~ Should I stay or should I go ?

Ce fut dans ce lieu que la louve au pelage argent vint se promener. Il y avait là une ambiance chaleureuse que peu de territoires avaient l'avantage de posséder, chose qui plaisait beaucoup à Huyana. Cette dernière, aussi silencieuse que possible, marchait près des parois de la caverne. Elle avait l'air plutôt tranquille et généralement, cela plaisait à ceux qui croisaient sa route. En vérité, c'était une des seules fois où elle ne se cachait pas pour surprendre les loups qui passaient par là. Certes, c'était un jeu amusant mais il y avait un temps pour chaque chose. Et à ce moment précis, ses envies tournaient autour de la contemplation des différentes gemmes qui étaient incrustées dans la surface pierreuse des murs. Ce territoire animait en elle une joie de vivre peu commune et la rendait relativement propice aux rencontres, ce qui n'était pas négligeable lorsqu'on connaissait plus amplement la demoiselle.

Sa queue battit l'air plusieurs fois avant de se détendre, retombant ainsi contre ses pattes arrières. Le calme plat suggérait une solitude absolue, à croire que personne ne passait jamais par ici. Enfin, il ne fallait pas parler trop vite. Huyana était certain que quelqu'un serait en sa compagnie d'ici quelques minutes, il ne fallait pas minimiser le hasard lorsque ce dernier rythmait l'existence. En particulier la sienne.

Elle s'était arrêtée, comme figée, lorsqu'une voix avait résonné dans la grotte. Elle s'attendait à trouver quelqu'un ici mais loin d'elle était l'idée d'une rencontre avec un mâle. Il fallait toujours s'en méfier, ou tout du moins jouer cartes sur table avec ces derniers. Car pour certains d'entre eux, les femelles étaient un jouet sexuel qu'ils ne pouvaient pas se permettre de laisser filer. Elle tenait à faire valoir sa place, quitte à se montrer légèrement dominante si jamais cet inconnu décidait d'être plus agressif que présent. Mais ce qui suivit la surprit et n'alla pas dans le sens de ses pensées. Le mâle s'était arrêté et la scrutait de ses d'or, il mit quelques secondes avant de parvenir à se présenter.

Ainsi donc, son nom était Marrok. C'était plutôt beau, mais pas trop. Suffisamment pour que chacune des syllabes qui le composaient viennent tinter aux oreilles de la louve avec un son agréable. Huyana était méfiante, il n'était pas de sa meute. Il ne faisait pas parti du Kohinoor. Ses oreilles, légèrement pointées vers l'arrière, laissaient entrevoir une distance de la part de la femelle. Elle ne tenait pas à se trouver au cœur d'un conflit.

- Bonjour, répondit-elle toutefois en plongeant son regard ambré dans celui du mâle sans aucun signe de soumission envers ce dernier, de toute façon, il n'avait pas l'air d'être un alpha. Je me nomme Huyana, enchantée.

La politesse était de coutume lorsqu'elle rencontrait ses semblables et jamais il ne lui serait venu à l'idée de sauter des étapes telles que les présentations ou encore le vouvoiement. Elle tenait à être la plus impassible possible en face d'un loup, surtout si ce dernier n'était pas de sa meute. Toutefois, ce dernier n'avait pas adopté une position agressive, elle s'autorisa donc à détendre ses muscles un court instant.

Le regard du mâle ne semblait lui faire ni chaud, ni froid. La femelle était habituée aux rencontres ainsi qu'aux confrontations de toutes sortes, ce n'était pas un simple individu qui allait ébranler son impassibilité tout de même. Toutefois, il fallait avouer que ses yeux étaient vraiment beaux et que son physique ne la laissait pas indifférente.

- En effet, lui répondit Huyana qui n'avait pas pour habitude de cacher l'endroit d'où elle venait, à part dans certaines situations qui pouvaient s'avérer être plus complexes que celle-ci.

Elle ne connaissait pas toutes les meutes qui peuplaient ces terres, raison pour laquelle elle ne dit pas un mot de trop. Elle se contenta de détailler discrètement le loup qui se trouvait en face d'elle avant d'ajouter une simple question.

- Quelle est votre meute ? Lui demanda-t-elle posément en laissant son regard plongé dans celui du mâle gris.

