Le sort s'acharne. [Prio Ragnar]

Perdu.

Un loup noir errait dans les sombres boyaux tortueux. Le museau en l'air, il humait le sous-terrain. Pas une once de lumière. Pas une odeur d'herbe. Pas un souffle de vent.

Rien que le néant. Des rongeurs, qui couinaient entre ses pattes. Des odeurs atroces, les mêmes que ce loup méprisant rencontré plus tôt. Mais pas ce qu'il cherchait.

L'air libre. Le soleil. Le ciel. Rien de tout cela !

Définitivement perdu.

Et ce couloir empestait. Une nouvelle fois, il devait faire demi-tour. Mettre le plus de distance possible entre lui et cette puanteur. La puanteur des renégats. Il tourna les talons, partit au galop. Ses griffes cliquetaient sur le sol rocailleux. Ses halètements se répercutaient contre les parois étroites. Il étouffait. Il avait l'horrible impression de ne plus pouvoir respirer.

Mais où est la sortie, bon sang ?

Il était perdu. Perdu à l'intérieur de la Terre. Perdu dans un dédale sans fin. Mais il ne mourrait pas ici ! Alors il continuait de galoper, de fuir les odeurs putrides, de chercher un rayon de lumière.

Il se sentait pris dans les filets d'une immonde mascarade. Quelqu'un se jouait de lui ? Il en frissonnait. Il angoissait. Et s'il mourrait ici ? Que laisserait-il derrière lui ? Une carcasse pourrie dévorée par les rats et peut-être même les renégats. Rien d'autre que la matérialité de sa chair pourrissante.

Je ne mourrais pas ici !

Au fond, le boyau s'élargissait. Il accéléra. Il déboucha, épuisé et haletant, dans la grotte aux pierres lumineuses. Il fit quelques pas sur l'étrange sol sablonneux, puis laissa tomber son corps éreinté dans la poussière. Ses muscles tremblaient sous l'effort. La veille encore, il galopait depuis de nombreux jours. Et son corps ne lui pardonnait pas cette absence de répit. L'angoisse de se perdre dans ces sous-terrains et toute cette situation ne l'aidait pas. Mais voilà, il était revenu dans cette belle grotte lumineuse... et cela l'apaisait.

Il y était passé plusieurs fois en recherchant la sortie. Il y a peu. Ou c'était il y a longtemps déjà ? Quelques minutes ? Quelques heures ? Il n'avait aucune mesure du temps qui s'écoulait ici.

Il fallait qu'il trouve une sortie.

Il se releva, inspira profondément. Légèrement plus détendu, il s'obligea à rester calme, à ne pas céder à la panique, à ne pas trop se presser. Il fallait réfléchir, observer les environs. Et au moins, il était dans un bel endroit, comme il n'en avait jamais vu. Les pierres disséminées sur les parois et les rochers étaient magnifiques. Elles renvoyaient de la lumière. C'était comme si elle scintillaient.

Le regard perdu sur un quartz, Yingzi revint soudainement sur terre lorsqu'une effluve un brin désagréable remonta à ses narines. Une odeur similaire à celle du couloir qu'il venait de quitter. Qui était peut-être là depuis un moment déjà.

Ragnar était furibond. Sa truffe était en feu. Un drôle de bestiole qui ressemblait à un loup, mais en plus petit, avec un museau plus fin et des oreilles plus grandes, lui avait mordu le bout du museau. Sa truffe noire avait été touchée, et c'était un endroit sensible. La plaie n'était pas bien grande, mais elle saignait toujours et ça faisait mal. Non pas que le loup brun-roux ne soit pas en mesure d'ignorer ce genre de douleur - il en avait vu bien d'autres - mais être à ce point ennuyé par une chose aussi petite était vraiment agaçant. Le jour où il croiserait à nouveau la route de ce truc roux, Ragnar allait prendre grand plaisir à se venger.

