A travers le froid de l'hiver

Syliah avait attendu que le soleil commence à descendre dans le ciel pour sortir de sa tanière improvisée qui était située à la Taïga du Silence. Plus les jours passaient et plus elle avait du mal à contenir Sorrow qui se faisait de plus en plus aventurière malgré son caractère très réservé. C'était normal, elle n'était pas loin d'avoir deux mois et elle avait envie de découvrir le monde. Se balader devant la tanière ne lui suffisait plus. Elle avait envie de plus. Elle voulait voir les autres bébés coyotes. Surtout depuis qu'elle avait rencontré Kayla - la fille de Kayleen - sur la plage Amaris, sur Neona. Puis, elle avait entrevu à plusieurs reprises Baile, un coyote vivant sur le Kohinoor même. Le fils de Eira. Mais elle n'avait pas encore eu l'occasion de le voir et de jouer avec lui. Parce que Syliah essayait de la garder cachée un maximum, de peur d'avoir l'avis de Selene sur cette dernière.

Une fois que la nuit commença à tomber, la louve arctique appela sa fille à la suivre et elles se dirigèrent ensemble vers la Kailash. C'était l'endroit où elle avait rencontré ce grand loup noir de malheur, le père de Sorrow. Elle n'y avait toujours pas remit les pattes, depuis ce jour là. Elle ne pouvait pas, c'était psychologique. C'était plus fort qu'elle. Pourtant, aujourd'hui, elle avait décidée d'être plus forte que ses appréhensions et que ses craintes que le loup noir aux yeux rouges sang avait éveillé chez elle, et elle avait décidé de montrer la Kailash à Sorrow. Parce qu'elle voulait absolument apprendre à sa fille à pêcher. Ça restait une technique de chasse importante à connaitre. Lorsque le gibier manquait, les poissons - le plus souvent du temps - ne manquaient pas, eux.

Syliah s'arrêta face à la Kailash et entra dans l'eau, lorsque le niveau de la Kailash se faisait peu profond. Le courant n'était pas très fort mais elle n'autorisa pas Sorrow à venir dans l'eau. Elle ne voulait pas qu'elle chope la crève ni qu'elle risque d'être emportée par le courant. En bonne élève, Sorrow s'était assise sur le bord de la rive, observant sa mère faire. Vu qu'elle n'avait pas besoin de se nourrir et que les proies se faisaient rares, Syliah avait décidé de juste pêcher un poisson et de le relâcher ensuite dans l'eau. La louve blanche observait avec attention la surface de l'eau, guettant le passage des poissons. Effectivement, ils se faisaient rares... Ce qui l'agaça. Un poisson finit tout de même par passer entre ses pattes et elle plongea brusquement la tête dans l'eau, chopant le poisson entre ses puissantes mâchoires. Sans trop serrer pour ne pas le tuer. Elle sortit ensuite de l'eau et rejoignit sa fille qui semblait admirative.

« Whaou, bravo maman ! »

Jappa Sorrow, en sautillant tout autour de sa mère, toute excitée par cette nouveauté. Sorrow adorait apprendre en compagnie de sa mère et en plus de ça, chaque jour elle apprenait de nouvelles choses.

Syliah posa le poisson au sol pour parler à sa fille mais posa sa patte dessus afin qu'il ne s'échappe pas. Elle n'avait pas tout expliqué à sa fille concernant ces bêtes à écailles.

« Tu vois ça ? Ça s'appelle un poisson. C'est plutôt visqueux au touché mais c'est très bon à manger. C'est pas du tout pareil que la viande, certains aiment et d'autres n'aiment pas. Ce sera à toi de voir si tu apprécies le goût ou pas. Tu as vu comment je m'y prenais pour en attraper ? Ce n'est pas compliqué mais il faut pas mal de patience. On en attrape pas si vite en règle générale. Je te laisserais essayer d'en attraper un dans quelques jours. On verra si c'est acquis. C'est important de savoir pêcher Sorrow. Bon, maintenant je vais le relâcher. Ça ne sert à rien de le tuer alors qu'on a pas faim. »

Souffla Syliah avant de récupérer le poisson entre ses dents. Ce dernier commençait à gesticuler. Il devait commencer à souffrir de ne pas être dans l'eau. La louve se préparait à le balancer dans l'eau quand elle sentit une odeur connue. Elle tourna brusquement la tête et ce qu'elle vit la laissa stupéfaite. Si bien qu'elle serra les dents, explosant littéralement le pauvre animal qui se trouvait bloqué entre ses mâchoires. Les mouvements du poisson cessèrent et Syliah rouvrit la gueule en s'apercevant de sa connerie. Le cadavre du poisson tomba au sol et son sang se déversa sur la neige jusqu'à présent immaculée.

