Un froid inquiétant

Yluziah broyait du noir. Elle qui était si enjouée d'aller sur le Kohinoor chercher des plantes et découvrir le royaume enneigé, elle se retrouvait bloquée par un bouchon tenace et haut de neige. L'accès par la Brèche lui était impossible, à elle petite louve omega avec autant de force qu'une brindille. Non, qu'un arbrisseau, quand même.

De plus, si le froid à petite dose était bon pour éviter à ses poumons de hurler à l'agonie, le froid intense qui était arrivé sur Sarkan la faisait grelotter de froid si elle s'y immobilisait trop longtemps. Cet hiver avait l'air parti pour être difficile et douloureux en terme de pertes. Le froid, en plus de ça, donnait faim. Mauvaise idée que d'avoir faim dans une zone si soumise aux fluctuations de température, de climat, et surtout aux autres meutes.

La forêt de la plume brûlée - quel nom triste, pour la forêt qui avait été si belle - était aussi morne qu'elle. Des allumettes noircies tendues vers un ciel blafard. Ici, il y avait eu un plan de reine des prés, ici une magnifique boule d'estragon qui embaumait. Plus rien. Rien que des cendres et du bois noirci. Et du blanc. Le blanc de la neige.

Alors qu'elle relevait la tête, elle vit une louve rencontrée au rassemblement.

- Moïra ? demanda Yluziah en couchant les oreilles sur son crâne. C'est Yluziah, la guérisseuse.

Après tout, elle avait affaire à la Bêta de la meute.

Le détenteur de l'odeur qu'elle avait perçue était désormais visible. Enfin, la détentrice, plutôt, car ils s'agissait d'une louve - une louve qu'elle reconnaissait pour l'avoir vue au rassemblement. Il s'agissait d'Yluziah, qui était la seule guérisseuse de la meute. Une louve très précieuse, donc. Moïra ne l'avait jamais vue avant le rassemblement - à vrai dire, elle ne connaissait encore que peu de membres de la meute - mais elle avait mis un point d'honneur à mémoriser le nom de tous les loups qui s'étaient présentés au rassemblement. L'autre louve confirma cet état de fait en se présentant - bien, Moïra ne s'était pas trompée.

La louve arctique se détendit et offrit un sourire amical à Yluziah. Il était impensable que la louve arctique affichât une attitude agressive avec un membre d'Iselwyn, à moins que celui-ci ne dépasse vraiment les bornes; de plus l'autre louve n'était clairement pas dangereuse. En outre, son statut de guérisseuse plaisait beaucoup à Moïra, car elle n'aimait rien autant que les loups utiles à leur meute. Même si Yluziah était une oméga, elle se rendait utile et c'était bien là le principal!

« Bonjour Yluziah, » répondit la louve arctique. « Comment vas-tu? Le froid ne te fait pas trop souffrir? »

Etant une louve arctique, Moïra était moins affectée par les températures particulièrement basses que ses congénères d'Iselwyn. Bien sûr, elle était venue dans cette meute précisément parce que sa fourrure était anormalement légère pour son espèce, et qu'elle préférait un climat plus clément. Par conséquent, elle avait froid - plus qu'un autre loup arctique, mais moins qu'un loup habitué aux régions plus chaudes. De ce fait, elle s'inquiétait pour le reste de la meute: si elle-même avait froid, les autres devraient être encore plus touchés.

Tout en parlant à Yluziah, Moïra surveillait du coin de l'oeil son fils, toujours caché entre deux racines. Il allait très probablement perdre patience et se montrer à la vue d'Yluziah d'un instant à l'autre; ce petit était vraiment impossible et rétif à toute tentative de lui inculquer un peu de discipline. D'ailleurs, cet événement ne tarda pas: Seirei s'extirpa de sa cachette pour se réfugier entre les pattes de sa mère, curieux mais pas trop téméraire non plus.

Yluziah sourit timidement à Moïra. Elle répondit tout d'abord à sa question par un mouvement d'épaules indécis, sa tête penchant sur le côté.

- Je ne vais pas dire que je suis au mieux de la chaleur mais...

