Waiting for the miracle to come - Prio Morpheus.

Waiting for the miracle to come.

Morpheus & Jill.

Lorsque Jill a commencé à nager dans l'eau glaciale et remuée de la mer, elle a pensé c'est de la folie. Il y a quelques semaines, elle avait jugé complètement folle la proposition d'Yluziah. Et pourtant. Les jours se sont succédé, le temps a filé, et pas une seule fois elle n'a entendu parler de ses enfants, ni de son compagnon, ni de quoi que ce soit qui aurait pu lui donner ne serait-ce qu'une once d'espoir. Alors, bien malgré elle, Jill a commencé à se remémorer les paroles d'Yluziah. Il y a un loup un peu étrange qui est sur Sarkan de temps en temps, avait-elle dit. Il est tout gris, des yeux comme si il y brûlait un feu. C'est Morpheus, le loup prophète. Peut-être qu'en demandant son aide au temple de l'île en face de Sarkan, Neona, tu pourrais avoir des réponses ? Jill n'avait pour ainsi dire pas compris ce qu'était un loup prophète, ni où elle pouvait le trouver. Mais, à présent qu'elle est sur Sarkan depuis plus d'un mois, que rien ne change, qu'aucune nouvelle de ses louveteaux ne lui est venue, elle considère que le susnommé Morpheus est bel et bien l'unique individu à pouvoir l'aider.

Jill a suivi la Moriko jusqu'à son embouchure avec la mer. Si elle regardait bien, elle pouvait apercevoir une bande de terre, en grossière forme de croissant, qu'elle a supposé être Neona. Ayant appris qu'il était préférable de partir à marrée basse, elle a attendu jusqu'à ce que l'eau soit au bon niveau. Alors, tentant de combattre son angoisse et sa faiblesse, elle s'est lancée dans la nage rendue périlleuse par la température très peu élevée de l'eau et les maigres forces de Jill. Maintenant, elle est à la moitié du trajet, et évolue par la nage du petit chien, maladroite et peu assurée. Quand enfin ses pattes peuvent à nouveau toucher le sol, et que Neona s'offre à elle, Jill ressent un fort soulagement. Enfin, songe-t-elle. Désormais, c'est fini. Elle chasse très vite de son esprit l'idée du retour.

Trempée, dégoulinante, Jill avance de quelques pas sur la plage Amaris. Fatiguée, frigorifiée, elle halète, et ses flancs qui se soulèvent de façon spasmodique éparpillent des gouttes d'eau salée sur la roche sombre. La petite louve noire s'ébroue une fois ou deux, sa fourrure retombe en épis désordonnés sur son corps maigre. Le froid l'attaque plus que d'habitude, à présent qu'elle est mouillée, et Jill se demande si elle ne va pas être malade. Elle sait qu'elle n'aurait pas dû se risquer à traverser la mer, surtout dans son état affaibli par la faim. Mais elle désire plus que tout retrouver ses trois louveteaux. Alors, qu'importe la maladie ?

Tandis qu'elle avance tant bien que mal sur la plage Amaris, Jill espère rencontrer Morpheus. Elle place tous ses espoirs en lui, attend de sa part un miracle. Un miracle et un réconfort.

Tout le monde était au courant. Morpheus avait rencontré des accueils divers, mais au moins, les personnes ayant choisi cette intégration des louveteaux maudits en sentiraient l'effet croissant. C'était inévitable. Le froid, lui aussi, était inévitable tandis que le déséquilibre et la colère de sa Chère et Tendre Adorée envahissait Sarkan. Cela se calmerait, sans aucun doute, en voyant les louveteaux expulsés, rejetés. Draugluin ne devait pas laisser sa marque.

