Premier repas après... - Libre

Luan s'ébroua et s'élança dans les souterrains à la recherche d'une odeur. Depuis qu'elle était revenue de ce... Cet endroit, peu importe ce que c'était, Luan avait un genre de nausée persistante. Comme si elle ne parvenait pas à repenser à autre chose qu'à cet acte. Ce mâle, Yingzi, elle savait qu'elle le connaissait. Elle se sentait souillée. Une chance, elle n'avait déclaré aucun symptôme de grossesse...

Elle vit un gros rat passer et s'élança à sa poursuite sans attendre. Il fallait qu'elle aille de l'avant ! Il finit la nuque brisée. Et Luan mangea sans réfléchir. Arrache, mâche, avale. Elle crût que ce repas ne passerait pas, mais la survie était là avant tout. La survie avant le mal-être.

Luan s'approcha de la Leith et se coucha sans élégance, comme un sac, posant sa tête sur la pierre froide à l'odeur humide. Le vide, c'était ce qu'elle cherchait. Le vide interne, le vide autour d'elle. C'était peut-être mieux, au final, que toute autre chose, cette place. Elle était avec des psychopathes, elle était avec des gens juste pour bosser. Et le reste, elle était avec quelqu'un en qui elle pouvait avoir confiance. Elle.

Seirei ignorait toujours ce qui était arrivé à sa famille, et une angoisse persistante l'empêchait d'oublier que ce n'était pas parce qu'il s'en était tiré que c'était aussi le cas des autres coyotes. Que ferait-il, s'il se retrouvait seul à nouveau? Non, il refusait d'y penser, purement et simplement. Il devait agir comme si tout allait bien, comme s'il n'y avait aucune raison de s'en faire. Et peut-être que s'il y croyait assez fort, son voeu serait exaucé.

Aussi Seirei retardait-il le moment où il allait devoir se confronter à la réalité. Et, pour cimenter encore davantage l'illusion que tout allait bien, le mâle était parti à la chasse. Après tout, sa petite famille nécessitait d'importantes quantités de nourriture qu'il se devait de fournir. Au moins à ses petits, puisque sa compagne pouvait se débrouiller seule. Le coyote ne tarda guère à dénicher un rat et à la tuer d'un coup de dent bien placé, puis à le dévorer tout rond. Ce n'était pas grand-chose, mais cela allait l'aider à poursuivre sa route et à trouver une proie plus grosse qui pourrait satisfaire l'estomac des siens.

Bien entendu, il lui faudrait alors jouer de chance ou aller sur le territoire d'une meute - mais il y était préparé.

L'odeur de l'eau le fit dévier de sa route, et il s'approcha de la Leith pour s'y désaltérer. Cependant quelqu'un était déjà là, et le coyote se figea en s'apercevant qu'il s'agissait d'une louve.

La louve semblait fatiguée, mais c'était peut-être un piège. Seirei s'attendait à tout de la part d'un loup, et qu'il s'agisse d'une femelle ne changeait rien à l'affaire. Même un loup faible pouvait vaincre un coyote, de toute façon, s'il parvenait à l'attraper... état de fait que Seirei déplorait grandement. Face aux accusations, le coyote se mit à gronder, découvrant ses canines d'une taille dérisoire face à celles d'un loup, mais capables d'infliger des dommages non négligeables.

« Oui, on vient tous d'un "monstre", et alors? Un jour, ce sera vous, les loups, qui serez à notre place, détestés par tout Sarkan! Un jour, oui, les coyotes seront les maîtres de l'île, tu es juste un peu en avance dans tes affirmations... » siffla Seirei.

Il en avait soupé de l'attitude défaitiste, ou à tout le moins isolationniste qu'il avait conservée jusqu'à maintenant. Se protéger, se cacher des loups, c'était très bien, mais il ne voulait pas que ses enfants aient à subir une telle vie. Il pensait augmenter le nombre de coyotes petit à petit, génération après génération - mais il s'était attaché à cette première portée. Celle qui souffrirai le plus. Et il voulait accélérer un peu les choses, désormais... il ne savait juste pas comment s'y prendre.

Il gronda, Luan lui lança un regard las mais ne détourna pas le regard tant qu'il parlait. Ce coyote n'était pas son dominant, elle ne ferait donc pas comme si. Ils n'étaient pas dans un rapport de dominant à dominé.

"C'est l'bon esprit pour votre prise de contrôle" railla Luan.