Son regard fut attiré par un changement dans sa périphérie. Quelque chose bougeait, et son attention braqua automatiquement ses yeux sur ce qui remuait. La petite chose qui bougeait n'était pas un louveteau, on ne pouvait pas la faire à Yluziah qui en avait vu plus d'un à tous les stades de développement.

Et c'était indéniablement celui de Moïra, vu sa cachette et l'odeur quasi identique à sa mère qu'il portait.

- Je... balbutia Yluziah, relevant un regard effaré à Moïra.

On aurait dit un renard, à vrai dire. Un museau long, une fourrure pétante, des pattes fines, plus fines que celles d'un louveteau. Louve européenne, elle n'avait jamais vu de coyote de sa vie.

- Je ne sais pas quoi dire... souffla Yluziah, baissant la tête et plaquant sa queue entre ses jambes, craignant une menace ou une réaction agressive de Moïra.

D'où sortait ce petit ? Elle n'avait jamais entendu parler de lui, elle ne savait même pas que Moïra avait été pleine... Voir cette petite chose lui rappela un peu le louveteau de Dyniya, et pire, celui de Hurricane...

Moïra lâcha un grondement réprobateur à l'adresse de son fils, le fusillant du regard. Celui-ci se fit plus petit mais ne semblait pas repentant du tout, alors qu'il savait très bien qu'il aurait dû rester caché jusqu'à ce qu'elle lui dise le contraire. Celui-là, une fois qu'il serait sevré, la louve arctique ne serait pas mécontente de s'en débarrasser. Elle ne tenait à se qu'il atteigne l'âge adulte qu'en mémoire de sa première portée, pour compenser son premier échec.

Moïra tourna son regard vers Yluziah, anxieuse: comment l'autre louve allait-elle réagir? Elle était la troisième a être au courant pour son petit. Enfin la quatrième, s'il fallait compter Plio, une louve n'appartenant pas à la meute d'Iselwyn. Et parmi ces individus, seules Jill et désormais Yluziah avaient vu Seirei et savaient qu'il n'était pas un loup, mais un coyote... La louve arctique ne s'étonna pas du regard effaré de l'autre louve, elle-même avait été très choquée à la naissance de son fils. Moïra hésita quelque peu sur la façon dont elle-même devait réagir. Devait-elle exiger qu'Yluziah garde le secret sur tout cela? Il n'y aurait pas de garantie que son ordre soit suivi, surtout pour quelque chose d'aussi... particulier. Et grave, surtout dans une meute qui venait récemment de changer d'Alpha. Et puis... Moïra n'avait pas l'intention de dissimuler quoique ce soit à Nikolaos, de toute façon.

« Je l'ai eu suite à une... mauvaise rencontre avec un loup dont tu as sûrement déjà entendu parler, » expliqua Moïra d'une voix douce, espérant rassurer l'autre louve sur ses propres intentions.

La louve arctique décrivait de moins en moins le loup noir qui l'avait saillie de force, comme par crainte que le nommer, même simplement en le qualifiant de monstre, pourrait le faire revenir. Elle avait aussi tendance à parler de cette rencontre comme si elle avait eu lieu entre deux étrangers et qu'elle n'avait nullement était impliquée, car cela lui permettait de se détacher de ce qui lui était arrivé et de mieux l'oublier... ou plutôt, de le refouler.

« C'est un coyote, pas un loup. Je ne comprends pas comment une telle chose a été possible... As-tu jamais entendu parler de naissances de petits qui n'appartenaient pas à l'espèce de leur mère? »

Puisqu'Yluziah était guérisseuse, peut-être avait-elle déjà rencontré des cas aussi étranges, qui feraient paraître celui-ci moins... monstrueux. D'un côté, la louve arctique était bien contente de ne reconnaître en rien le géniteur dans son fils - mais certains jours, elle se demandait si cela n'aurait pas été préférable.

Yluziah baissa la tête, soudain peinée et légèrement angoissée. Elle se souvenait de tout. De l'ambiance terrifiante, de Dyniya, de Hurricane... Moïra n'avait pas besoin de dire qui. Il seul loup avait eu une réputation de violeur, et ça n'avait pas été un loup réveillé sur Sarkan. C'était un loup dont elle ne pouvait même pas donner la nature.

