J'ai peur et j'ai froid...

Keelin trottinait sur la croûte d'Api Bara. Elle évitait le plus possible l'île principale après avoir entendu qu'un loup monstrueux y rôdait. De rumeur, c'était devenu une certitude. Elle ne savait pas ce qu'était cette bête, mais ça n'avait rien de rationnel. Et ce qu'elle ne pouvait expliquer, elle fuyait.

En réalité, ce n'était pas tant la présence de ce mâle que ce qu'il faisait qui la terrifiait. Il avait... Un pouvoir. Quelque chose qui vous faisait être paralysé. Elle ne savait pas si c'était une sorte de venin, ou un regard bizarre. Mais Keelin avait la peur chevillée au corps en entendant les dires qui montait de chaque meute. Violeur. Tueur. Mutilateur. Keelin faisait tout pour l'éviter. Elle se dit que Neona était un endroit plus sûr...

Elle n'y voyait que goutte. La lune était complètement noire et les étoiles étaient de bien pâles et inutiles pour voir au delà d'un ou deux mètres.

Draugluin était à sa puissance maximum. La lune était complètement cachée et il avait attaqué, violé et mieux encore : tué. La femelle noire avait souffert sous ses crocs. Il l'avait massacrée et s'était senti si puissant. Il se lécha une fois de plus les babines. Son nez au vent, il cherchait le hurleur. Celui pour qui il était là. Qu'il voulait mettre en pièces. Mais son odorat attrapa une odeur autre. Celle d'une femelle, passée par là moins d'une heure avant.

Il se lécha les babines et se mit en chasse. Continuer sur sa lancée de déchéance, c'était ce qu'il lui fallait.

La femelle se tenait devant lui, sur la croûte craquée d'une zone qui ressemblait à de la lave séchée. Il s'approcha sans un bruit. Son aura ferait le reste pour lui.

Soudain, un frisson agita son échine. Ses oreilles se plaquèrent sur son crâne. Elle était perdue, se sentait incapable de penser correctement. Tout ce qu'elle pensait, c'était danger. A vivre en solitaire, on s'habituait surtout à croire en son instinct, celui qui vous chuchotait que quelque chose de vraiment mauvais était tout près.

Dans une telle obscurité, elle se dit que marcher était le meilleur moyen de se prendre un loup dans la face. Et si il y avait un danger, elle ne voulait pas marcher droit dans la gueule du loup.

Keelin frissonna à nouveau, plus fort cette fois-ci. Ses muscles commencèrent à lui faire mal, comme avant une crampe. Et elle se sentit collée au sol. La panique monta en elle et elle se mit à hyper ventiler. Sa queue se lova entre ses jambes tandis qu'elle baissait la tête et que ses oreilles s’aplatissaient encore plus sur sa tête.

Draugluin vit les reflets de la fourrure de la femelle devant lui. De sa gorge monta un grognement qui sembla fort au vu du silence autour d'eux. Sa masse fit craquer une zone plus sèche, elle savait qu'il était là maintenant. Mais elle ne bougeait pas. Tous ses muscles semblaient tétanisés. Il se lécha les babines, faisant luire ses crocs monstrueux au passage de sa grande langue.

Elle était dans une position plutôt soumise mais de son odeur ne parvenait à Draugluin que des relents plus mélangés, comme si elle passait par tous les endroits régulièrement. Elle avait mis sa queue entre ses cuisses, mauvaise idée. Il devrait encore la convaincre avec la gentillesse qui le caractérisait.

Le mâle énorme s'approcha de sa croupe et l'observa de plus près. Une carrure assez solide, taillé pour la vie en solitaire. Et puis c'était une femelle, et peu importe sa tête, il avait envie de la transformer en nouvelle mère porteuse. Il grimpa sur son dos et la saisit à la nuque, mordant plus fort que d'habitude pour qu'elle ne se fasse pas d'illusion. Il allait gagner.

[Si tu veux lancer les dés, tu peux]

Keelin se mit à trembler. C'était léger, comme un frisson permanent, mais tous ses poils étaient gonflés de peur, son regard fou scrutant l'obscurité pour trouver quelque chose, une aide, une échappatoire. Ce qu'elle n'aurait de toute façon pas pu atteindre. Sa gorge était serrée, ne laissant que de brefs souffles et gémissements aigus s'échapper, tandis que son corps lui faisait mal, incapable de bouger.

Dès qu'il grimpa, Keelin poussa un jappement non seulement effrayé, mais de douleur. Les deux crocs supérieurs du monstrueux animal venaient de percer la peau épaisse de son cou. Même si elle avait là une couche de poils et un peu de gras, cela faisait un mal de chien, surtout au vu de la tension générale de son corps.

La sensation que son esprit se dissociait de son corps fut intense. D'un coup, ce fut comme un flottement. Sa queue s'écarta et elle ne bougea plus, se contentant de respirer par petits à-coups. Dans sa tête, en revanche, elle était ailleurs. Elle revoyait le mâle qui l'avait saillie, un peu par hasard. Puis sa fausse-couche. C'était loin... Et elle ne ressentait rien. Elle vit aussi son ancienne vie, de magnifiques endroits. Quiconque l'aidait ce soir là, c'était bien son esprit. Il la protégea de l'infâme réalité du mâle la prenant comme une vulgaire pièce de viande. Elle ne ressentit pas la douleur, ni la larme qui roula sur son museau, ni l’hyper salivation provenant du dégoût qu'il lui inspirait. Rien que son esprit qui tentait de la protéger de cet acte qui menaçait sa santé psychique.

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'Rejeton de Draugluin' :
J'ai peur et j'ai froid... XtAmx1h

Draugluin termina sa petite affaire et descendit, se léchant les crocs à peine teintés du sang de la femelle. Il s'ébroua et fit demi-tour en direction du reste de Neona, laissant la femelle à son sort. Advienne que pourra.

Qu'elle n'ait plus couiné après ça l'avait un peu frustré... Il était prêt à retourner au combat ou à la saillie. Ma foi, pourquoi pas les deux. Mais avant tout, il voulait trouver ce cafard de prophète.

Keelin se laissa doucement tomber à plat, comme un animal tiré dans le flanc. Elle haleta et resta immobile, sous la voûte céleste noire d'encre piquetée d'étoiles. Son corps était encore insensible jusqu'à ce qu'un vent lui caresse la fourrure. Il était froid. Glacial même. Keelin se recroquevilla en une boule et se mit à pleurer. Sans un seul sanglot, mais ouvrant les vannes de ses larmes, comme pour se débarrasser de ce qu'il avait fait. Du souvenir.

[Terminé]

» Apres le froid... encore du froid!
» j'ai eu si peur...
» Un peu trop froid
» Un froid inquiétant
» A l’abri du froid advenant. [FINI]