Seul sans l'être [ Prio Syliah ]

Pour la première fois depuis son retour sur le Kohinoor, après son long exil, Syliah s'aventurait sur les terres neutres que représentait Khthonia. Elle n'avait d'ailleurs pas choisi au hasard la terre de Khthonia sur laquelle elle était venue reprendre ses marques, bien au contraire. La jolie louve blanche s'était dirigée vers la Galerie du Reflet. Elle espérait que la température y serait clémente, bien qu'elle en doutait réellement.

Lorsqu'elle arriva dans la galerie ses doutes se confirmèrent ; chaque terre présente sur Sarkan était victime de cette étrange et désagréable canicule. La roche sous ses coussinets était horriblement brûlante comparée à d'habitude. Syliah serra les dents, gênée par cette sensation désagréable de brûlure sous ses pattes. Ses coussinets étaient faits pour le givre et la neige, pas pour la roche brûlante. Elle avait l'impression de marcher sur des braises. Il n'y avait pas d'air dans cette grotte et elle avait l'impression d'étouffer. Quel horrible endroit par ce temps ! Un vrai four. Syliah laissa sa langue pendre sur le côté de sa gueule entrouverte. Son épaisse fourrure initialement conçue pour la protéger des froids polaires lui tenait bien trop chaud dans cet endroit par ces températures affolantes. Son seul moyen de se rafraichir était d'haleter, bien qu'elle détestait le faire. Elle trouvait que cette activité était le propre des cabots de salon...

Syliah s'arrêta finalement dans un coin de la galerie des reflets, fermant sa gueule et rentrant sa langue. Elle venait de remarquer qu'elle n'était plus tout à fait seule ici. Elle huma rapidement l'air et devina que le fameux inconnu était de Iselwyn. Elle ne s'emporta pas pour autant. Ils étaient en territoire neutre, il n'y avait donc aucune raison de se chercher des puces.

Ses yeux bleus restaient fixés sur la silhouette du mâle d'Iselwyn. Elle se méfiait de lui malgré tout. Ne jamais accorder sa confiance à un inconnu et même à ses alliés dont elle ne connaissait pas toute l'histoire, c'était sa règle première. Mieux valait être trop strict plutôt que trop lâche dans ses principes.

Syliah remarqua qu'il souffrait presque autant qu'elle de la chaleur qui régnait actuellement sur l'île. Décidément, personne n'était épargné par ces conditions climatiques hors normes. L'inconnu la salua d'un bref mouvement de tête auquel la louve du Kohinoor ne répondit pas. Elle l'analysait silencieusement. Il avait maintenu une certaine distance entre eux, il marquait déjà un bon point. Il ne s'appuyait pas sur un excès de confiance, ce qui laissait présager qu'il avait un minimum de cervelle et surtout de bon sens. Enfin un loup digne de ce nom qui ne ressemblait pas à un de ces toutous de salon.

« Salut. »

Finit-elle par souffler, répondant enfin au salut du mâle.

Elle continua de l'observer silencieusement. Elle ne le quitterait pas du regard tant qu'elle ne saurait pas un minimum de choses sur lui. Il restait un potentiel ennemi, d'autant plus qu'il venait d'Iselwyn. Syliah se méfiait des inconnus, on ne savait jamais ce qu'ils avaient dans la tête, certains étaient bien imprévisibles.

Il se nettoyait bêtement. Lui faisait-il assez confiance pour se permettre de la quitter des yeux ? Il aurait pu tomber sur quelqu'un de moins juste qu'elle... Bref, un mauvais point pour lui. Ne jamais se permettre de quitter un inconnu des yeux surtout quand on le connait que depuis cinq minutes. Il était jeune et ne semblait pas très dominant, ce qui atténua l'agacement de la louve blanche. Peut-être n'avait-il jamais vécu de mauvaise expérience concernant des rencontres avec les mauvaises personnes.

« Je suis du Kohinoor. C'est la seule meute qui puisse - en temps normal - accueillir les loups arctiques. »

Répondit-elle, son regard bleu toujours posé sur le jeune mâle. Syliah s'étira rapidement avant de finalement s'assoir à quelques mètres du loup Iselwynien. Une fois assise face à lui, elle plongea son regard perçant dans le sien.

« Je suis Syliah. »

Souffla-t-elle d'une voix calme et neutre.