Un coyote ? Yluziah ne connaissait pas cette espèce.

- J'ai... Cru à un renard, au début. Ca ressemble, un petit peu. Il n'y a pas de coyote là d'où je viens, expliqua la guérisseuse, toujours choquée. Je... Savais que ce monstre avait fait mettre bas des louveteaux vraiment bizarres, tout noirs, et je haïssais être en leur présence je...

Elle secoua la tête, tentant de remettre ses idées en place.

- J'ai eu vent d'un loup qui avait abandonné son petit, rien que parce qu'il était du monstre, et je comprends complètement.

Le petit avait tout... Eh bien d'un petit. Petit gabarit, joueur. Coyote.

- Ce loup de malheur n'a rien apporté de bon, gronda t-elle, avant de plaquer ses oreilles sur sa nuque encore plus fortement, lançant un regard désolé à Moïra.

Un renard? Moïra regarda plus attentivement son fils. Oui, il y avait une ressemblance certaine, y compris une queue assez touffue (sans doute plus pour un renard que pour un coyote, mais c'était difficile à dire sur un jeune). Enfin, lorsqu'il serait grand, il n'y aurait plus de confusion possible. Du moins pas avec les renards arctiques qui composaient les seuls représentants de cette espèce connus de la louve.

« Les coyotes sont une espèce cousine de la nôtre, en tout cas ils nous ressemblent sur de nombreux points. Je crois qu'ils vivent aussi en meute... mais je n'en suis pas certaine. A titre personnel je ne les aime pas beaucoup car ils sont en compétition avec nous pour la nourriture, et sont volontiers charognards... » expliqua la louve arctique.

Non, elle n'appréciait guère cette espèce, d'autant plus agaçante que sa rapidité la mettait hors de portée d'un règlement de comptes immédiat. Un jour, elle et son compagnon avaient été harcelés par quelques coyotes alors qu'ils se nourrissaient. Chacun de ces animaux s'approchait de la carcasse pour décamper au premier signe de danger, et il était inutile de vouloir les attraper, à moins de consentir à s'éloigner de la proie abattue pour les avoir sur l'endurance. Moïra avait été particulièrement irritée par cet épisode; et elle plaçait les coyotes sur le même rang que les corbeaux, c'est-à-dire surtout une espèce nuisible.

« J'ignorais qu'il y avait eu des naissances de louveteaux issus de ce cauchemar, » s'inquiéta Moïra en frissonnant. « De quoi ont-ils l'air? Sont-ils dangereux? »

Devoir s'occuper d'un petit possédant les caractéristiques de son père avait été l'une des grandes craintes de la louve arctique. Le fait que Seirei, son fils, soit un coyote et non un loup revenait à dire qu'il n'avait guère de ressemblance avec son géniteur - ce qui lui convenait parfaitement.

« Je comprends celles qui ont choisi d'abandonner un tel petit, même si j'aurais sans doute essayé de l'élever quand même. »

Toutefois, cela n'aurait été que par hantise d'un second échec avec une portée, et certainement pas par affection ou pitié envers le nouveau-né. Moïra, cependant, imaginait que ces louveteaux inspiraient eux aussi la terreur à tous ceux qu'ils croisaient, et non un profond dégoût.

« Cette horreur n'a effectivement rien apporté de bon, » approuva la louve arctique.

Pendant ce temps, Seirei se recroquevillait au sol, mal à l'aise. Il savait que sa mère n'avait guère d'affection pour lui et s'occupait de son fils davantage par devoir que par réelle envie. Cependant, ce n'était guère agréable de s'entendre rappeler qu'on n'était pas désiré et considéré comme une anomalie par tout le monde. Même si son père avait été mauvais, lui n'avait rien fait!

Yluziah écouta avec avidité les explications de Moïra. Il y avait tant à apprendre, qu'elle ne connaissait pas ! C'était une vraie bénédiction, parfois, cette diversité. Quand elle n'amenait pas le chaos et les conflits, bien sûr. A sa connaissance, le seul cousin éloigné du loup en Europe était le chien et leurs hybridations. Elle n'en avait pas croisé beaucoup, à part un groupe d'errants, une fois, heureusement plutôt pacifique car nomades.

