Peindre en mille couleurs l'air du vent ... [Bliss]

Seth tournait en rond, au sens propre comme au figuré. Cela faisait plusieurs dizaines de minutes qu'il faisait les cents pas, tout en haut d'une falaise, proche du trou qui la séparait de sa jumelle.
Il frôlait le vide sans même y penser. Il lui semblait que sa vie stagnait, dans une succession de déceptions et de frayeurs, de lâcheté et d'agressivité. Il n'arrivait pas à créer ce qu'on appelle "amitié" et en avait-il vraiment envie ? Ses congénères l'agaçaient, le mettaient en colère ou l'effrayaient. Pourquoi fallait-il qu'il passe sans cesse d'un extrême à un autre ? Pourquoi ne pouvait-il pas baigner dans une existence régulière et sans surprise ?

Sûrement parce qu'il s'ennuierait.

Mais il s'ennuyait. Il ne savait pas ce qu'il voulait, il ne savait pas définir les choses et il réfléchissait sans cesse, à s'en donner continuellement mal à la tête.
Ses pattes étaient douloureuses mais il ne cessait pas de marcher encore et encore, revenant sur ses pas et ainsi de suite. Sinon, la tension qui lui crispait le corps tout entier allait le submerger sans pitié.

Il était fatigué de douter sans cesse, lassé de se poser encore et encore les mêmes questions. Il était irrité de se confronter aux réactions hostiles de ses congénères - Seth ne se montrerait pas hostile, lui, si les autres se montraient intéressants. En vérité, il avait besoin d'action, mais ça s'opposait trop à son habituelle solitude. Seth releva légèrement la tête. Il avait un problème. Il était beaucoup trop paradoxal pour sa santé mentale.

Il était arrivé à cette triste conclusion lorsqu'une odeur se glissa jusqu'à lui. Il connaissait cette effluve, elle représentait Iselwyn - son cœur se serra en se souvenant qu'Azarah semblait avoir disparue. On l'interpella et instinctivement ses oreilles se couchèrent contre son crâne et il grogna. Il chercha des yeux l'agaçant fauteur de troubles (c'était une faute de le déranger, ses pensées et lui), et il reconnut le mâle qu'il avait légèrement rudoyé dans la grotte de Khthonia. Seth avait une bonne mémoire et il se souvenait du loup.

" Je ne glisserai pas. " lâcha t-il d'une voix rauque.

C'était une affirmation, il avait pleinement maîtrise de son équilibre et taquiner le vide ne lui faisait pas peur.

Sans cesser ses va-et-vient, il ne lâcha pas du regard le canidé.

Le loup clair l'agaçait déjà. Seth prit une grande inspiration. Il voulait sans doute se montrer de bon conseil ... Mais il n'en voulait pas, il préférait se tromper seul.
A son grand étonnement, le mâle entreprit de le rejoindre. Était-il fou ou simplement trop naïf ? Il l'observa grimper jusque lui, partagé entre l'envie de fuir et celle de l'attaquer.

Depuis quand était-il aussi prompt à l'agression ? Il se dégoûtait lui-même. Il ferma brièvement les yeux. Ses pattes tremblaient légèrement.

Finalement, le loup ne l'avait pas reconnu - Seth comprit alors pourquoi il était monté - mais maintenant qu'il se souvenait de lui, pourquoi ne filait-il pas ?

Il secoua la tête. Ses congénères étaient souvent incompréhensibles. Il reporta son regard perçant sur le loup et sa voix éraillée s'éleva, dure et sèche.

" Tu n'as pas peur ? "

Ses oreilles étaient toujours tournées vers l'arrière et sa queue était portée haute. Néanmoins, il n'affichait aucune intention de l'agresser.

Le loup ébène frémit. Ainsi, un sens aigu de l'observation se cachait derrière les paroles naïves et légères du jeune canidé. Les apparences étaient trompeuses ... Seth se sentit déboussolé à être ainsi cerné. Mais était-ce une raison pour balancer ces vérités gênantes que personne ne souhaite entendre ?

" Je ne suis ni perdu, ni seul. " grogna t-il, de mauvaise foi.

Amis. Il n'avait pas besoin d'amis. Et n'en avait pas l'envie. Il soupira. Sans s'en rendre compte il avait cessé de marcher dans tous les sens et il s'assit en face du dénommé "Bliss". Sa tête s'abaissa doucement. C'était fatiguant d'ériger continuellement des barrières entre lui et le monde.

" Est-ce que tu sais où est Azarah ? " demanda t-il soudainement quelques minutes plus tard, brisant le silence qui s'était installé.

Il eut du mal à dissimuler l'espoir qui l'animait. Le mâle était d'Iselwyn, il savait sûrement quelque chose ! Il se releva brusquement, l'adrénaline baignant ses veines et son énergie remontant en flèche.