Revenu sur Neona, il avait passé de longues heures au temple, demandant merci pour les protégés de l'île. Mais ces protégés, eux aussi, devaient faire leur effort et ne pas aider ces aberrations de la nature. Sans aide, ils seraient destinés à une vie bien plus dure. Une vie de paria. Certains disparaîtraient même peut-être. Ce serait une bonne chose. Mais Morpheus n'avait pas les pleins pouvoirs ici. Il n'avait surement pas droit de vie ou de mort direct sur les loups de Sarkan. Mais les voir soutenir les rejetons de l'infâme chose qu'il avait lui-même éliminée, pour eux, au prix de blessures - ce qui laissaient entendre la nature incroyable de Draugluin - et d'une longue préparation.

Descendant sur la plage pour s'aérer après de longues heures de contemplation spirituelle, il vit une louve frigorifiée, sortie de l'eau depuis peu apparemment. S'avançant dans sa direction, Morpheus esquissa un petit sourire compatissant. Le réveil de Jill avait été synonyme de beaucoup d'émotions. Il s'en souvenait.

La topographie de l'île formait à certains endroits des falaises hautes, coupant le vent et offrant quelques anfractuosités où se mettre au moins à l'abri du froid.

Waiting for the miracle to come.

Morpheus & Jill.

Alors qu'elle avance sur la roche sombre, d'un pas traînant, Jill songe que la petite île de Neona a l'air glaciale. Glaciale est le premier adjectif qui lui vient à l'esprit, non pas à cause de la température bien basse, ni de la couche de neige qui saupoudre les environs, mais à cause de la pierre qui s'étend partout. Tandis qu'elle regarde les alentours avec une certaine angoisse, la petite louve noire se remémore la phrase d'Obsidian : Sur Neona, il n'y a pas de proie. Elle veut bien le croire. Tout n'est que froideur et caillasse, songe-t-elle tout en apercevant, de loin, la falaise Tuncay. L'espace d'un instant, elle se demande même comment des loups peuvent vivre dans cette contrée qui a l'air si pauvre - ce qui explique sans doute pourquoi ces terres sont celles des solitaires.

A plusieurs reprises, Jill sent un frisson provoqué par le froid lui remonter le long du dos. Fatiguée par sa nage, elle se déplace lentement, et sa boiterie est plus prononcée qu'à l'ordinaire. Elle évolue sans direction, perdue, ignorant où chercher pour trouver Morpheus. Au bout de quelques minutes, la petite louve noire s'arrête, soupire, et un long nuage de buée sort de sa gueule. Elle a si froid, elle en a tellement marre. Elle sent idiote d'avoir débarqué sur Neona sans savoir où était Morpheus. Elle aurait dû demander à un membre d'Iselwyn de l'accompagner.

Au moment où Jill s'apprête à renoncer, à revenir sur Iselwyn, à fuir ce paysage désolé, elle perçoit une présence non loin d'elle. Aussitôt en alerte, elle tourne la tête et voit un loup à la fourrure d'un gris cendré et aux yeux d'une couleur indéfinissable, jaune mêlé d'orange, une couleur très chaude qui rappelle bel et bien un feu. Cette apparition qui lui sourit d'un air compatissant correspond en tous points avec la description d'Yluziah, Jill comprend donc qu'il s'agit de Morpheus.

Enfin elle a devant elle le fameux loup prophète, celui dont elle attend le secours. Lorsqu'il lui propose de s'abriter du froid contre une falaise, la petite louve noire, trop impressionnée pour dire quoi que ce soit, obéit et lui emboîte le pas. Elle est étonnée, une fois à l'abri, de constater qu'en effet, le vent ne sait pas s'aventurer jusqu'ici. Se permettant de s'asseoir sur le sol enneigé, elle ramène sa queue autour de ses pattes et se ramasse sur elle-même avant de murmurer : « Merci. »

