De la tristesse et des larmes. — Libre.

Les jours passaient mais le chagrin de Delilah ne s'atténuait pas. Il y avait déjà bien deux semaines que sa mère était partie. Partie pour aider Mene dans son combat. Durant les premiers jours qui avaient suivit la mort de sa mère, Delilah avait espéré qu'elle la reverrait une dernière fois, lorsque Mene reviendrait. Mais Mene ne revenait pas non plus. Et ils avaient emporté le corps de la louve blanche sur Neona, derrière le Temple Mayari. Au Sépulcre. Ils l'avaient enterrée. Ils lui avaient offert une dernière demeure. Et depuis, même si ses larmes ne coulaient plus - ou presque - Delilah n'arrivait plus à sourire. Elle se sentait comme écrasée par sa tristesse. Elle n'avait plus envie de rien. Le monde s'était comme arrêté autour d'elle.

La jeune louve était assise face à la Kailash. Elle ne regardait pas son reflet qui se dessinait à la surface de l'eau. Elle observait plutôt l'horizon, le regard larmoyant et plutôt éteint. Un petit soupir lui échappa alors qu'une seule et unique larme roulait le long d'une de ses joue. Elle avait grandit, oui. Elle avait changé aussi, oui. Et pourtant, elle se sentait encore si petite... Si vulnérable. Elle avait encore besoin de sa mère... Et elle devait faire sans. C'était bien la première fois qu'elle n'avait pas envie de dire qu'elle était grande et qu'elle pouvait bien se passer de ses parents.

Le Kohinoor lui même était pourtant silencieux. Comme si le monde s'était réellement mit sur pause depuis la mort de Syliah. Il n'y avait personne dans les environs. Non, personne. Rien qu'elle. Rien qu'elle et sa tristesse.

Elle avait encore envie de pleurer. Elle avait cette envie de se laisser tomber et de pleurer comme une gosse devant la Kailash. Et pourtant, elle s'efforçait de rester calme et silencieuse. Pour ceux qui la connaissait, c'était très surement choquant de voir la jeune rouquine dans cet état là. Delilah avait toujours plutôt été du genre à sauter partout, à crier pour rien et à se faire remarquer à n'importe quelle heure de la journée. Elle aimait avoir l'attention sur elle. Et pourtant, depuis la mort de Syliah, elle voulait tout le contraire. La solitude et qu'on ne fasse plus attention à elle.

Les crocs de la jeune louve se serrèrent brusquement, machinalement. Elle avait mal. Tellement mal, c'était encore pire que de se prendre un arbre dans la tronche. C'était une douleur terrible, qui ne s'éteignait jamais. Pas même durant son sommeil. Ses rêves étaient hantés par le souvenir du jour de la mort de sa mère. Delilah renifla, pour empêcher ses larmes de couler. Si elle commençait à pleurer, elle ne s'arrêterait plus. Et elle ne voulait plus pleurer.

La rouquine observait le bout de ses pattes, silencieusement, lorsqu'elle sentit la fourrure de quelqu'un frôler la sienne. Un léger frisson lui échappa, sans qu'elle ne cherche réellement à le retenir. Au début, elle avait cru que c'était son père ou son frère qui était venu la réconforter. Elle réalisa, seulement quelques minutes plus tard, que ce n'était ni Sköll ni Sunrise qui venait de se poster juste à ses côtés. La voix du loup blanc tinta à ses oreilles et son coeur loupa un battement. Dire qu'il ne lui faisait aucun effet aurait été mentir. Mais, pouvait-elle se permettre de se sentir flattée par l'attention que lui portait l'alpha ? Il venait juste lui faire ses condoléances après tout. Surement parce qu'il connaissait cette peine là, lui qui avait perdu sa mère quelques semaines avant qu'elle même ne perde la sienne. L'empathie du loup blanc l'avait pourtant surprise. Elle était bien loin de l'imaginer aussi... Précautionneux à son égard. Elle avait même toujours pensé qu'il lui vouait une haine et un dégout qui étaient plus que viscéraux. Parce qu'elle avait toujours aimé le coller et lui taper sur le système. La béatitude du béguin d'enfance.

« Merci Dragan. »

Sa voix était éraillée à force d'avoir pleuré. Elle releva rapidement son museau, ses prunelles bleues venant accrocher celles si curieusement différentes de Dragan avant de se remettre tout aussi rapidement à fixer ses pattes avant. Elle n'osait pas tellement fixer Dragan qui était alpha désormais. Et encore moins avec ses yeux tout larmoyants. Décidément... Plus rien n'était pareil. Vraiment plus rien.