S'asseoir n'était pas une mauvaise idée, à vrai dire, ses pattes étaient endolories à force de marcher pendant des heures. Ce fut pour cette raison que ses postérieurs se plièrent sous elle et qu'elle se mit dans la même position que le mâle, face à lui. Il n'était pas question de dominance, ni même de soumission, il ne s'agissait là que de deux individus qui faisaient connaissance. Ils étaient tous les deux issus de meutes différentes, pourtant cela n'empêchait pas Huyana de penser qu'ils allaient bien s'entendre. Le loup n'avait pas l'air de vouloir chercher une relation conflictuel, chose qui seyait à la demoiselle. Elle aimait beaucoup la compagnie de ceux qui étaient au moins aussi calmes qu'elle. Enfin, mieux valait qu'il ne s'emporte pas aussi vite que la louve car on savait qu'Huyana était impulsive sous sa couverture de femelle respectueuse et courtoise.

- Non, je ne connais pas Azarah, lui répondit alors la louve en réfléchissant tout de même durant un court instant, mais aucun nom de ce genre ne trottait entre ses neurones. Et je me suis réveillée ici il y a quelques jours à peine, peut-être une semaine, je ne saurais pas le dire exactement. Et vous ? Depuis quand être-vous là ?

Elle aimait beaucoup l'attitude du mâle envers elle, chose qui devenait très rare, notamment lors de cette période plutôt tendue qui régnait sur les territoires de Sarkan. Sans doute aurait-elle dû être plus méfiante, mais l'individu qu'elle avait en face d'elle n'avait pas l'air bien méchant. En vérité, elle pensait même pouvoir l'apprécier plus amplement s'il prenait le temps de rester avec elle. Elle n'avait aucun doute sur cette option, elle sentait quelque chose de positif de la part de Marrok envers elle, et cela lui plaisait. Elle ne pouvait pas s'empêcher de sourire, même si ce n'était que légèrement.

Mystérieuse... En effet, cette île l'était bel et bien. Elle devait renfermer bon nombre de secrets, et la louve se demandait quels trésors recelaient les territoires. Toutefois, pour le moment, l'heure n'était pas à la découverte de Sarkan mais à celle de ce mâle qui lui inspirait confiance.

- Je veux bien vous croire, lui dit la louve grise en laissant son regard ambré dans celui du mâle, consciente que cela avait l'air de lui faire de l'effet.

Elle avait une emprise sur lui, même si celle-ci était minime. Elle se devait d'en jouer, mais pas de sorte à lui faire du mal. Elle n'avait pas pour intention de déclencher un conflit inutile entre sa meute et celle de Marrok. En vérité, elle souhaitait utiliser l'attirance qu'il semblait éprouver envers elle à bon escient, car c'était réciproque. Une attirance physique paraissait tout à fait banale, surtout pour une femelle qui n'avait jamais eu d'aventure amoureuse. Elle ne cherchait pas d'idylle, elle ne voulait pas d'ennui, elle était bien avec cette solitude tranquille dans laquelle elle baignait depuis qu'elle était petite. Malgré la présence de la meute, cela n'avait jamais été un poids et elle avait toujours su comment trouver des moments de calme. Que pouvait-elle donc faire avec ce mâle ?

- Vous connaissez du monde ici ? Lui demanda-t-elle en laissant ses prunelles ancrées dans les siennes, tels deux poignards s'accrochant à de la chaire tendre. Enfin, je veux dire... Avez-vous des proches ? Une famille dans votre meute ?

C'était une question posée au hasard, la première qui lui était venue à l'esprit. Mais elle préférait savoir si ce mâle avait une conjointe, dans ce cas elle ne penserait même pas à approfondir cette relation qui se construisait pas à pas. Et puis de toute manière, leurs meutes étaient différentes, cela réglait immédiatement le problème.

Alors comme ça, il n'avait pas de compagne. Etrange. Enfin, aux yeux de la louve, c'était quelque chose de surprenant. Ce mâle avait tout pour lui, autant au niveau du physique qu'au niveau du caractère d'après ce qu'elle pouvait voir. Mais elle ne le connaissait que depuis quelques minutes, il aurait été prématuré d'avancer des certitudes alors que tout ce qu'elle pouvait penser n'étaient que de vagues idées parfaitement hypothétiques.

- Les membres de ma meute peuvent être assimilés à une sorte de famille, lui répondit finalement Huyana qui tenait à montrer que personne ne pourrait porter atteindre à sa fidélité envers son alpha, même une attirance envers un mâle ne se jouerait pas d'elle. Toutefois, je n'ai ni amant, ni conjoint. Il se trouve que je n'ai pas non plus de louveteau, et que je n'en ai d'ailleurs jamais eu.

Elle était encore jeune, pas étonnant qu'elle ne soit pas encore mère. Cependant, l'envie de l'être ne lui manquait pas, car elle avait une affection particulière pour les louveteaux. Dans son ancienne meute, elle s'était parfois occupée des petits des femelles qui étaient ou trop faibles ou trop occupées pour prendre soin d'eux. Son calme venait aussi de cet instinct maternel qui la tenait depuis qu'elle avait atteint sa maturité sexuelle, ce qui était tout à fait normal.