Bien entendu, le fait que le coyote - Ragnar ignorait que c'en était un, n'en ayant jamais vu auparavant et n'ayant pas posé de question - se soit en fait contenté de se défendre ne traversait pas l'esprit du Renégat. Après tout, Ragnar avait attaqué le premier, sans aucun avertissement ni intention d'écouter le moindre mot pouvant sortir de la gueule de la chose. Et, malgré tout, il considérait que la morsure que le coyote lui avait infligée appelait à des représailles... cela n'était logique que dans son esprit tordu.

En tout cas, Ragnar était à la recherche de la chose rousse. Sans succès, pour le moment...

Et, à la place d'un coyote, ce fut sur un loup noir à l'air paumé que le Renégat tomba. Ce dernier plissa les yeux en détaillant l'inconnu; un instant il avait pensé qu'il s'agissait de Jaws, un Renégat que même Ragnar trouvait cinglé. Non parce qu'il était plus violent que les autres, mais parce que lorsque le loup brun-roux l'avait rencontré, il s'était comporté comme s'il vivait dans un monde tout beau et tout gentil et que personne ne lui voulait de mal. Complètement barge, quoi!

« Hey! T'es qui, toi? Un pote à Jaws? » demanda avec brusquerie le loup brun-roux.

Non, politesse, connais pas. Et puis c'est évident qu'un loup noir connaît forcément les autres loups noirs, pas vrai? Parfaitement logique, aucun problème de raisonnement là-dedans.

Yingzi se redressa. Devant lui se tenait un loup à la fourrure brune tirant sur le roux. A la silhouette musclée. Au regard assoiffé de sang. A l'odeur de renégat, inquiétante.

Il était sur ses gardes. Le destin s'était déjà bien assez joué de lui ces derniers temps. Pourquoi s'arrêterait-il en si bon chemin ?

Yingzi avait-il offensé des forces supérieures ? Ou celles-ci ne le tourmentaient que par le fruit du hasard ? Il avait le sentiment de n'être qu'une marionnette entre les serres d'une force qui lui était inconnue. Etait-ce si drôle de le brimer ainsi ?
Etait-ce si drôle de voir l'insecte coincé dans la toile d'araignée se débattre ? De voir chacun de ses mouvements l'engluer davantage ? De voir chacun de ses sursauts de vie l'approcher de la mort ? Etait-ce si exaltant de voir l'araignée le consumer lentement, de voir sa vie doucement s'éteindre dans la prison de cocon ? Etait-ce si... amusant ?

Pourquoi pas, après tout. Si le destin était éternel, l'ennui le guettait. Il avait sûrement tout vu. Peut-être même anticipait-il chaque instant. Quelle tristesse !

L'inconnu interpella Yingzi, sans autre forme de politesse. A côté de la rencontre qu'avait vécu celui-ci un peu plus tôt, ces mots étaient presque trop gentils. Mais il demeura sur ses gardes.

Le loup lui demandait s'il était un ami de Jaws. Moi, un ami de cet être méprisable et grotesque !? Ses premières pensées furent acerbes, ivres de colère. Puis la réflexion prit le pas sur l'impulsion. Pourquoi l'inconnu lui demandait-il une telle chose ? Peut-être que l'autre lui avait déjà parlé de lui. Ou peut-être n'était-ce qu'une coïncidence ? Tous deux étaient des renégats. Ils devaient se connaître. Mais de quelle nature étaient leurs liens ? Des "amis" - bien qu'Yingzi doutait que ce genre de loup puisse seulement connaître le sens du mot ami - ou au contraire, des ennemis ?

Yingzi ne savait comment répondre à son avantage. Alors il se contenta d'esquiver la question.

« Peut-être. »

Yingzi s'assit, affichant un air détaché, calme. Il redressa son poitrail et sa tête, fixant les yeux froids de l'inconnu. Au fond de lui, il était fatigué par toutes ces péripéties, chamboulé de tous ces évènements. L'angoisse d'être perdu se tapissait toujours dans ses tripes. La crainte d'une effusion de sang, aussi. Ses membres étaient endoloris par tous ces obstacles que s'amusait à poser devant lui le destin. L'idée rassurante que cette grotte n'appartenait à personne s'était toutefois assise sur certaines inquiétudes. Il le sentait. Il le humait. Aucune effluve prédominante, rien que des odeurs passées et trop différentes.