Mais la fatigue transparaissait dans ses mots comme dans son attitude.

"J'espère juste que d'ici là je boufferai les pissenlits par la racine et que j'aurai pas à le voir. Les visionnaires sont rarement témoins de ce qu'ils prédisent, il paraît. Mais cela me semble assez lointain vu le rythme de reproduction des loups et le nombre de coyotes. Mais avec autant de hargne, y'a pas de raison que ton plan marche pas."

Elle n'était pas vraiment ironique. A vrai dire, elle ne savait plus si elle était dans le cynisme ou si elle, au final, finissait pas y croire. Pourtant, en tant que croyante... Elle se disait qu'elle serait bien la dernière à les laisser faire.

Le bon esprit. Oui, la louve avait raison, tout était une question de volonté et de façon de penser. Si Seirei ne voulait pas que ses petits soient isolés, souffrent dans ce monde qui n'était que cruauté pour les coyotes, il devait arrêter de penser qu'il n'était qu'une victime. Il devait agir. Mais comment? Il ne lui était pas possible de s'en prendre directement à des loups... d'une part, il ne pourrait cibler que les plus faibles à cause de sa propre faiblesse physique, et d'autre part, il lui semblait assez inutile d'augmenter la haine envers l'espèce des coyotes.

Autrement dit il devait faire en sorte de ne pas être directement impliqué.

« Je me doute bien que cela prendra des générations, mais il faut bien commencer quelque part, » répondit Seirei.

En fait, maintenant qu'il y réfléchissait, il pouvait très bien se servir de loups contre d'autres loups. Aucun risque pour lui-même ou sa famille, et ça permettrait d'une part d'occuper les loups en question et d'autre part de les faire souffrir, en retour pour toutes les souffrances qu'ils avaient infligé sur les coyotes... oui, monter les loups les uns contre les autres, c'était cela qu'il devait faire. Mais comment, là encore?

« Et augmenter la population de coyotes n'est pas la seule solution... diminuer la population de loups, ça marche aussi! » cracha le coyote.

Non, il n'était pas vraiment en train de penser à tuer des loups - c'était une limite qu'il avait tout de même quelques difficultés à considérer. Mais il pourrait peut-être réduire les naissances de loups s'il parvenait à créer un fort climat d'insécurité. En effet, on tend à éviter de faire des petits - du moins de façon volontaire - quand on ignore de quoi demain sera fait, n'est-ce pas? C'était en tout cas une idée à creuser...

Luan afficha une moue plus que sceptique.

"A moins que tu aies une réserve infinie de poison ou une maladie puissante sous la patte, diminuer les naissances des loups et même leur population ne les portera qu'à tenter de compenser plus encore en se reproduisant plus."

Les Alphas autoriseraient tous les autres loups à se reproduire et la population serait en plein boom. Exactement le contraire de ce que visait le chasseur en herbe de coyote sous sa truffe.

"Enfin, fais à ta guise, petit coyote. Mais si à l'avenir, on pouvait éviter de se retrouver dans la situation du cirque des damnés, ce serait bien."

Les coyotes n'auraient jamais son aide. Quoique... Il était aisé pour un guérisseur de remplacer une plante par une autre, non ? Ses yeux se plissèrent, puis elle se remit à contempler l'eau qui se déversait dans la caverne.

Elle savait ce qu'elle croyait, elle savait aussi ce que cela impliquait.

Seirei plissa les yeux, conscient que l'argument de la louve n'était pas sans fondement. Toutefois, s'il parvenait à créer un climat d'insécurité, les loups avaient tout de même de bonnes chances de moins voyager, de rester cloîtrer sur leurs territoires et donc de laisser les coyotes en paix. Sa famille serait à l'abri, à défaut de pouvoir aller partout. Et puis même, d'ailleurs, si les loups craignaient de sortir de chez eux, ils hésiteraient à les poursuivre en cas d'intrusion... non?

« Les coyotes ont autant souffert que les loups dans ce cirque, » tint à rappeler le mâle.

Après tout, même si lui n'avait pas eu à affronter les siens, il savait qu'il l'aurait fait s'ils s'étaient rencontrés... en fait, il se souvenait confusément d'avoir mordu Comanche pendant la mêlée générale, chose dont il avait profondément honte. Seirei ne désirait donc pas plus que la louve de voir une telle situation se répéter, car il plaçait les siens avant sa haine des loups. Voir les loups souffrir était une bonne chose, mais pas si cela avait pour prix la souffrances des coyotes... le mâle roux avait en effet renoncé à toute prétention à ne serait-ce que la neutralité envers les loups. Si Sorrow était restée avec lui, il aurait sûrement tenté de se modérer, mais ça n'avait pas été le cas.