- Vous pouvez me tutoyer si vous le souhaitez, lui dit-elle en baissant un court instant son regard avant de le plonger de nouveau dans celui de ce mâle aux traits si bien dessinés.

Si elle n'avait pas été aussi tranquille, sans doute aurait-elle été tentée par la séduisante idée de le charmer. Mais ce n'était pas dans sa nature, et elle ne tenait pas à devenir l'une de ces nombreuses femelles qui comptaient plus d'amants que de neurones. Même si le dénommé Marrok remplissait toutes les conditions requises pour être un candidat au poste d'amant, elle préférait ne pas en faire mention. De toute manière, c'était trop tôt pour prendre les choses de cette façon.

Tout aurait été tellement plus simple si elle était restée dans sa meute natale. Là-bas, elle aurait peut-être été avec un mâle aimant. A cette idée, elle finit par secouer légèrement la tête en fronçant des sourcils inexistants. Il ne fallait pas qu'elle ait des remords, c'était arrivé et elle ne pouvait plus revenir en arrière. Ce réveil brutal sur Sarkan, les nouvelles têtes, les meutes qui se différenciaient de par leurs membres et leurs objectifs. Elle aurait été plus tranquille en se sachant entourée d'une seule et même meute, sur son territoire natal elle n'aurait pas eu de problème au niveau du choix de celui qui partagerait sa vie. Ici, ça allait être une autre histoire, surtout si un mâle d'un autre clan lui plaisait. Et elle pressentait que des difficultés allaient survenir avec la présence de Marrok dans son champ de vision. Tout d'abord parce que ce dernier était relativement beau, ce qui ne la laissait pas indifférente, et ensuite parce que ce qu'il disait lui plaisait.

- Je suis encore jeune, lui répondit Huyana qui, lorsqu'on lui parlait de louveteaux, paraissait aussitôt plus heureuse. C'est avant tout pour ça que je n'ai pas encore eu de louveteaux. J'aimerais en avoir. Dans la meute où je suis née, je m'occupais des petits quand leurs mères biologiques ne pouvaient pas le faire. J'aime énormément les petits et j'ai appris à m'en occuper très tôt lorsque j'étais plus jeune.

A cette pensée, on sentit une vague de nostalgie envahir la demoiselle. Elle aurait tant aimé revenir sur ces terres où elle avait vu le jour pour pouvoir y mettre au monde des petits. Elle espérait seulement que sur Sarkan, elle pourrait enfanter, voir grandir des êtres qui sortiraient du sanctuaire protecteur que formaient ses flancs. Son sourire s'agrandit légèrement et ses prunelles ambrés dérivèrent vers le sol l'espace d'un instant.

La louve grise laissait ses iris dans les yeux du mâle, elle voulait qu'il lise en elle qu'il voulait savoir. S'il l'attirait, il le saurait en un seul et unique regard. Mais venant d'elle, aucune parole ne viendrait le plonger dans la certitude. Son but n'était pas de rallier un loup à sa meute, ni même de mettre en péril le fragile équilibre entre les différentes tensions sur les territoires. Elle souhaitait simplement être au calme sans avoir à se soucier des batailles qui se livraient dans chaque coin des terres. Toutefois, cela la concernait si son alpha était en péril ou même si cette dernière avait besoin de son aide. A ses yeux, la meute était quelque chose d'important qu'on ne pouvait renier, même si une idylle se créait entre elle et Marrok.

- Pour élever des petits, je trouve que Sarkan peut être un bon endroit, lui répondit cependant Huyana qui avait vu beaucoup de cachettes où elle pourrait mettre-bas ou même où elle pourrait élever ses petits, car elle n'envisageait pas l'avenir aux côtés d'un mâle pour le moment. Et concernant mon arrivée ici, elle n'a pas été trop difficile, mais merci de t'en soucier. En vérité, ma meute natale me manque de temps à autre mais ce n'est rien de bien grave, je pense qu'il faut juste que je m'y fasse. Comment s'est passée ton arrivée ici ?

Elle avait retourné cette question avec aisance sans chercher trente-six mille manières de la tourner. Car Huyana était faite ainsi, sincère et franche, elle ne passait jamais par quatre chemins pour en venir à ce qu'elle voulait dire. Et puis, ce sujet n'était pas non plus tabou, il ne fallait pas le prendre ainsi. Après tout, Sarkan était un endroit relativement calme malgré les tensions qu'érigeaient certaines meutes au sein des territoires, et la louve grise était heureuse d'avoir atterri là.