« A qui ai-je l'honneur ? » Demanda-t-il au loup brun-roux.

S'il pouvait éviter de donner son propre nom... Jaws ne savait même pas comment il s'appelait. Haha, l'imbécile... Il ne lui avait même pas demandé. Et il espérait pouvoir le retrouver sans ? Yingzi voulait sortir d'ici. Il s'enfuirai alors, il galoperait loin, sans repos s'il le fallait. Mais il partirait. Il ne s'abaissera pas à chasser pour lui. Il ne se soumettrait pas.

Et le destin devait bien rire de ces pensées belliqueuses. Oh, comme il devait rigoler de la situation de ce stupide loup noir ! Comme il devait se moquer se ses espoirs morts dans l'oeuf ! Comme il devait se délecter du moment où ce pauvre petit personnage découvrirait l'endroit où il était coincé !

Une fois pris dans la toile d'araignée, impossible de s'en échapper.

Le loup noir ne répondit pas à sa question, préférant laisser planer le doute tant sur son nom que sur sa relation avec Jaws of Thirst. Bah, au fond Ragnar se moquait bien de connaître le nom de l'autre mâle. Il n'était ni important ni intéressant, car le loup brun-roux avait d'autres choses en tête que de s'en prendre à un lupin dans l'immédiat. Il voulait trouver cette saloperie de bestiole rousse et la mettre en pièce. Or, il était difficile à Ragnar de se concentrer sur trop de choses à la fois.

Le loup noir s'assit, ce que Ragnar trouvait quelque peu insultant - s'asseoir en sa présence, sérieusement? Prendre une position de vulnérabilité relative en face de lui, comme s'il n'était pas dangereux? Les oreilles du loup brun-roux partirent vers l'arrière alors que ses babines se retroussaient légèrement pour dévoiler la pointe de ses canines.

« J'vois pas pourquoi j'devrais te donner mon nom si tu m'donnes pas l'tien. T'as juste besoin d'savoir qu'j'suis un Renégat, et que t'as de la chance que cette grotte appartienne pas encore à notre bande. »

En fait, les Renégats n'étaient tout simplement pas assez puissants pour revendiquer la grotte aux gemmes; cette dernière était connectée à la fois à Iselwyn et à Annalee et ces deux meutes se seraient certainement dressées contre eux s'ils avaient tenté de prendre la grotte. Les Renégats n'auraient pas pu lutter contre une coalition entre ces deux meutes... mais un jour, ils en seraient certainement capables. Et en attendant, ils s'amuseraient à semer la terreur dans les loups de l'île principale... tout comme dans ceux des solitaires, qui n'avaient en plus pas le bénéfice de la protection d'une meute.

« Tu sens pas l'une des meutes... t'es un nouveau ou un solitaire? » demanda le mâle.

Ragnar posa son regard jaune dans celui du loup noir, le fixant sans ciller, la soif de violence et de mort clairement inscrite dans ses iris. Ce n'était pas parce que le loup brun-roux avait une autre cible en tête qu'il n'était pas susceptible de juste passer à l'attaque, simplement parce qu'il commençait à s'ennuyer. Pour lui, se distraire était une raison suffisante pour ôter la vie d'un de ses congénères. Même si, là tout de suite, il avait surtout envie de refermer ses mâchoires sur le cou de cette chose rousse qui lui avait mordu la truffe...

Le nom de l'inconnu demeura secret à Yingzi. C'était, en soi, de la logique pure : pourquoi aurait-il offert son nom à quelqu'un refusant de lui donner le sien ? Yingzi ne put lui en tenir rigueur. Il se contenta donc d'écouter le Renégat - qui confirma par ailleurs son appartenance à ce groupe - critiquer la neutralité de cet endroit. Avec cette lueur terrible dans son regard.

« Je me nomme Yingzi, murmura subitement le loup noir. »

Alors même que ces simples mots, chargés de la puissance d'un nom, franchirent ses lèvres, il les regretta déjà. Ces paroles s'étaient déversées de sa gueule sans qu'il n'en ai eu la pleine conscience. Sans qu'il ne puisse les contrôler. Sans même qu'il n'ait eu le temps d'y songer.