L'interrogeant sur les louveteaux, Moïra provoqua un petit frisson chez l'omega.

- Eh bien... Le fils de Dyniya, par exemple. Il était tout noir, et je ne saurais l'expliquer exactement, mais j'ai eu du mal à le regarder et à rester près de lui. Il m'inspirait tant de dégoût ! J'avais du mal à garder mon sang froid face à lui... C'est inhabituel, parce que j'aime bien les louveteaux en général.

Elle passa la grossesse de Hurricane sous silence tout naturellement. C'était un épisode à mettre de côté et fissa.

- Dis, Moïra... Est-ce que nous sommes en période de famine ? demanda d'une voix un peu mal à l'aise Yluziah. Je sais que nos proies sont peu nombreuses, mais en cherchant des plantes, en général, je croise au moins des petites souris, ou des restes... Mais là, rien du tout. Et je n'ai pas vu un seul cerf depuis le froid.

Un louveteau noir, comme le monstre qui lui avait donné naissance et hantait encore les cauchemars de la louve blanche... Moïra s'imagina aussitôt une réplique miniature de l'abomination qui avait terrorisé tout Sarkan, mis à part qu'elle inspirait du dégoût et non l'effroi. Peut-être, cependant, n'était-ce là que le signe avant-coureur ou les prémices de la terreur que suscitait l'original. Peut-être que le louveteau allait évoluer de telle sorte qu'il serait un deuxième cauchemar ambulant... Il était sans doute préférable de s'en tenir à l'écart.

« Je vois. Quelque part je me sens soulagée d'avoir eu un coyote... »

Cela valait bien mieux que... ça, cette chose que décrivait Yluziah - et à laquelle Moïra avait donné des détails issus de ses plus grandes craintes, donc pas forcément très fidèles à la réalité.

« J'ai bien peur que les proies ne soient effectivement devenues très rares. Il en reste, y compris des cervidés, mais en petit nombre. Très petit. Le principal problème concerne le renouvellement des troupeaux. Il est probable que nous ne puissions pas à la fois obtenir assez de viande pour survivre et préserver l'intégralité des espèces présentes sur notre territoire... » soupira la louve arctique.

La meute ne pouvait rester éternellement sans manger, et il fallait espérer que la rareté des proies serait de courte durée... autrement, les dommages infligés aux stocks des proies pourraient bien devenir irrémédiables.

Yluziah acquiesça, le regard grave.

- D'accord. C'est bien ce qui me faisait peur, mais au moins j'ai confirmation. On ne peut pas trop prendre des proies au hasard, je comprends.

Elle comprenait aussi ce que ça signifiait. La première à avoir faim, ce serait elle. Et Jill. Les deux omegas de la meute. Puis les subalternes, et ainsi de suite. Même la reproduction au sein de la meute était en péril avec cette carence.

- Il faut que j'aille tenter de récupérer des plantes glacées pas encore annihilées. De ce côté là aussi, les réserves sont proches de zéro et c'est inquiétant. J'aurais pu donner de quoi se sentir plus forts, ou plus éveillé. Mais je me retrouve à gratter le sol gelé pour pas grand chose.

Elle observa ses pattes. Ses coussinets lui faisaient mal de temps en temps, de la neige collait entre ses doigts de patte. Elle n'appréciait pas trop ça, mais c'était l'hiver.

- Je souhaite pour tout le monde que tu fasses une chasse miraculeuse, ça c'est certain.

Moïra savait que les premiers à souffrir vraiment de la faim seraient les oméga, mais elle ne savait pas trop quoi dire pour rassurer l'autre louve. Mentir et dire que tout irait bien n'était pas son genre. Elle pouvait seulement promettre qu'elle ferait de son mieux pour assurer la survie de la meute - tout comme, elle n'en doutait pas, le couple Alpha et Hurricane. Tout en sachant très bien que cela pouvait ne pas suffire. La louve arctique soupira.