Jill parcourt rapidement du regard le lieu où elle se situe. Elle ne fait cela que pour retarder le moment où elle devra s'adresser à Morpheus, ce qui est une perspective qui l'effraie. Elle finit par hasarder : « Morpheus, je suis venue sur Neona pour vous demander votre aide. » Cette introduction lui apparaît comme si futile qu'elle en a honte. Après quelques secondes, la petite louve noire reprend, cette fois-ci avec beaucoup plus de naturel et d'improvisation : « Je ne sais pas si vous savez pourquoi nous sommes ici, si vous avez été enlevé aussi, si vous êtes pour quoi que ce soit là-dedans. Mais par pitié, expliquez-moi. Et dites-moi comment arrêter cette horreur, je vous en prie ! Laissez-moi repartir chez moi plutôt que de me garder ici, dans cette île sans issue où il fait froid, où tout le monde a faim, où tout le monde vit dans l'ignorance, où les louves accouchent de coyotes et où l'on est contraint d'avoir une nouvelle vie sans l'avoir souhaité ! »

Quand Jill se tait, elle se sent trembler. Le silence, coupé par le bruit du vent au-dehors de l'abri, lui semble bien imposant maintenant qu'elle s'est mise à hurler ses dernières paroles.

Morpheus l'écouta sans une expression, à part celle de quelqu'un qui était attentif. Il ne sourit pas, ne montra pas de tristesse, ni de colère. Puis une fois qu'elle eût vidé son sac, ou en tout cas expliqué ses inquiétudes, exprimé ses doléances, Morpheus baissa le regard sur le sol, puis le releva vers la louve.

commença Morpheus.

Ce nom fut dit d'une voix grave et sûre, pourtant, une pointe de chagrin s'y mêla. Il s'assit à son côté.

Ses yeux restaient braqués sur Jill, mais il ne manifesta pas de désir de la soumettre, sans s'abaisser lui non plus.

Il fit une pause, brève, mais ne cherchant nullement ses mots. Il voulait que Jill prenne le temps de tout digérer.

Le plus important était à venir.

Waiting for the miracle to come.

Morpheus & Jill.

Jill cherchait un réconfort de la part du grand loup prophète. Cependant, au fur et à mesure qu'elle l'écoute parler, elle sent cet espoir s'amenuiser, mourir. Les dires de Morpheus l'enfoncent peu à peu, et elle ne réussit pas à détacher son regard de ce mâle gris assis à côté d'elle. Tandis qu'il lui explique Sarkan, si celui-ci peut être expliqué, une sorte de voix intérieure lui susurre qu'elle ne quittera pas Neona avec, comme elle l'avait souhaité, le coeur soulagé et heureux. Au contraire. Dévisageant Morpheus avec intensité, la petite louve noire enregistre les mots qu'il prononce, mais elle ne peut croire à rien.

Tout lui apparaît comme brouillé, invraisemblable, et surtout complètement illogique. La première chose qui l'horrifie est la description de Morpheus par rapport à Sarkan, lorsqu'il dit que l'île conservera toujours un rythme égal, perpétuel, que même si tous les loups qui, actuellement, la peuplent devaient mourir, d'autres viendraient les remplacer, et le cycle recommencerait. Jill ne parvient pas à imaginer pareil mécanisme. Puis, alors que le récit de Morpheus avance, elle sent une cruelle déception s'emparer d'elle. Le loup prophète, en qui ces derniers temps, elle avait placé tant d'espoirs, dit ne pas tout connaître du fonctionnement de l'île, ignorer comment tous sont arrivés ici, et surtout - point qui le rend soudain très antipathique - n'avoir pas été enlevé lui-même. Il ne sait pas ce que c'est, pense subitement Jill. Il ne peut pas savoir.

Néanmoins, le coup le plus dur que lui inflige Morpheus est cette simple phrase : il n'y a pas de retour en arrière. Après l'avoir prononcée, il se tait, et un long silence s'installe entre eux. Jill se remémore Yluziah, Dyniya, Moïra. Toutes lui ont affirmé qu'elle ne reverrait jamais ses enfants. Elle avait refusé d'y croire, parce que non, ce n'était tout bonnement pas imaginable de perdre sa famille proche de cette façon. Et, naïvement, elle avait cru qu'un loup prophète pouvait l'aider à retourner en ses terres natales. Un loup prophète qui n'en est probablement pas un - il lui a émit les hypothèses concernant sa propre personne, mais ne lui a pas dit laquelle était vraie ni laquelle était fausse. Lentement, Jill détourne le regard et le pose sur la mer. Elle ne sait pas cerner quelle émotion la domine, si c'est la déception, la tristesse, ou tout simplement le vide, un vide immense, une résignation affreuse.