Le fait qu'elle se rapproche de lui n'était absolument pas un signe de confiance qu'elle lui accordait. Elle se rapprochait de lui parce qu'elle le connaissait un peu mieux et qu'elle savait désormais qu'il n'était pas du genre à lui bondir dessus pour lui chercher des puces et lui prendre la tête. Néanmoins, elle n'était pas venue vraiment près de lui. Au contraire, elle avait gardé une bonne distance de sécurité entre eux, d'environ une ou deux longueur de loup. De toute façons, s'il voulait jouer à l'imbécile, il s'en mordrait bien vite les doigts. Elle était pas vraiment du genre commode lorsqu'on l'énervait et qu'on la prenait de court.

« Effectivement, je sais de quelle meute tu viens. Iselwyn. Je connais bien votre odeur. Presque aussi bien que celle d'Annalee. Vous sentez la forêt. Le bois. La mousse. L'humidité. »

Lâcha-t-elle avec un petit rire sarcastique, légèrement moqueuse sur l'instant. C'était pas de la méchante moquerie, simplement qu'elle aimait taquiner les loups des territoires ennemis. La raillerie, c'était un peu son dada. Tout comme le fait de déstabiliser ses interlocuteurs. Son regard bleu se fit d'ailleurs légèrement plus insistant sur le mâle. Syliah écouta les paroles du mâle qui se plaignait de la chaleur qui régnait sur Sarkan depuis quelques jours déjà. Un sourire joueur se dessina sur ses lèvres tandis qu'elle se relevait et décrivait un cercle autour du dénommé Aiko.

« Ouh, c'est vrai qu'il fait chaud ici, tu ne peux même pas t'imaginer à quel point. »

Gémit-elle d'une petite voix digne d'une diva. Elle s'ennuyait simplement, et elle avait trouvé un moyen de se soustraire à l'ennui. Jouer un rôle de séductrice lui plaisait pas mal, premièrement pour tester son pouvoir de séduction et que deuxièmement, si elle pouvait le rendre mal à l'aise, ça l'amuserait d'autant plus.

Les dernières paroles du dénommé Aiko tombèrent, pour ainsi dire, dans le vide. Elle l'avait écouté que d'une oreille, retenant bien évidemment le fait qu'il ne faisait parti qu'en moitié à cette meute. Un indécis ? C'était l'image qu'il donnait à la jolie louve blanche ; d'avoir les fesses entre deux chaises. Mais elle ne lui en voulait pas puisqu'elle même, à son arrivée sur Sarkan, elle s'était retrouvée dans cette situation, d'avoir les fesses entre deux chaises.

Syliah était particulièrement dure à cerner et à comprendre. Premièrement parce qu'elle n'agissait jamais de la même manière avec ses différents interlocuteurs. Ses rencontres ne se passaient jamais de la même façon. C'était son côté imprévisible qui voulait ça. Peut-être était-elle également un poil lunatique... possible. Deuxièmement parce qu'elle ne se confiait quasiment jamais aux autres. Finalement, personne ne connaissait réellement son histoire ici. Hormis Selene qui en connaissait un petit bout car, avec le temps qui passait, elle était devenue un peu comme sa soeur, comme sa confidente. Avait-elle tort de lui accorder tant de confiance et d'amitié ? Parfois elle se le demandait, car, qui sait, peut-être que tout ces sentiments n'étaient pas réciproques.

Lorsqu'elle eut fini son cercle qu'elle venait de décrire autour d'Aiko, ce dernier s'avança vers elle et la frôla légèrement. Syliah sentit tout juste leurs fourrures s'effleurer et elle sentit les poils de son garrot se hérisser légèrement. Dire qu'elle appréciait les contacts rapprochés aurait été un mensonge. Pourtant, le fait que ses poils se hérissent légèrement n'était absolument pas un signe d'agressivité. Simplement de surprise et peut-être même de défense. Contacts voulait dire rapprochements. Et rapprochements avec un mâle, ça la gênait. Elle n'appréciait pas plus que ça la gente masculine, il fallait l'avouer. Cependant elle n'abandonna pas ce jeu, et sans le quitter du regard, elle décrivit de nouveau un cercle autour de lui, mais plus rapproché, laissant ainsi leurs fourrures s'effleurer cette fois ci.