Pourquoi avait-il confié son nom à ce loup ? Lui-même n'en savait rien. La curiosité de connaître celui de ce loup à qui il s'adressait ? Une effluve de ce respect inculqué durant sa jeunesse ? Ou simplement un brin de folie ? Peu importait. Maintenant que cette petite phrase était sortie d'entre ses babines, elle planait dans l'air, attendant une réponse.

Imperturbable, cachant son dialogue intérieur, Yingzi tentait de soutenir le regard froid et meurtrier de l'inconnu. De ne pas détourner les yeux. De se montrer impassible. Mais il aurait préféré tourner les talons et s'enfuir de ces souterrains maudits.

Un soubresaut agita l'oreille droite du loup noir lorsque le Renégat reprit la parole. Il lui demandait s'il était "un nouveau ou un solitaire". C'était une question, somme toute assez simple, mais que Yingzi ne comprenait pas.
Qu'entendait-il par nouveau ? Nouveau chez les Renégats ? Cette insinuation lui semblait trop étrange de la part du loup qu'il avait en face de lui. La façon dont il avait justement évoqué les Renégats comme leur "bande" corroboraient ses doutes. Il devait s'agir d'autre chose. Et puis, pourquoi "l'une des meutes" ? Elles étaient si nombreuses, aux alentours ?
La curiosité prit le pas sur la crainte. Les interrogations étaient trop nombreuses.

Prudent et hésitant, le loup noir finit par répondre, d'une voix perplexe.

« Je vis en solitaire depuis peu. Mais je ne suis pas d'ici. J'ai longuement voyagé et, je ne sais comment, je me retrouve ici aujourd'hui. »

Bien. Il n'en avait pas trop dit. Il ne souhaitait pas risquer encore une fois de passer pour un fou en prétendant s'être téléporté durant son sommeil. Remarque... Peut-être était-il somnambule ? Yingzi n'y avait pas songé, mais... Après tout, pourquoi pas ? Cela expliquerait bien des choses. Mais est-ce qu'une telle chose pouvait se révéler comme ça, d'un coup, à quatre ans ? Bizarre.

Cela lui semblait toutefois plus plausible que son idée première, selon laquelle on l'avait délibérément transporté dans ces souterrains. Il avait même songé pendant quelques instants que c'était l'oeuvre de ces Renégats, ce que Jaws Of Thirst avait démenti. Qu'avait-il dit d'autre d'ailleurs ? Il avait parlé de destin ou de quelques absurdités, mais à vrai dire, Yingzi ne l'avait pas écouté.

Le loup noir lui donna spontanément son nom, chose auquel Ragnar ne s'attendait plus. Un ricanement échappa à la gueule du loup brun-roux, sans que celui-ci ait de mauvaises pensées en tête. Enfin, pas plus qu'avant de savoir le nom de l'autre loup, en tout cas. Yingzi, puisque tel était son nom, soutenait le regard du renégat. Cela ne plaisait guère à ce dernier, qui continua de le fixer malgré tout de ses yeux jaunes en attendant que l'autre loup craque - en tout cas, ce n'était certainement pas Ragnar qui allait détourner le regard. Le concours de celui qui pisse le plus loin, c'était tout à fait son style.

« Moi c'Ragnar. Et ouais, j'vois, t'es un nouveau réveillé. T'as ouvert les yeux dans un endroit qu'tu connaissais pas, et t'sais pas comment t'es arrivé là hein? Ce genre de truc ça arrive souvent. La plupart des loups de Sarkan ont vécu ça... mais tu sais pas c'qu'est Sarkan, pas vrai? »

Une idée avait germé dans la tête de Ragnar. Ce loup noir serait peut-être un pourvoyeur de contrat dans le futur, alors autant lui laisser une bonne impression des Renégats. Enfin, bonne... disons lui faire comprendre que la bande a les muscles qu'il faut pour s'occuper de tout, et l'intelligence de pas faire de mal à ceux qui leur apportaient à bouffer. Du moins tant qu'ils étaient pas ciblés par un contrat... ou croisés dans un des couloirs sombres de Khthonia...