« Ce n'est pas possible » est la première phrase qu'elle dit, après ce long silence. Sa gueule lui semble pâteuse, sa voix désaccordée. La petite louve noire baisse la tête, ferme les yeux, essaye de retenir l'accablement qui la submerge. Doucement, elle réussit à se ressaisir, et elle se redresse quelque peu. Voyant de nouveau la mer, elle ajoute : « Enfin, il doit bien y avoir un moyen de revenir chez soi. Il y a la mer. Il suffirait de nager, et de... De revenir là d'où on vient... » Sa voix meurt. Au moment où elle entend les mots sortir de sa gueule, elle comprend qu'elle n'y croit pas elle-même. « Pourquoi m'a-t-on amenée ici ? » gémit-elle ensuite en songeant uniquement à elle-même, et pas aux centaines d'autres vies canines apportées en ce lieu par une puissance obscure. « J'étais bien avec Alcor et nos enfants » poursuit-elle sans s'adresser particulièrement à Morpheus. « On se disputait quelquefois, mais dans l'ensemble on s'en sortait plutôt bien. »

Jill pousse un gros soupir où perce un sanglot. « Vous m'avez parlé d'une qualité qui nous rendrait supérieurs à d'autres. Mais à qui sert-elle ? Et pourquoi nos camarades d'autrefois ne pouvaient-ils pas en bénéficier ? » La petite louve noire s'aperçoit qu'elle s'est remise à trembler. « Quelle qualité puis-je avoir ? » dit-elle encore, monologuant plus qu'autre chose. « J'ai une mauvaise patte. Je ne cours pas vite. Je ne suis pas du tout une bonne chasseuse. Je ne sais pas me battre, ni me défendre moi-même. Je ne sais pas espionner ou me faire passer pour quelqu'un d'autre. Je suis une oméga et je n'ai pas d'ambition. » S'arrêtant là, Jill finit par se taire. Avec une ultime lueur d'espoir, elle reporte son attention sur Morpheus.

La détresse de Jill était si palpable que Morpheus se sentit presque obligé de détourner le regard. C'était une pression très forte, très étrange pour lui. Il ne détourna pas ses yeux de la louve. Peut-être était-ce ce qu'inflexible voulait dire.

Les questionnements de Jill étaient certes légitimes, mais ils se heurtaient à ce que Morpheus savait, et surtout, ne pouvait dire. Ou ne savait pas. Mais principalement : Etait dans l'incapacité de communiquer. Son rôle venait avec un certain nombre de secrets nécessaires au continuum de la vie.

En effet, pourquoi pas Jill ? Pourquoi choisir un autre loup, qui trouverait sa situation tout autant dommageable qu'elle ? Vouloir rejeter ses malheurs sur les autres étaient une stratégie souvent retrouvée. "Prenez untel, ne me prenez pas !". Mais Morpheus ne choisissait pas.

Waiting for the miracle to come.

Morpheus & Jill.

Morpheus écarte l'idée de nager jusqu'à parvenir sur une autre terre que Sarkan, une terre qui, de préférence, serait celle d'où l'on vient. Jill est forcée d'admettre qu'il a raison. Cependant, la perspective de se noyer lui semble sur le coup assez tentante. Elle se sent si désespérée, si démunie. Le réconfort qu'elle comptait recevoir de Morpheus a complètement disparu. Elle commence à comprendre qu'elle ne recevra rien que, justement, ce qu'elle n'a absolument pas envie d'avoir. Cela la démoralise davantage. Elle tente de soutenir le regard de Morpheus, néanmoins elle capitule assez vite, et le laisse poursuivre sans l'interrompre. Lorsqu'il lui dit répondre à tous les pourquoi par pourquoi pas ? Jill sent une brusque bouffée d'antipathie l'envahir. Susceptible, elle se demande si le soit-disant loup prophète n'est tout simplement pas en train de se moquer d'elle. Cela la blesse plus qu'autre chose.