« Maman ! Tu avais dis que... »

Commença Sorrow, avant de se raviser en voyant que sa mère semblait totalement absente. Elle voyait tout juste que son poil au niveau de son échine s'était hérissé. Son regard se porta alors sur l'horizon et elle découvrit la silhouette d'un autre loup qu'elle ne connaissait pas. Son odeur lui piquait la truffe en plus de ça. Il sentait pas comme le Kohinoor, ça c'était sûr et certain. Elle resta derrière sa mère, assez trouillarde, préférant juste surveiller du regard l'inconnu qui se rapprochait d'elles.

« Et merde, manquait plus que lui... »

Jura Syliah dans un murmure mi agacé, mi énervé. Elle ne prêta même plus attention à son poisson, préférant de loin fixer Sköll qui arrivait dans sa direction. Elle se demandait juste ce qu'il venait faire sur le Kohinoor, lui qui venait d'Annalee... Encore un qui allait se plaindre comme quoi le Kohinoor était un enfer et qu'il se pelait les miches et qu'Annalee c'était le paradis et pia-pia-pia et pia-pia-pia...

Syliah fixait toujours Sköll de son regard bleu. Son air agacé et énervé avait disparu de son visage. Il fallait avouer que même si ça l'emmerdait qu'il revienne vers elle inévitablement, elle était aussi heureuse de le voir. Un peu trop même... À cette pensée, elle eut envie de plonger la tête dans la neige, voir si ça la calmerait. Elle n'aimait pas avoir de pensées si positives envers des loups d'Annalee et d'Iselwyn. Pire encore, elle détestait l'idée d'apprécier un mâle. Encore une preuve qu'avec Sorrow elle se ramollissait. Son sentiment de honte augmentait de plus en plus au fil des jours.

Syliah lisait la surprise sur le visage du mâle. Ses yeux étaient grands ouverts et sa bouche s'était ouverte sans qu'aucun sons n'en sorte. Le regard de Sköll était rivé au loin. Ou plutôt derrière Syliah. La louve devina alors ce qu'il fixait avec autant d'attention et de surprise ; Sorrow. Son sentiment de honte monta en flèche, lui brûlant les joues et embrasant sa peau sous son épaisse fourrure blanche. Elle baissa le regard, le rivant sur le poisson qui gisait à ses pattes. Les paroles de Dragan lui revenaient sans cesse en tête. "C'est quoi au juste, comme louveteau ? Et en fait, t'étais sur Annalee ? C'est pour ça qu'il a cette couleur ?". Le fait qu'il ait tout de suite pensé qu'elle était partie sur Annalee pour expliquer la présence de Sorrow l'avait faite irrémédiablement penser à Sköll. C'était le seul loup d'Annalee avec lequel elle s'entendait bien. C'était le seul qu'elle considérait capable d'être un bon père, même si pour elle, un géniteur ne l'intéressait absolument pas. Sorrow n'avait pas balayée son dégoût qu'elle avait pour les gamins. Ça ne l'intéressait pas, elle voulait juste vivre sa vie et accéder au pouvoir. Comme dans son ancienne vie. Elle ne voulait pas d'entraves à sa liberté, ce que les gamins représentaient pour elle. Elle le voulait pas d'amour. Elle ne voulait pas revivre tout ça, le bonheur et la douleur. Elle avait fait une croix dessus.

Elle releva finalement la tête, même si son sentiment de honte ne l'avait pas quittée. Elle ne regarda pas spécialement Sköll. Son regard se contenta de croiser le sien, et elle le riva ensuite sur un point à l'horizon, non loin derrière le mâle pour qu'il ait cette impression qu'elle le regardait.

« Bonsoir Sköll. »

Sa voix restait douce, presque trainante. Les temps étaient durs avec l'arrivé du froid et élever Sorrow lui coutait énormément d'énergie.

En l'observant, elle remarquait qu'il se forçait à ne pas trembler. Et malgré ses efforts, elle devinait assez aisément qu'il avait froid. Très froid. Il avait bravé le froid pour avoir de ses nouvelles... cette idée lui fit plaisir mais la rendit également furieuse. Il n'avait pas à se préoccuper d'elle ! Ils n'étaient ni amis, ni de la même famille... Ils n'avaient aucuns liens qui lui donnait une raison de vouloir prendre de ses nouvelles ! Elle l'appréciait, il lui avait même été d'une précieuse aide ces derniers temps, mais elle ne voulait pas qu'il entre ainsi dans sa vie et dans ses pensées. Elle voulait qu'il s'éloigne. Il lui demanda le nom de sa fille. Syliah posa son regard bleu sur la petite rouquine qui batifolait joyeusement dans la neige. Puis elle plongea son regard bleu océan dans celui de Sköll.