« Nous essaierons de faire au mieux. »

Moïra n'avait pas pensé au fait que les plantes médicinales étaient elles aussi plus rares à cause des températures glaciales. Elle n'était guère versée dans l'art de la guérison, mais aurait dû se souvenir de ce point en particulier... et être à court de plantes était tout aussi dangereux que d'être à court de nourriture. Si chacun ne pouvait plus compter que sur la résistance de son corps pour survivre, les maladies et les blessures risquaient d'en emporter plus d'un...

« N'est-il pas possible de trouver certaines de ces plantes au Kohinoor? Les végétaux qui y poussent doivent être habitués aux basses températures. »

Ce n'était qu'une idée en l'air, car Moïra ne connaissait vraiment rien à ces sujets. De plus, la dernière fois qu'elle avait vérifié le passage entre Iselwyn et Kohinoor était bloqué - peut-être un chemin s'était-il ouvert, mais rien n'était moins sûr.

« Je ne suis pas une chasseuse très talentueuse, mais en s'y mettant à plusieurs on pourra abattre du gros gibier. Cela devrait permettre à la meute de tenir. »

A priori, la meute comptait trois chasseuses: Nikolaos, Hurricane et Moïra. La louve arctique estimait qu'elles devraient bien réussir à abattre les plus grosses bêtes que l'on pouvait trouver sur Iselwyn.

Yluziah secoua la tête et afficha une mine désolée.

- Je ne suis pas en mesure de savoir si le Kohinoor a encore des plantes, je n'y ai pas du tout accès. Je n'ai ni la condition physique ni les moyens de passer la limite. Quant à Neona, je n'ai rien trouvé du tout, aucun indice la première fois que j'y suis allée et j'avoue ne pas avoir beaucoup de courage a l'idée d'attendre une marée basse pour traverser en hâte et chercher là bas.

Et surtout : Elle n'en avait pas les forces. Absolument pas.

- Si tu as besoin de mon aide, je serai là. Je ferai aussi mon possible pour assurer de mon côté en cas d'engelures ou d'autres maux.

Parfois, Yluziah espérait avoir des pouvoirs magiques. Le genre qui permettait de tout guérir, même sans plante, mais elle n'avait rien de plus que sa mémoire et sa pratique. Ce qui était certes beaucoup, mais trop tributaire des stocks.

Au moins, le manque de nourriture affaiblirait les proies, du moins un peu. Mais des animaux dans la force de l'âge avaient une endurance impressionnante, surtout les herbivores.

Que Yluziah ne soit pas en mesure de se rendre sur le Kohinoor ne surprit pas la louve arctique. Au vu de l'état du passage entre les deux territoires la dernière fois qu'elle l'avait vu, c'est le contraire qui aurait été étonnant. Elle-même n'aurait pas pris le risque de s'aventurer à essayer de franchir la frontière.

« Je ferai attention. Si je reste en bonne santé, cela toujours cela de moins à prélever sur les stocks qui te restent. »

La louve arctique était dans la pleine force de l'âge, et elle était plus adaptée aux températures polaires que le reste de la meute. Elle se jura qu'elle n'irait voir Yluziah qu'en dernier recours, que si elle n'avait vraiment pas d'autre choix. Elle en serait sûrement capable, non? Même si elle avait froid... elle en avait l'habitude. Son corps savait certainement résister à ce climat, autrement elle serait déjà morte dans sa meute natale. Son fils, en revanche... il était peu probable qu'il en soit de même. Eh bien, il resterait au chaud, à la tanière. Lui aussi n'aurait des soins que s'il n'y avait vraiment pas le choix - parce que Moïra n'avait aucune envie de dépenser quoique ce soit de précieux à la meute pour lui.

« N'est-il pas possible de trouver certaines de ces plantes au Kohinoor? Les végétaux qui y poussent doivent être habitués aux basses températures. »

Ce n'était qu'une idée en l'air, car Moïra ne connaissait vraiment rien à ces sujets. De plus, la dernière fois qu'elle avait vérifié le passage entre Iselwyn et Kohinoor était bloqué - peut-être un chemin s'était-il ouvert, mais rien n'était moins sûr.