Ils avaient donc au moins un point commun ; leur difficulté à se confier aux autres tant qu'ils n'avaient pas une confiance absolue en ces derniers. Syliah restait quelqu'un de très méfiant. Elle n'y pouvait rien, c'était dans sa nature. Elle s'était forgée ainsi. La méfiance, c'était sa protection envers les inconnus qui pouvaient lui vouloir du mal. La louve avait simplement apprit, avec le temps, à faire attention à ses connaissances. C'était pour cela qu'elle paraissait si froide aux premiers abords.

Le regard azur de Syliah ne quitta pas celui ébène du mâle. Elle pu d'ailleurs constater que le poil du mâle brun s'était lui aussi légèrement hérissé suite à son contact. Se ressemblaient-ils autant ? La louve blanche était bien curieuse d'en connaitre un peu plus sur cet inconnu venant d'Iselwyn. Syliah sentit le museau d'Aiko lui effleurer le haut du dos sans aller trop loin et, pour une fois, elle ne broncha pas. Elle s'éloigna simplement de lui, remettant un peu de distance entre eux. Son regard resta plongé dans celui du mâle, inquisiteur.

D'un côté, elle se sentait curieuse sur l'histoire du mâle, effectivement. Mais d'un autre, elle n'avait pas spécialement envie de le connaître davantage. C'était plus fort qu'elle, connaitre quelqu'un c'était forcément devoir le laisser te connaitre un minimum en retour. Et laisser quelqu'un te connaitre, c'était lui laisser une occasion de te détruire. Ce n'était pas pour rien qu'il n'y avait que Selene qui avait eut le droit à une Syliah qui se dévoile. C'était de la méfiance envers les inconnus et, une fois de plus, elle n'y pouvait rien, c'était dans sa nature. La méfiance était un comportement qui lui était encré.

Le contact physique, ce n'était pas son truc également, il fallait l'avouer. Elle aimait jouer, mais sur ce coup là, elle s'était bien plantée. En réalité, elle n'avait pas imaginé que le loup se joindrait à elle dans le jeu qu'elle avait lancé. La louve blanche pensait qu'il se serait contenté de la regarder bêtement et timidement, comme la plupart des loups qu'elle avait croisé de par le passé. Syliah observa Aiko marcher jusqu'à une ouverture dans la paroi de la Galerie du Reflet. Il l'invitait à venir avec lui. Elle n'y répondit pas. La louve resta longtemps à sa place, immobile, sans mot dire. Juste à l'observer de ses prunelles bleu glacé. Puis, finalement, elle se mise à marcher dans sa direction. Elle s'assise à son tour à côté du loup. Bien évidemment, elle avait prit soin de laisser un bon mètre entre eux. Elle n'était pas tellement du genre collante.

« Ça fait déjà un peu plus d'un an que je suis ici. Et toi ? »

Répondit Syliah à la question du loup d'Iselwyn. Elle tourna ensuite sa tête vers lui afin de l'observer.

Le loup d'Iselwyn lui répondit qu'il était là depuis quelques semaines, peut-être même un petit mois. Il était donc plus ou moins nouveau sur l'île et ne devait pas connaitre tous les territoires de Sarkan. Syliah acquiesça simplement silencieusement aux paroles du mâle sans chercher à en savoir plus sur lui. Peut-être était-il comme elle et qu'il ne désirait pas lui donner l'occasion de le connaître, après tout.

La louve blanche se releva finalement et fit quelques pas pour se dégourdir les pattes. Elle n'était pas hyper active mais elle n'aimait pas non plus rester trop longtemps sur place. Sans rien dire, elle s'éloigna du mâle brun, cherchant un endroit plus frais dans la galerie, si toutefois cela pouvait bien exister.

Syliah se coucha finalement au fond de la Galerie, non loin du tunnel menant à la Leith qui était pour le moment asséchée, à cause des grosses chaleurs. La cause de la canicule, une fois de plus. Le mâle lui proposa finalement de faire un tour avec lui. Syliah n'avait pas spécialement envie de bouger d'ici, hormis pour rejoindre le Kohinoor. Elle se releva finalement, rejoignant le mâle.

« Non merci. Je vais retourner sur le Kohinoor. Il fait trop chaud ici, je commence à étouffer. »

Répondit la louve blanche avant de s'éloigner du mâle. Elle prit ensuite la route du Kohinoor. La nuit n'allait pas tarder à tomber et elle avait tout intérêt à trouver un petit quelque chose à se mettre sous la dent et à ramener à la meute, par la même occasion.

( OUT ^^ )