une petite rencontre au bord de l'étang (prio yingzi)

Yingzi avait envie d’eau fraîche et de tranquillité. Et il savait où assouvir ses désirs : dans les hauts vallons de Neona se cachait un petit étang paisible. Il n’avait jamais réellement pris la peine de s’y reposer, ni même de découvrir l’endroit. Mais, pour y être plusieurs fois passé rapidement, il avait eu l’impression que c’était un lieu calme et, dans ces hauteurs, peu fréquenté. Et son eau était délicieusement fraîche.

Il grimpait donc dans les monts de ce territoire neutre pour se rendre en ce lieu paisible. Tandis que ses pattes se posaient sur le sol dans une cadence régulière, que son souffle s’accélérait sous l’effort, ses pensées vagabondaient, comme toujours. Cela commençait à faire un petit moment déjà qu’il avait épousé cette vie de solitude. Il n’aurait pu dire depuis combien de lunes vivait-il seul ; Ici, il perdait toute notion de temps. Ne plus vivre en meute lui donnait parfois l’impression de se trouver hors du sablier qui égrène les jours et hors de la société – ce qui n’était pas faux.

Cette vie de bohème lui plaisait bien, mais elle était compliquée. Ici, seules les terres des meutes étaient giboyeuses. S’il voulait manger, il devait mettre en péril sa propre vie. Quels rapiats, pestait-il intérieurement, ce n’est pas comme si la famine était à nos portes ! Malgré tout, il savait qu’un tel comportement de leur part était inévitable, et il le comprenait. Après tout, c’était cela l’intérêt d’une meute, non ? Se protéger du danger, se faciliter la vie.

Mais la vie en communauté, ce n’était plus pour lui. Et malgré cette sensation de faim quasi-permanente, il appréciait le fait de n’avoir aucun lien, aucun compte à rendre. Il se sentait libre. C’était appréciable.

Il était arrivé à l’étang. Il sentit immédiatement l’odeur d’un autre loup, avant de voir ce dernier au bord de l’étang. C’était une odeur qui l’intriguait, et qu’il n’avait encore jamais sentie ici. Une odeur… De frais. Dur à expliquer.

Yingzi s’approcha doucement du lac, sans pour autant aller à côté de l’inconnu. Celui-ci avait peut-être envie d'être seul. Il le salua d’un « Bonjour » poli, tandis qu’il essayait de décrypter son odeur. De toute évidence, il venait d’un endroit de l’île que le loup noir n’avait pas encore exploré.

Le loup noir arriva au bord de l’étang. Il s’assit et observa l’inconnu au pelage gris et blanc, qui lui répondit poliment : « Salutation solitaire. Vous arpentez ce lieu souvent ? ».

Il apprécia que l'inconnu ne tente pas de s'approcher davantage et conserve ses distances, respectant son éventuel souhait de calme. Pour autant, il semblait avoir envie de parler et c'était également le cas de Yingzi, qui répondit donc à sa question.

« Non, je ne me suis jamais attardé ici. Mais je foule ces terres depuis peu de temps. »

Il plongea sa patte dans l’eau pour en prendre la température. Délicieusement fraîche. Il se pencha au-dessus de l’eau, observant son reflet déformé par l’onde. Il peina à reconnaître l’image renvoyée par l’étang. Un loup noir, à la mâchoire étonnement osseuse, aux joues creuses. Au poil hirsute, peu entretenu. A l’air négligé. Il n’était plus le même depuis qu’il arpentait les chemins seul, depuis qu’il s’était réveillé sur cette île. Depuis qu’il ne vivait plus dans le confort d’une meute.

Il se baissa et lapa quelques gorgées, chassant le portrait reflété par l’étang. Il apprécia la fraîcheur de l’eau qui glissait dans sa gorge, qui rafraichissait tout son être. Il releva la tête en se léchant les babines et reporta son attention sur le loup inconnu.

« Et vous, venez-vous souvent dans cet endroit ? » L'interrogea-t-il.

Il se demandait si l’étranger était, comme lui, un solitaire ou s’il vivait en meute. Si ce dernier n’avait eu aucun mal à deviner ce qu’il en était pour Yingzi – son odeur devait incontestablement le trahir –, il n’en était pas de même pour le loup noir, qui ne connaissait pas toutes les meutes habitant sur ces terres.

L’inconnu indiqua qu’il venait du Kohinoor, loin d’ici. C’était en effet un endroit que Yingzi n’avait pas encore découvert, sur cette île. Il se remémora la carte de l’île que lui avait dépeint le paysage lorsqu’il était monté en haut de la falaise, ici-même sur Néona. A vrai dire, il ne connaissait qu’Annalee, il n’était pas encore allé sur les deux autres territoires.

« Où est-ce, le Kohinoor ? » Demanda-t-il d’un ton curieux.

Yingzi haussa un sourcil étonné lorsque l’autre loup lui apprit qu’il ne donnerait pas son nom, en raison du risque que représentaient les contrats des renégats. Etait-ce si dangereux, aujourd’hui, d’indiquer son nom ? Le loup noir n’avait pris aucun gant pour donner le sien aux différents loups qu’il avait rencontrés jusqu’à présent. Il l’avait même donné à l’un des deux renégats qu’il avait rencontré – il s’en souvenait, il n’avait même pas réellement compris pourquoi sa langue avait décidé de dire son nom à un mercenaire. Etait-ce une erreur de divulguer ainsi le nom qui le caractérisait … ? Bah, de toute façon, ce n’était qu’un nom. Sur une île, tout devait forcément finir par se savoir non ? Et puis tant d’autres choses pouvaient caractériser quelqu’un. Le physique, l’odeur… Mais puisque le loup gris-blanc ne donnait pas son nom, Yingzi n’avait pas l’intention de donner le sien.