Yluziah hocha du chef.

- Si j'ai accès au Kohinoor, il y a beaucoup de chances que je trouve des plantes adaptées au froid, ou même des sèves qui m'offriront le moyen de combattre quelques afflictions de l'hiver.

La phrase de Moïra était rassurante, mais à la fois un peu inquiétante pour la guérisseuse en elle.

- Si tu as des engelures, quand même, ne laisse pas traîner, tout comme une toux qui sonne un peu trop profondément dans la cage thoracique. Si c'est pris à temps, c'est très facile à soigner, mais trop tard, c'est une calamité.

Yluziah s'étira et son poil s'ébouriffa, la faisant ressembler un peu plus à une peluche, mais son museau plutôt fin trahissant sa nature malingre.

- En tout cas, c'était un réel plaisir de parler avec toi, Moïra. C'est agréable de savoir ce qui se passe et de pouvoir discuter simplement.

Il fallait qu'elle se remette à bouger où elle allait commencer à se transformer en statue de glace.

MoÏra fut quelque peu soulagée d'apprendre qu'il serait effectivement possible de trouver des plantes médicinales dans le Nord - une fois que son accès serait dégagé, certes, mais c'était mieux que rien.

« Si j'attrape quelque chose qui ne s'arrange pas tout seul au bout de quelques jours, je viendrai te voir, » répondit la louve.

La louve arctique avait conscience du fait qu'en laisser traîner une maladie ou une blessure, elle pouvait devenir plus difficile à guérir. Cependant, la femelle se montrait souvent obstinée en refusant d'aller demander des soins tant que son travail quotidien n'en était pas gêné. Ce n'était pas nouveau, d'ailleurs. Que des faiblesses du corps puissent l'empêcher d'accomplir son devoir l'avait toujours particulièrement agacée. C'était comme l'existence de solitaires: une épine enfoncé dans la patte, qu'on ne pouvait ni ignorer ni retirer, et qu'il était donc nécessaire de tolérer bon gré mal gré.

Yluziah s'ébouriffa, ce qui la fit paraître plus volumineuse et en meilleure santé. Mais, bien sûr, ce n'était qu'une apparence. Moïra pria pour que les proies reviennent et que ce froid infernal s'atténue, car la meute en souffrait vraiment, et les oméga tout particulièrement.

« Ce fut également un plaisir de faire ta connaissance, Yluziah. Surtout, n'hésite jamais à venir me voir ou à m'appeler si tu as des ennuis, je ferai toujours mon possible pour t'aider. Même si ce n'est que porter des plantes que tu as récoltées. » dit Moïra en souriant à la guérisseuse.

Après tout, il serait quand même idiot qu'il lui arrive quelque chose parce qu'elle essayait de ramener plus d'herbes qu'elle ne pouvait en porter seule, tout comme il était préférable que la meute se retrouvait avec davantage de plantes médicinales. Cela dit, peut-être que transporter ces herbes ne nécessitait pas beaucoup d'efforts. La louve arctique ne savait pas très bien si Yluziah les récoltait au fur et à mesure de ses voyages ou si elle en prenait beaucoup en une seule fois.

« Sur ce, je vais poursuivre ma ronde. »

Il fallait être très vigilant, ces derniers temps. Solitaires et rebelles n'étaient pas les seuls affamés, il n'était pas exclu que des loups d'autres meutes viennent se servir sur Iselwyn.

Yluziah sourit doucement mais sincèrement à Moïra.

- Bien sûr, je n'y manquerai pas. C'est bon de savoir que je peux avoir confiance en toi même pour un truc aussi trivial. Je vais moi aussi repartir à la chasse aux racines et aux tiges.

Ce qu'elle espérait surtout, c'était pouvoir voir Moïra encore des années. Plus que ça même. En bref, que son monde resterait équilibré pendant encore un moment.

- On se reverra peut-être près de la tanière, à bientôt !

La guérisseuse se mit à marcher de son côté, s'éloignant de Moïra un petit sourire crispé et timide aux lèvres. Il était relativement automatique, tout comme sa posture soumise.

On ne se refaisait pas.