Il avait un point. Elle soupira.

"J'étais pas un coyote, je peux pas vérifier. Mais bref. Peut-être, oui."

Cela lui avait arraché la gueule, mais d'un sens, le combat à l'intérieur du cirque... Oui, cela aussi, cela l'avait détruite. Cela avait détruit une partie d'elle même.

"Mais si t'as pas été violé par quelqu'un que tu appréciais mais qui s'est transformé en fou furieux, je pense quand même que je gagne entre nous deux, génocide-man."

Plus aucun filtre, Luan laissait juste les choses aller comme elles venaient à son esprit. Il était le parfait bouc émissaire après tout. Coyote donc opposé à tout ce qu'elle tenait spirituellement contre son coeur. Hargneux et aigri, aucune culpabilité à avoir à lui balancer quelques vacheries.

Voir l'état de fait qu'il avait fait remarquer accepté - ou presque - adoucit quelque peu Seirei, mais il gardait toujours son attitude méfiante. On ne pouvait pas faire confiance aux loups, après tout.

« Je t'accorde que j'ai "seulement" souffert de la folie du cirque et des blessures causées par mes adversaires. Mais j'ignore encore si ma compagne et mes filles s'en sont tirées aussi bien, » répondit le coyote d'un ton amer.

Il ne les avait toujours pas vues depuis lors, après tout. Et elles étaient nettement plus faciles à vaincre et à attraper que des louves, alors qu'un loup ait profité d'elles dans le cirque ne l'étonnerait pas. D'accord, il s'agissait d'espèces différentes, mais la forme était très similaire et pour les individus peu scrupuleux, cela pouvait largement suffire...

« Pourquoi est-ce que vous ne pouvez pas accepter la coexistence avec nous? Je ne me serais jamais autant braqué contre votre espèce si celle-ci ne nous avait pas sans cesse rejetés. »

Seirei ne comprenait pas. Certes, ils étaient "maudits" par Mene, et de par leur statut de solitaire tendaient à aller chasser sur les terres de meute... mais du point de vue de Seirei, ces rejets relevaient plus de la superstition que de faits réels; après tout malgré tout ce qu'il racontait il n'avait jamais réellement fait de mal à un loup. Bon, mis à part dans le cirque... pour lui, avoir foi en une entité immatérielle et agir uniquement sur ce principe était vraiment étrange. Mais il semblait ben qu'il soit condamné à être entraîné dans ce genre d'histoires... alors peut-être devrait-il commencer à réellement y prendre part, au fond...

Luan tourna un regard peu sympathique sur le coyote. Après tout, Luan était croyante et elle comptait bien éviter que cet opposé vienne massacrer ce qui lui tenait à coeur. Mais son épuisement avait réduit sa combativité à néant, pour l'instant.

"Je ne sais pas si tu es au courant, personnellement je l'étais pas mais on me l'a appris, les coyotes sont naturellement plutôt rejetés par les loups. Comme les renards, de là où je viens. Les loups sont des prédateurs exclusifs et laisser un autre prédateur chasser les proies signifie moins de proie pour sa meute et sa progéniture. C'est une bataille de survie, si tu l'avais pas remarqué. Et ce comportement s'applique entre les meutes, et entre les meutes et les solitaires. Vous, vous accumulez."

Et bien sûr, il y avait Mene. Et ce fou furieux, quel était le nom qu'avait donné Morpheus ? Bishrinkhalaa ? Oui, c'était ça.

"Je suis une croyante. Pour moi, il n'y a aucune chance que notre vie ne soit pas réglée par une puissance plus haute. Depuis même avant Sarkan, toute ma vie, j'ai vu les choses réglées par la Lune. La marée, les cycles des louves, les maladies, les durées d'agonie, le caractère aussi qui fluctue avec Elle. Si cela avait duré pour un petit groupe, passe encore. Mais que ce soit aussi universel rend toute possibilité de superstition caduque. Et en tant que Croyante, pour avoir parlé à d'autres Croyants de Sarkan, je trouve ça insupportable que toute possibilité de paix soit entravée par ce qui découle du Chaos. Le Chaos engendre le Chaos. Et je suis pour l'ordre. Pour que les cycles reviennent toujours. Pour que la vie ait un sens. Vous êtes nés du Chaos, votre présence sur Sarkan a appelé plus de Chaos. D'accord, ce n'est pas votre faute en tant qu'individu. Mais je n'hésiterai jamais à plonger mes crocs dans la gorge de quelque chose menaçant directement ma foi et par extension ma propre survie. Encore moins maintenant. Si pour retrouver l'ordre il faut tuer, qu'il en soit ainsi. Ce n'est pas pour rien que Mene a demandé, à votre naissance, que vous soyez tués immédiatement. Pour ne pas que cela s'étende comme cela le fait aujourd'hui."