« Donner un nom est-il si dangereux, ici ? »

L’inconnu expliquait qu’il enviait la liberté de mouvement des solitaires. A vrai dire, un solitaire n’était pas plus bienvenu qu’un autre sur le territoire des meutes. Mais au moins, il ne rendait de compte à personne. Et ça, c’était appréciable.

« Il est vrai que la vie de solitaire n’est pas de tout repos, notamment parce qu’il est compliqué de trouver à manger sur ces terres. Mais je suis mon propre maître. Je suis mon propre Alpha, comme je suis mon propre Oméga, et seuls mes choix guident mes pas. »

La géographie de l’île se précisait pour Yingzi. Le Kohinoor était donc ce territoire montagneux et neigeux qu’il avait pu apercevoir, au nord de Sarkan, du haut de la falaise de Néona.

Le loup noir écouta l’inconnu expliquer que donner son nom était dangereux en raison du nombre de contrats qui pullulaient sur l’île. Les contrats donnés aux mercenaires ? Cela étonnait Yingzi. Et cela était même inquiétant. Si les loups de cette île n’étaient même plus capables de régler le moindre de leur différend entre eux, sans avoir recours à une quelconque aide extérieure, comment pouvaient-ils cohabiter ? Etrange…

De toute façon, et cette pensée rassura Yingzi, tant que le loup noir restait loin des meutes et s’occupait de ses seules affaires, il ne risquait rien. Puisqu’il souhaitait vivre avec pour seul compagnon la solitude, il n’avait pas – il n’avait plus à craindre d’être trahi.

L’inconnu lui demanda d’ailleurs quel était son passé avant son arrivée en ces lieux, après avoir brièvement évoqué le sien. Hésitant, le loup noir répondit, sans toutefois trop en dire.

« Je fis partie d’une meute, que je dirigeais également en tant qu’Alpha. Puis je partis un jour, pour épouser la vie de solitaire, et me voilà ici aujourd’hui. »

Il sentit son cœur se serrer. Quoi qu’il en dise, ces évènements étaient encore récents et avaient laissé une profonde marque en lui. Il n’avait pas évoqué la raison qui l’avait poussé à s’éloigner de cette meute dans laquelle il avait grandi, et il n’en parlerait pas. La trahison qu’il avait subie était trop lourde à supporter. La déchéance qui l’avait emporté avait tracé de profondes entailles en son sein.

Il se baissa pour laper quelques goulées d’eau fraîche. Il releva la tête et fixa l’inconnu, puis lui demanda :

« Lors de mon arrivée sur cette île, je n’avais donc plus rien à perdre. Mais quand on dirige une meute et que l’on se retrouve ici, ce doit être… Dur à gérer, non ? »

Malgré tout, peut-être aurait-ce été mieux qu’il fut transporté en cet endroit avant cette suite d’évènement qui le déchut de son rang et le conduit à la solitude ? Les choses auraient été bien différentes. Mais tout ça était passé, et dorénavant il devait vivre comme ça. Au moins, se rassura-t-il, je n’ai plus rien à perdre que ma seule vie.

Yingzi écouta l’inconnu expliquer qu’il s’était plutôt rapidement fait à la vie sur cette île, qu’il était parvenu à tourner la page. C’était étonnant, et bénéfique pour lui. Le loup noir, au contraire, sentait toujours un fil ténu qui reliait son passé à son présent et, malgré tous ces évènements qui ne pouvaient que lui permettre de prendre un nouveau départ ici, sur cette île, il ne parvenait à omettre complètement ce passé qui l’avait façonné. Il ne parvenait pas à oublier totalement, à repartir de zéro comme s’il n’y avait rien eu avant Sarkan… Mais bon, c’était ainsi. Avec le temps, lui aussi finirait bien par tourner la page.

L’étranger regarda autour de lui, puis annonça qu’il devait y aller. Sa meute devait en effet l’attendre, il ne pouvait passer son temps à errer librement, comme Yingzi. Un privilège de la solitude…

Au moment de s’en aller, il dévoila son nom : Croc-Blanc. Il était vrai que, si Yingzi cherchait vraiment à le connaître, il lui serait facile d’enquêter, dans un endroit si restreint.

« Je me nomme Yingzi, lui répondit-il. A bientôt, membre du Kohinoor. ».

Il le reverrait forcément un jour ou l’autre. Après tout, on était sur une île : comment s’en échapper ? Se cacher semblait impossible, peu de distance pouvait être mise entre les uns et les autres. Et Yingzi, curieux de nature, savait qu’il finirait par découvrir un jour ce territoire montagneux qui semblait taillé dans le froid. Peut-être reverrait-il alors Croc-Blanc.

Il s’allongea sur le sol rocailleux, au bord de l’étang, laissant le bout de l’une de ses pattes effleurer la surface de l’eau. Ce simple toucher répercuta les ondes en cercle de plus en plus grands, qui troublaient la surface calme de ce minuscule lac. Yingzi regarda l’inconnu s’éloigner et décida de faire un petit somme en cet endroit tranquille.