Et elle aurait bien aimé pouvoir le croire. Que ça deviendrait plus facile avec le temps, avec le deuil et sa phase d'acceptation. Pourtant, elle savait pertinemment que, non, ça ne deviendrait jamais plus facile avec le temps. Un inconfort permanent. Là, il se rapprochait davantage de la réalité à laquelle elle s'attendait. Delilah ne s'attendait pas à passer une horrible année puis que, aussi mystérieusement que magiquement, la douleur commence à s'effacer. Non, elle s'attendait plutôt à porter cette douleur tout au long de sa vie.

"C'est là, tu as pas trop le choix...". Elle eut l'impression de se faire assommer par la dernière phrase de Dragan. De plus, le ton de sa voix avait légèrement changé lorsqu'il avait prononcé cette phrase. Accepter cette vérité lui faisait-il autant de mal qu'à elle ? N'étaient-ils que des simples pions ? De simples pions posé sur l'échiquier de la vie ? Étaient-ils encore seulement les maitres de leurs choix ? Pouvaient-ils encore avoir le choix, sur certaines décisions... ? Ou devaient-ils tout simplement tout accepter, parce que c'était comme ça et pas autrement ?

« Rien ne la fera revenir. Pas même Mene. »

Soupira doucement Delilah, en serrant les crocs. Elle releva un peu la tête, pour observer l'horizon de nouveau. Sarkan était plongé dans l'obscurité depuis si longtemps maintenant. Le soleil et sa lumière lui manquait.

« Tu crois que cette nuit est éternelle ? »

Et s'ils devaient apprendre à vivre dans un monde sans lumière ? Sans lune ? Sans soleil ? Que deviendraient-ils ?

Dragan hocha de la tête tristement. Non, Selene ne reviendrait pas. Syliah non plus. Sa soeur Shaya non plus. Pale non plus. Tous les morts étaient bien morts. Mais Dragan espérait sincèrement qu'ils étaient dans un endroit où ils étaient moins vulnérables. Autant d'armes immortelles pour Mene. C'était rassurant, même si Dragan avait parfois des doutes quant à cette réalité éventuelle.

- J'espère que la Lune et le soleil reviendront. Sinon, je ne donne pas cher de la santé mentale de ma soeur Absinthe. Elle est au temple et elle a l'air aussi saine d'esprit qu'une louve ayant vu cinquante meurtres à la suite.

Il soupira et secoua la tête. C'était comme si tout ça n'était qu'un cauchemar. Il aurait tellement aimé que ça ne soit pas arrivé. Quant à cette femelle... Oui, il l'attendait. Dragan observa Delilah.

- Dans tous les cas, si cela dure, nous ferons comme nous pourrons. Mais les proies sont paniquées, j'ai vu plusieurs carcasses çà et là, comme si ils avaient eu des crises cardiaques. J'espère juste que la nourriture s'adaptera comme nous.

Delilah ravala un sanglot. Elle ne comptait pas pleurnicher devant Dragan. Elle ne voulait plus pleurer, tout simplement. Après tout, pleurer ne la ferait pas revenir non plus. Alors, peut-être que le mieux à faire était tout simplement de mettre tout ça dans un coin de sa tête et... "D'oublier". Faire son deuil et... Recommencer à vivre. Dragan l'avait bien fait après tout, non ? Il avait su se reprendre en main pour le bien de la meute. Peut-être s'autorisait-il toujours à craquer, mais peut-être qu'il le faisait loin des autres, dans son coin.

« Ça doit pas être très joli à voir... Pauvre Absinthe. »

Soupira doucement la jeune rouquine. Il était vrai que la soeur du loup blanc semblait beaucoup plus souffrir que les autres loups de l'absence de Morpheus et de Mene.

« J'ai... Comme un mauvais pressentiment. Ça me fout la trouille... »

Elle n'avait pas peur d'avouer à Dragan qu'elle avait peur. Après tout, elle n'était même pas encore adulte. La mort de Syliah n'avait pas aidé à la garder confiante et rassurée quant au sort qui les attendaient, maintenant que Mene était loin d'eux.