« T'vois, Sarkan c'est une île. Y'a aussi deux autres îles dans l'coin mais c'tout. T'es coincé ici pour toujours. Y'a trois meutes, chais pas comment elles s'appellent mais leurs territoires sont en surface si ça t'intéresse. Suffit qu'tu prennes le bon passage. Et pis y'a les renégats... ça t'attire pas, j'suppose. Nous on est des mercenaires, ont fait le sale boulot des autres contre de la viande. »

Ragnar ricana à nouveau, fier de lui et de sa vie.

A mesure que parlait Ragnar, le loup noir se décomposait. Fronçant d’abord les sourcils, un peu sceptique au début. Tandis que l'autre loup débitait ces faits contre-nature, une voix désagréable revint hanter Yingzi. Une voix dont les paroles avaient glissé sur lui sans être saisies. La voix de Jaws qui lui parlait de destin, qui lui parlait d’île où ce dernier l’avait amené comme tout le monde.

Et Yingzi comprit.

Il comprit que les paroles de Ragnar n’étaient pas qu’un tissu de mensonge. Il comprit que c’était vrai. Il crut que sa mâchoire s’en décrochait. Bouchée bée, les yeux écarquillés, fixant l’autre sans comprendre. Ses yeux lâchèrent le regard ambré de son adversaire. Ils regardaient frénétiquement autour de lui, comme s’il cherchait un point auquel se raccrocher. Tout ceci… Etait absurde. Impossible. Ça ne pouvait exister. Il devait FORCEMENT y avoir une explication plus rationnelle. Ou alors, il mentait. Ce n’était pas possible.

Ce n’est pas possible !

Il regarda à nouveau ce loup aux yeux meurtriers. Ses explications claires, précises, et trop directes mettaient Yingzi dans tous ses états. Il s’était attendu à tout, sauf à cela. Il n’avait vraiment pas prit de gans ! Mais c’était un Renégat, il n’allait pas faire dans la finesse.

Le loup noir se leva, en proie à une vive agitation intérieure. Il commença à faire les cent pas, son esprit fonctionnant à plein régime. Et toujours cette phrase qu’il se répétait, qu’il se murmurait : « Ce n’est pas possible ! ». Il s’arrêta soudainement de marcher, se tourna de nouveau vers Ragnar. Il s’assit, plus pour se forcer à se calmer cette fois et remettre de l’ordre dans ses idées. Il inspira profondément.

« Ça a le mérite d’être clair. C’est… Dur à croire. Loin de moi de douter de ta parole, hein… Mais ça paraît tellement… Tellement fou ! »

Sa raison se battait avec… Avec quoi, en fait ? Avec cette part insoupçonnée de lui-même qui croyait aux choses étranges. C’était… Trop bizarre. Mais c’était la même chose pour tout le monde, d’après eux. Ils étaient tous coincés sur une île. Sur cette île, qui s’appelait Sarkan. C’était un concept difficile à comprendre. Difficile à accepter, surtout. Mais comment ils se retrouvaient là ? Qui faisait ça ? Perdu dans ses pensées, Yingzi essayait de trouver une faille à cette situation inimaginable. Ces révélations étaient dures à avaler.

Le loup noir avait l'air d'être perturbé par toutes ces informations. Ragnar se moquait bien d'avoir infligé de tels tourments à Yingzi, à vrai dire il trouvait qu'il s'était montré plutôt gentil en parlant de tout ça sans se montrer agressif. Ragnar mentait, en fait, assez rarement. Il préférait mordre et insulter plutôt que d'embrouiller les gens. Ce n'était tout simplement pas assez satisfaisant. Sans parler du fait que son intelligence laissait à désirer, tout comme sa mémoire, et qu'il fallait quantité de ces deux éléments pour faire carrière dans le mensonge. Bien entendu, ce n'était pas pour autant que le loup brun-roux était toujours sincère. Mais il ne mentait pas sans raison. Et il gardait le mensonge aussi simple que possible.

