'a pas du tout changé. » marmonna Ymir. « Je suis vraiment heureux d'apprendre que Seren va bien. As-tu eu aussi des nouvelles de Lilith? Je l'ai croisée quelques fois, elle est... euh... identique à elle-même. En forme. Malheureusement... »

Ymir avait murmuré ce dernier mot, incapable de cacher la profonde antipathie qu'il ressentait envers sa soeur aînée... à moins que ce ne soit de la jalousie, de l'estime, ou en fait à peu près n'importe quoi. Le loup aux yeux verts ne savait jamais où il en était avec cette Peste. Il suivit docilement son père vers la tanière, reconnaissant les lieux au fur et à mesure qu'ils se rapprochaient. Cet endroit était rempli de souvenirs, malheureusement entachés par le rappel constant de la mort de sa mère qu'ils représentaient. C'était pour cela qu'Ymir ne venait jamais dans le coin: certes, il y avait plein de souvenirs heureux qui dormaient ici, mais ils en appelaient d'autres, bien plus terribles.

« Oui, je m'en souviens... et cela me rappelle... enfin, maman. »

Les yeux du loup gris s'assombrirent, mais il ne pleura pas - ses larmes s'étaient depuis longtemps taries, et ces blessures de l'enfance avaient cicatrisé.

« Elle me manque encore... mais je n'ai plus besoin d'être protégé, désormais. » reprit fièrement le jeune mâle.

Oui, désormais il était un adulte presque dans la pleine force de l'âge (d'accord, il avait en réalité à vivre encore le double de son existence actuelle pour atteindre ses cinq ans, mais ce n'était qu'un détail) et il était bien entraîné. Il savait se débrouiller seul, et se défendre de toute agresseur -en tout cas, il aimait à le penser.