Lorsque Morpheus entreprend de lui expliquer ce qu'est une "qualité élite", ce sentiment demeure en elle. La petite louve noire ne comprend pas le principe que tente de lui inculquer Morpheus : une "qualité élite" n'est pas forcément être puissant ou avoir un talent particulier pour la chasse. Elle essaie de voir où pourrait se terrer la sienne. Mais elle a beau retourner la situation dans tous les sens, elle ne voit pas quel côté de son caractère pourrait être exacerbé. Elle ne se juge pas foncièrement généreuse, ni empathique. Elle ne connaît pas la botanique et serait incapable de soigner quiconque. La gestion des conflits lui donne pour exemple Morpheus. Jill tente de partir de là. Mais, d'après sa version des faits, elle évite les conflits plus qu'elle ne les gère. Les nombreuses fois où elle s'est accrochée avec Alcor, son compagnon, elle finissait par être la première à concéder, à baisser les armes.

Jill n'aime pas du tout la vision que Morpheus lui donne de Sarkan, en particulier quand il en parle dans les termes de monde en perpétuel changement, où disparitions et morts sont monnaie courante - du moins la petite louve noire l'interprète-t-elle ainsi. Demeurant silencieuse sur le sujet des qualités élite, elle se penche plutôt sur la dernière phrase de Morpheus. « Justement » réplique-t-elle. « Quand nous arrivons ici, nous sommes totalement perdus. Moi-même ait atterri dans une grotte avec une autre louve à l'allure sauvageonne qui venait de se réveiller aussi et qui était bien incapable de me dire ce qu'il nous arrivait ! » Jill a un frisson en se remémorant cette scène. Quelle affreuse journée que celle de son arrivée ici ! « Puisque vous dites être toujours dans les alentours lorsqu'un malchanceux s'éveille sur Sarkan, pourquoi ne venez-vous pas auprès de lui, pour le rassurer, pour lui expliquer, comme vous le faites avec moi, en ce moment même ? Pourquoi l'abandonnez-vous à son sort ? » poursuit-elle.

Jill se promet que si Morpheus ose lui répondre pourquoi pas ? elle le mordra. Fort.

Morpheus dût reconnaître qu'elle avait des questions pertinentes. Il ne se sentirait pas plus mal à l'aise que ça d'admettre qu'il ne pouvait pas le dire. L'ambivalence de la répondre lui laissait assez de latitude.

Morpheus n'était pas du genre "rassurant", ou en tout cas il n'en avait pas la sensation. Mais tandis qu'elle lui posait des questions, il se rendit compte qu'il appréciait pouvoir lui expliquer ce qui se passait, dans la limite du possible.

Peut-être ne le croyait t-elle toujours pas, mais elle avait eu le temps de faire le tour de l'île. De voir ce qui se passait, de rencontrer d'autres loups. De commencer son deuil. Car il fallait bel et bien aux loups de Sarkan un temps pour accepter la perte. La travailler en eux.

Waiting for the miracle to come.

Morpheus & Jill.

Heureusement, Morpheus ne répond pas pourquoi pas ? Il dit au contraire être dans l'incapacité d'expliquer clairement, rationnellement, le mystère et l'illogique qu'est Sarkan. Jill se surprend à ne pas le croire. Cependant, elle est à nouveau obligée d'admettre que Morpheus a raison quand il lui dit que s'il avait été là durant l'affreux jour de son réveil, et s'il lui avait tout exposé exactement comme il l'a fait au jour d'aujourd'hui, elle n'aurait jamais réussi à le croire, et l'aurait pris pour un fou. Néanmoins, même à présent, l'opinion de Jill commence à pencher pour ceci : Morpheus est fou. Il s'est donné un titre avantageux, celui de prophète, qui lui sert probablement à manipuler toutes les meutes. Car qui oserait contester les paroles d'un loup béni par la "Très Chère Lune" ? Qui oserait douter d'un loup recevant des ordres ? La petite louve noire sent la colère et une amère déception se répandre en elle. Evidemment, songe-t-elle, quoi de mieux quand on ne sait pas que d'inventer, que de prétexter une espèce de loi du silence ? Quand Morpheus lui parle des fameux ordres "innés chez lui", disant "ne pas être en mesure de tout divulguer", Jill se lève.