« C'est la vérité, j'ai pas d'raison de t'mentir. Quant au pourquoi, moi j'm'en fous mais certains disent qu'c'est p'têt à cause d'une déesse. J'y crois pas à cette explication, mais y'en a qu'y croient que c'est ça. »

Ragnar secoua la tête en signe d'exaspération. Pour lui les dieux n'existaient pas, ce n'étaient que des fariboles appréciées par les faibles. Par ceux qui avaient besoin de se sentir rassurés par une présence divine. Et lui n'était pas faible, alors pourquoi aurait-il besoin de croire en une telle entité?

« Bref j'ai aut' chose à faire. T'as plutôt intérêt à pas m'recroiser, enfin sauf si t'apportes un contrat bien sûr, » ricana le loup aux yeux jaunes.

Il y comptait bien, d'ailleurs. C'était pour cela qu'il n'avait pas montré les crocs au loup noir - enfin, pas trop. Avec un peu de chance, il se souviendrait un jour des renégats et de l'utilité qu'ils peuvent avoir... quand on a envie de faire disparaître quelqu'un, par exemple. Ragnar se lécha les babines, ses yeux brillant de folie meurtrière. Il ricana à nouveau puis, sans prendre la peine de dire au revoir au loup noir, s'en alla en direction de la Nerezza. Il garda toutefois une oreille sur les faits et gestes de l'autre mâle, à qui il ne faisait pas du tout confiance.

[ Out ]

Yingzi, toujours dans tous ses états, regarda le loup brun-roux repartir, sans un mot. Dans sa tête continuaient de tourbillonner toutes ces nouvelles informations en une valse endiablée et étourdissante. Il ne savait que penser de tout ça. L’idée d’être coincé sur une île était fort peu agréable.

Pourtant, plus rien ne lui tenait à cœur dans la vie qu’il avait quitté. Aucune attache, aucun lien ne subsistait entre lui et cette terre qu’il avait fui pendant des jours entiers. Ce n’était peut-être pas plus mal finalement, non ? Rien ne retenait son esprit dans ce monde lointain qu’il ne reverrait plus. Et puis, n’était-ce pas ce qu’il avait souhaité, au plus profond de lui ? Peut-être était-ce une seconde chance que lui offrait la vie. Ou peut-être n’était-ce qu’un traquenard dans lequel il était coincé et dans lequel il serait condamné à ruminer son désespoir sans moyen de fuir.

Son regard se posa sur un quartz aux reflets luminescents. C’était étrange comme il reflétait la lumière, même au plus profond de cette obscure caverne. Tout n’était peut-être pas si noir ? Yingzi soupira, perdu dans ses pensées tourmentées.

Puis un souvenir contrariant revint à lui. Mais, s’il ne pouvait pas fuir d’ici, il allait devoir honorer ce foutu pacte passé avec ce sale renégat du nom de Jaws ! Cette idée le fit se lever d’un bond et lui hérissa le poil. Hors de question de se soumettre ! Il ne chasserait pas pour ce stupide loup ! La colère gondait en lui. Mais est-ce qu’il avait vraiment le choix ? Est-ce qu’il avait un p*tain de choix, s’il voulait vivre ? Ca l’énervait.

Et tout l’énervait. Cette atmosphère lugubre et sombre, cette caverne, ces parois rocheuses. Bordel, où était la sortie ? Cela faisait trop longtemps qu’il n’avait pas vu le ciel, il ne resterait pas une minute de plus ici. Furieux, il gratte le sol poussiéreux sous ses pattes, tandis qu’un grondement menaçant sortait d’entre ses crocs dévoilés. Il ne supportait plus ces souterrains, il fallait qu’il sorte.

Il releva la tête et, avisant le premier tunnel qui se présenta à lui, il s’y engouffra sans réfléchir. Peut-être cette fois-ci aurait-il plus de chance pour trouver la sortie du premier coup. Ainsi pourrait-il enfin voir cette île de fous dans laquelle il avait atterri. Et ainsi pourrait-il réellement se rendre compte de ce traquenard dans lequel le destin s’était amusé à le coincer.

Out.

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