Aux yeux de la louve grise, ça ne paraissait pas bizarre. Ou tout du moins, ce n'était pas surprenant. S'il était arrivé sur l'île alors que sur les territoires d'où il venait, il n'était pas heureux, ce n'était pas une si mauvaise chose d'avoir changé. Tout dépendait de ce qu'on avait vécu avant, alors Sarkan pouvait devenir ou une prison naturelle, ou un sanctuaire protecteur. En ce qui la concernait, ce n'était ni l'un ni l'autre, ces terres étaient juste l'espérance d'une nouvelle vie, d'une existence moins malmenée dans une meute qui lui était encore quelque peu inconnue. Cependant, elle ne se faisait pas de souci à ce sujet, elle savait pertinemment que les liens dans un clan se forgeaient d'eux-mêmes entre ses membres. C'était naturel, et d'ailleurs elle était heureuse qu'il en soit ainsi. Quelle aurait été sa douleur si elle avait atterri dans un endroit où tout le monde ne pensait qu'à son petit plaisir personnel.

- Je ne trouve pas ça bizarre, lui dit alors Huyana qui ne quittait pas du regard le beau mâle qui se trouvait devant elle. Tout dépend de ce qu'on a vécu auparavant, de notre expérience personnelle. J'étais bien dans ma meute natale et même si parfois j'ai quelques moments de nostalgie en repensant à mon ancien alpha, je me dis que celle du Kohinoor est tout aussi sympathique. Je pense pouvoir m'habituer aux lieux assez rapidement.

Huyana avait fini par bouger en faisant un pas vers le loup sans pour autant paraître trop proche de lui. Une intimité dans cette situation n'aurait pas donné au mâle une bonne vision de celle qu'elle était réellement. Car la demoiselle n'était pas quelqu'un de facile à approcher, normalement. Toutefois, ici, elle se sentait en confiance avec ce monsieur particulièrement charmant. C'était une grande première pour cette louve discrète qui fuyait parfois la présence de ses congénères pour trouver du calme. En vérité, elle ne savait pas comment réagir pour se rapprocher de lui de sorte à ce que cela ne se fasse pas trop vite, et que cela ne soit pas irrespectueux. Car son éducation était collée à elle et le resterait jusqu'à la fin de sa vie. Ses valeurs et principes moraux étaient des éléments importants qu'elle ne négligeait jamais même si de temps à autre l'envie de lui en manquait pas.

- Tu veux que nous visitions cette grotte ? Lui demanda-t-elle finalement alors que son regard ambré se mettait à pétiller de malice à la lueur des gemmes incrustées dans les parois du lieu où ils se trouvaient.

Elle voulait en apprendre plus sur lui, savoir d'où il venait, ce qu'il aimait, peut-être même s'en faire un proche. Plus particulièrement un amant, ou même un conjoint. Quelqu'un qui pourrait l'aimer pour celle qu'elle était et non pour celle qu'on voulait qu'elle soit. C'était tout ce qu'elle demandait, rien de plus. Mais elle voyait une idylle là où il n'y avait qu'une attirance et ce fut en une dizaine de secondes qu'elle se ressaisit. Les meutes n'étaient pas faites pour les rapprocher, il allait falloir qu'elle se sorte cette idée de la tête. Amour et attirance allaient ensemble, certes, cependant elle restait méfiante. Qui était-il vraiment ? N'y avait-il pas là tout un stratagème pour détruire sa meute et la briser, elle ? La relation n'était pas très poussée mais déjà, elle s'interrogeait. On la vit aux aguets et son expression redevint fermée, indéchiffrable. Son regard était à présent muet, même si elle aurait voulu pouvoir s'ouvrir davantage.

Il avait l'air d'être fidèle à sa meute, au moins autant qu'elle était loyale envers la sienne. C'était une bonne chose, car elle ne se voyait pas être amie avec un traitre ou même un lâche. Ces deux catégories de personnages la dégoûtaient presque autant que ceux qui mentaient. Huyana avait tendance à être impulsive, notamment lorsque des situations touchaient à ce qu'elle détestait le plus au monde. Certes, elle n'avait pas eu d'expérience douloureuse avec les mâles, mais elle espérait ne jamais en avoir. D'après ce qu'elle avait entendu dans son ancienne meute, ces histoires-là terminaient toujours mal. A cette idée, ses poils se hérissèrent sur son échine avant qu'elle ne secoue son corps svelte afin de s'ébrouer, consciente qu'il fallait qu'elle reste calme. La situation était agréable et elle ne voulait pas que cela change simplement à cause des doutes qui encombraient son esprit.