« Des ordres ! » crache-t-elle avec mépris, et elle est la première surprise à entendre sa voix résonner avec tant de puissance. « Avouez plutôt que vous ne savez pas. C'est bien facile de se donner le nom de loup prophète, puis de déclarer ne savoir rien déclarer, justement. Ah ! Qui pourrait vous contredire ? Vous ne vous aventurez pas, vous ne dites rien de précis. Tout reste vague. J'en conclus que vous n'en savez pas davantage que moi sur cette maudite île appelée Sarkan ! » La petite louve noire s'interrompt, reprend son souffle. Elle s'aperçoit qu'elle tremble, mais est-ce de froid, d'émotion ? Elle ne sait pas. Reculant d'un pas ou deux, elle crie encore : « Je me demande combien à d'individus vous avez ainsi adressé vos paroles voulues sibyllines, et combien vous en avez piégé. Combien d'imbéciles vous ont cru ? Combien d'idiots ont pris vos dires pour ceux d'un prophète ? Combien de fanatiques ont obéi aux ordres qui en découlent : adaptez-vous et vivez ici, même si vous ne comprenez rien, même si vous ne comprendrez jamais ? »

« Vous avez peut-être attrapé Yluziah ainsi » ajoute Jill tout en tournant les talons, prononçant ces dernières phrases avec toute la fureur contenue en elle. « Mais moi, je rejoins les rangs de ceux qui vous jugent fou. » Et, avant même de pouvoir entendre les éventuels arguments de Morpheus, la petite louve noire fuit l'abri offert par le pseudo-loup prophète, court sur la plage Amaris, sous le vent froid, et s'engage dans la mer. Alors qu'elle nage vers l'île principale, Jill sent le remords l'envahir. Elle est lâche, elle a refusé d'écouter Morpheus, l'a assommé d'injures pour décamper aussitôt. Peut-être voulait-il argumenter en sa faveur, se défendre. Elle ne lui en a pas laissé l'occasion. Sa conduite a été celle d'un louveteau.

Jill s'en veut, songe qu'il est trop tard, trop tard pour faire demi-tour, trop tard pour se faire pardonner, trop tard pour changer.

[Fin du RP pour Jill. J'espère que cela te plaira. Huhu

]

Bien sûr. Jill ne pouvait pas comprendre. Elle ne pouvait pas savoir. Elle n'avait pas vu chaque prédiction donnée avec attention, chaque blessure reçue pour défendre Sarkan. Morpheus se contenta de l'observer, mutique, neutre. Il n'allait pas s'énerver contre elle, il était si loin de tout ça. Peut-être avait t-elle raison, qu'il était fou. Un fou immortel. Un fou capable de ne pas prendre enveloppe de chair lorsqu'il assistait, comme un devin, à tous ces réveils. Il n'avait jamais vraiment douté. Il ne le ferait pas, les choses telles qu'elles étaient ne pouvaient pas être divulguées. Bien sûr, il pourrait le dire à un mourant, car le croire ou non, cela apporterait à certains la paix.

Aucun loup n'était mort de vieillesse et lors de la dernière mort, celle de Sili-Ahn, il était en combat. Sa tombe trônait près du Temple, elle l'avait mérité. Elle avait vécu, s'était donnée corps et âme à son expérience.

Quittant l'anfractuosité, Morpheus tourna le dos à la plage pour remonter vers le temple. Jill avait cette passion de ceux qui ne vivent qu'une fois et qui préfèrent expliquer les choses pour ne pas sombrer dans l'instabilité mentale. Sa colère avait un goût frais et piquant de survie.

[Terminé, à clôturer]

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