Sa voix étant lancinante, douloureuse, coléreuse. Elle en voulait à ces mères qui n'avaient pas noyé leurs petits, qui n'avaient pas compris qu'un petit sacrifice pouvait éviter de grands malheurs. Comment ces mères n'avaient pas pu voir que mettre bas des coyotes n'étaient pas naturel ? Comment n'avaient t-elles pas voulu les mettre à mort ?

Seirei écouta avec intérêt les paroles de la louve. Au fond il n'avait jamais vraiment discuté avec un loup Croyant de ce que celui-ci ressentait envers son espèce. Et pourquoi. Il n'en avait jamais vu que les conséquences. En fait, il ignorait que les loups et les coyotes étaient des ennemis naturels hors de Sarkan. Pour lui, la situation de l'archipel lui était propre... il n'avait après tout jamais connu le reste du monde, et la venue des coyotes sur Sarkan était tout de même entourée de circonstances particulières.

Le problème entre meutes et solitaires était parfaitement clair, en revanche. Mais s'il n'avait pas été rejeté... enfin lui aurait bien voulu rester dans sa meute de naissance, au final. Il n'était devenu amer que plus tard. Aucune meute ne l'accepterait en son sein, et s'il devait nourrir une famille entière de coyotes, il devait aller chasser sur les terres de meutes... donc il n'y aurait jamais aucune amélioration possible de ce côté. Il n'y avait vraiment pas d'espoir pour son espèce si celle-ci voulait coexister pacifiquement avec des loups... eh bien, tant pis, il en avait par dessus la tête de se préoccuper des loups et de leurs sentiments. Il se battrait pour survivre, un point c'est tout.

- Donc, il s'agit d'un combat pour la survie. Je comprends que vous soyez prêts à nous tuer si vous pensez que cela peut vous... sauver.

Seirei refusait d'adorer une déesse qui l'avait maudit, et il ne pensait pas que la mort de quelques coyotes puisse avoir un impact sur Sarkan.

- Mais nous, nous voulons aussi vivre et nous n'hésiterons pas à employer tous les moyens nécessaires pour cela. Si ça implique de répandre le Chaos, alors ainsi soit-il!

Seirei était résolu. Il avait essayé de vivre comme un bon loup, mais rien de ce qu'il n'avait fait n'avait suffi. Au fond, il était un coyote, tout simplement. Ensuite il avait tenté de juste vivre à l'écart, sans se mêler des affaires lupines. Mis il comprenait que cette relative tranquillité était vouée à disparaître. Un jour, les loups risquaient de lancer une chasse aux coyotes dont sa famille ferait les frais... alors il était temps qu'il se montre lui-même plus impliqué dans toute cette histoire.

Seirei n'écoutait plus vraiment. Ou plutôt, il entendait ce que la louve racontait mais choisissait d'ignorer ses paroles. Il n'était pas vraiment sûr de vouloir se lancer dans une guerre contre les loups, même s'il ne les aimait pas du tout. Cela était tout de même quelque chose de sérieux, de grave, qui pouvait avoir des conséquences néfastes pour les coyotes.. et puis même, Seirei n'était pas exactement prêt à devenir un meurtrier. Pour toutes ses belles paroles, il agissait assez peu au final. Il hésitait. Il faisait le brave, mais au fond il était effrayé...

Cependant, il décida que, cette fois-ci, il ne resterait pas les pattes croisées.

- Adieu, alors. lâcha-t-il d'un ton sec.

Puis il observa la louve s'en aller et, lorsqu'elle eut disparu, s'engagea lui aussi vers le chemin du retour. Il allait retrouver sa famille, et puis échafauder des plans... même si rien ne garantissait qu'il allait trouver le courage de les mettre à exécution.

[ Out ]