Delilah tourna lentement sa tête en direction de Dragan, étrangement au même moment où lui même tournait sa tête vers elle. Son regard croisa de nouveau celui du mâle et un frisson parcouru toute sa colonne vertébrale, partant de sa nuque et allant jusqu'à sa queue. Le regard de Dragan lui avait toujours fait cet effet la. Et pourtant, plus elle grandissait, plus ça la perturbait. Était-ce cette sensation que ressentaient les simples membres envers leurs alphas ? Était-ce cela qui les forçaient à baisser les yeux ? Ou bien... Était-ce tout simplement la beauté des yeux du loup blanc, qui la faisait frémir ainsi ? Après tout, les yeux vairons de Dragan, c'était bien ce qui lui avait toujours plut chez lui, et ce depuis leur première rencontre. Dans tous les cas, elle ne savait pas à quoi était dû le malaise qu'elle ressentait face à lui. Peut-être qu'il venait même du fait qu'à leur dernière rencontre, elle avait promit de ne plus jamais l'enquiquiner. Ça, c'était très certainement la pire promesse qu'elle n'avait jamais faite.

Le fait qu'il lui avoue qu'il avait peur lui aussi la rassura... À moitié. Bon, elle n'était pas qu'une sale trouillarde au moins. Mais d'un autre côté... Si même Dragan avait peur et bien... Ça la rassurait encore moins. Si bien que, involontairement, sa fourrure au niveau de son échine se hérissa. Cette île lui foutait la trouille. Réellement. Même si elle y était née.

« Je ne suis pas sûre que ce soit un point positif, d'être né ici... Cette île est folle... Complètement folle... Dragan... »

Un nouveau frisson l'assaillie, alors qu'elle commençait à être de moins en moins calme.

« ... Et si l'île voulait notre mort ? »

Couina-t-elle finalement, en observant rapidement le ciel obscur avant de planter de nouveau son regard bleu sur lui. Cette fois ci, elle ne pouvait plus regarder ses pattes. Non, elle crevait de peur. Peut-être pour rien... Peut-être virait-elle parano à cause de la mort de sa mère... Mais elle avait vraiment un très mauvais pressentiment, concernant cette île.

Delilah ne pouvait s'empêcher de penser à ce qu'aurait pu être sa vie loin de Sarkan. Dans "l'autre monde". Celui dans lequel était né ses parents. Avec ses grandes étendues, les autres animaux, et même les prédateurs. Comme les bipèdes. Sa mère semblait dire que les bipèdes étaient vraiment cruels et dangereux. Elle avait toujours dit que si elle s'estimait heureuse d'une chose sur l'île, c'était bien sur le fait qu'il n'y ait aucun prédateur pour les loups ici. Ni ours, ni bipèdes. C'était un gros point positif mais qui était plutôt instable, quand on voyait tous les étranges événements qui se déroulaient ici. Comme cette nuit permanente... Et l'absence de Mene et Morpheus.

« Mais... Mene... Elle n'est même plus là ! Avant elle était toujours là ! C'est pas un signe que tout va mal ça ?! »

Et que pouvait-il faire contre les divinités ? Contre l'île ? Contre le destin... ? Delilah se releva d'un bond, le poil toujours aussi hérissé. Quant à Dragan... Il se faisait un peu plus imposant, et dans l'esprit troublé de la jeune rouquine, plus rien n'avait de sens. Pas même ces choses si banales.

« Elle n'est plus là... Elles ne sont plus là... »

Rajouta-elle en tournant en rond. À croire que sans Mene ni Syliah, elle avait totalement perdu la raison.

Delilah écoutait sans réellement écouter. Elle n'entendait plus que les "tic tac" défectueux d'une horloge imaginaire. Tic, tac, tic, tac. Ces bruits commençaient à lui taper sur le système. Elle avait envie de s'assoir et d'hurler. Comme si ses plaintes pourraient ramener la Lune, absente depuis déjà bien trop longtemps de ce ciel obscur.

Elle se figea finalement. Un léger hoquet s'empara d'elle. Aller au temple ? Alors que Mene n'y était pas ? Quelle idée. La voix du loup blanc la fit frissonner et, avec lenteur, elle s'abaissa, rapprochant son ventre du sol. Ses oreilles se plaquèrent également contre sa nuque. Avait-elle été... Énervante ?

« Pardon. »

Souffla-t-elle simplement en se redressant avec lenteur, ses oreilles toujours plaquées contre son crâne.

« Je... Je vais aller sur Neona. »

C'était peut-être mieux pour elle de s'éloigner du Kohinoor. Quelques heures. Voir quelques jours. La jeune louve s'en alla rapidement, en direction de la Passe Neva qui n'était pas très loin. Peut-être que le conseil de Dragan lui serait bénéfique. Qui sait.

( Finish ^^ )