« Je vais bien. Elle s'appelle Sorrow. »

Répondit-elle simplement. La petite coyote, quant à elle, était peu intéressée par cette discussion d'adulte ennuyeuse. Elle préféra jouer avec un petit cailloux puis surveiller le poisson mort qui gisait au pattes de sa mère. Elle huma son odeur et fit une grimace de dégoût. Beurk ! Que ça puait ce truc... !

Syliah eut finalement pitié de Sköll. Elle se rapprocha de lui mais laissa quelques centimètres entre eux.

« Si tu as trop froid, je te permets de profiter de ma fourrure. J'aimerais que t'évites de mourir de froid sur le Kohinoor. »

Souffla la louve arctique avec un léger sourire. Puis honnêtement, devoir aller jusqu'à Annalee pour ramener le corps du mâle, ça ne l'enchantait pas plus que ça. Quoique, elle aurait apprécié de revoir Moonlight, mais elle doutait assez fortement que cette dernière partagerait le point de vue de Syliah. En tout les cas, Skoll ne pourrait pas rester bien longtemps sur le Kohinoor avant d'avoir des séquelles dues au froid.

Syliah soupira aux paroles de Sköll concernant l'avis des alphas vis-à-vis des petits nés des viols de Draugluin. Pour une fois dans sa vie, Syliah s'était montrée lâche. Elle avait caché l'existence de Sorrow aux membres de sa meute et surtout à ses alphas.

« J'ai caché la naissance et l'existence même de Sorrow à tout le monde... Tu... Tu étais le seul à savoir pour... Le loup noir. »

Lui avoua-t-elle, en faisant une légère grimace de dégoût à l'énonciation du loup noir. D'ailleurs, elle n'avait même pas prononcé le mot viol. Elle ne supportait pas ce mot, encore moins parce qu'elle en avait été victime. Ça ne lui plaisait pas de donner une preuve aux autres qu'elle avait été trop faible pour tenir tête au loup noir il y avait quelques mois de ça. Et puis... elle refusait de l'admettre elle même, là était la complication.

« Tu n'as pas à t'inquiéter pour moi. Je te dois beaucoup mais... Ne prends pas de tels risques pour moi. »

Elle voulait lui faire comprendre qu'ils ne se devaient rien. Qu'ils pourraient vivre chacun de leur côté et peu importe ce qui arrivait à l'autre. Ils n'avaient aucuns comptes à se rendre. Ils n'avaient pas à s'inquiéter pour l'un et pour l'autre. C'était si... stupide.

La louve arctique détourna son regard de Sköll pour observer sa fille qui jouait toujours en jappant joyeusement après une plume de corbeau. Sa fille... ce mot la gênait toujours. Jamais elle n'aurait pensé un jour devoir dire ce mot avec "ma" devant. Syliah redressa brusquement la tête, plongeant ses yeux bleus dans ceux du mâle d'Annalee lorsqu'il avoua que Sorrow avait de jolis yeux et qu'on aurait dit les siens. Elle se contenta de soupirer. La couleur de ses yeux n'avait rien de charmant. S'il aurait su...

« Elle aura au moins la chance de les avoir sans finir complètement aveugle. Les yeux bleus ne sont pas forcément un cadeau. »

Se contenta-t-elle de soupirer. Au début, en voyant Sorrow si différente, elle avait même cru que c'était son gène de chien qui s'était réveillé, malgré toutes ces générations passées. Voir d'autres petits coyotes l'avait rassurée. Elle se voyait mal donner naissance à des chiens-loups. Puis... il n'y avait pas de raison, ses parents étaient des loups purs. Pas de raison qu'elle fasse autre chose que des louveteaux. La louve blanche acquiesça simplement silencieusement aux paroles de Sköll qui disait qu'il ne devrait pas tarder à rentrer puisqu'il n'avait pas le droit d'être ici. Il avait raison. Syliah elle même était en tord actuellement, pour ne pas chasser Sköll d'ici.

« Je te comprends. Cherokee... je ne l'ai jamais porté dans mon coeur. Je ne comprendrais décidément jamais Moonlight. »

Souffla-t-elle, un instant pensive.

« Remarque... Le coeur à ses raisons que la raison elle même ignore... Ça ne se contrôle pas. »

Continua-t-elle, avant de porter son regard sur sa petite rouquine. Hum, le coeur... Une machine bien complexe. Il parlait parfois si fort que le cerveau se taisait, préférant le laisser choisir. Le coeur choisit d'une manière plus véritable que le cerveau. Mais le cerveau, lui, contrairement au coeur, choisit de la manière la plus "censée" et sécuritaire... C'était comme ça. Syliah alla récupérer son poisson, appela Sorrow et prit la direction de la taïga.

« Che ne te raccompagne pas. Tu connais le chemin je préchume. »

Souffla-t-elle en serrant bien le poisson entre ses dents pour ne pas le perdre, avant de s'en aller en trottinant, Sorrow sur ses talons.

( Out ^^ )