- Je trouve cette grotte remarquable, dit Huyana avant de se lever.

Son regard ambré se posait sur les parois de la caverne avec attention, un mélange de curiosité et d'émerveillement s'était glissé au sein de ses iris. L'espace d'un instant, elle était redevenue une jeunette naïve, étonnée par son environnement. Mais le contact de sa fourrure contre celle du mâle la fit brusquement revenir à la réalité. Un frisson lui parcourut le corps et elle fut incapable de dire un seul mot de plus. Elle était à présent debout, immobile, à sourire bêtement. Elle effaça cette espèce de grimace enfantine de ses lèvres délicates et se mit à marcher aux côtés du mâle en se plongeant dans un mutisme qui, d'ordinaire, aurait paru plus qu'inquiétant chez elle. Mais le contact physique avec Marrok semblait l'avoir rendue timide, et cela ne passerait sûrement pas inaperçu.

Si elle avait été humaine, on aurait pu voir ses joues devenir bien rouges face à ce compliment. Mais, étant bien évidemment une louve, elle se contenta de baisser les yeux afin de contempler le sol dans cette marche qui la rendait remarquablement timide. D'ordinaire, elle aurait parlé sans problème, même si sa discrétion l'empêchait d'être réellement bavarde ou même casse-pieds pour ses interlocuteurs. Ici, elle se contentait de faire ce bout de chemin aux côtés du mâle sans piper mot. Elle s'en rendit compte subitement et se hâta de réparer cette grossière erreur qu'elle venait de faire sans même le vouloir.

- Oh... Lui répondit-elle d'une voix plutôt hésitante accompagnée d'un regard fuyant. Merci, c'est gentil.

Il fallait dire qu'elle n'avait pas l'habitude d'être sujette à des compliments aussi gentils que celui que venait de lui faire Marrok. Dans son ancienne vie, elle n'avait que très peu fréquenté les mâles, et même les femelles n'étaient pas très présente à ses côtés. Il n'y avait eu que le loup alpha de sa meute natale qui lui avait inculquée les bonnes valeurs, sinon elle avait été une oméga quelque peu solitaire. Mais à présent, étant une tranquille dans le Kohinoor, elle semblait avoir trouvé une place qui lui convenait. Parfois accompagnée, parfois seule, cette situation lui seyait parfaitement.

- Tes yeux sont tout aussi magnifiques que ce que tu dis des miens, continua-t-elle en étant visiblement de plus en plus gênée par cette proximité qui s'installait entre elle et Marrok.

Non pas qu'elle aurait voulu partir, c'était bien le contraire. Toutefois, elle n'oubliait malheureusement pas le poids que représentait sa meute dans cette relation qu'elle entretenait avec le mâle. Il y avait là quelque chose d'inquiétant, notamment si les chaleurs décidaient de faire leur apparition. Enfin, Huyana ne voulait pas le quitter, mais c'était compliqué. Les circonstances ne permettaient pas d'idylle, et la chose ne lui plut pas du tout. Elle décida donc d'ignorer purement et simplement la présence de sa meute pour ce moment qu'elle passait en compagnie du mâle. Elle voulait en profiter, d'autant qu'elle ne savait pas si elle le reverrait un jour, mais elle l'espérait fortement.

En marchant, la fourrure des deux loups se frôlaient, parfois même s'entremêlaient dans de gracieux mouvements. Et chaque contact faisait imperceptiblement frissonner son échine, ce qui poussait ses lèvres à se décorer d'un sourire. Son regard ambré, quant à lui, évitait à présent celui du mâle sans pour autant totalement rejeter le fait de plonger dans ses yeux de temps à autre. Il fallait dire qu'il était magnifique, autant au niveau du visage qu'au niveau du regard. Il avait réussi à briser une première barrière de la demoiselle, à savoir sa méfiance envers lui. Mais pourrait-il lui faire avouer son attirance physique pour lui ou cela se ferait-il dans un mutisme total ?

La louve grise n'avait pour le moment jamais confondu attirance physique et amour, elle préférait laisser les autres se morfondre s'ils se trompaient. A elle, le choix ne s'était pas encore posé. Refuser ou accepter des sentiments dont elle n'était pas encore totalement consciente aurait été deux piètres options en sachant qu'elle ne se voyait pour le moment pas encore accompagnée par un mâle. Et puis, Marrok devait avoir un statut plutôt haut dans la hiérarchie de sa meute, chose qui lui empêcherait d'avoir une quelconque aventure avec Huyana. Il devait avoir des femelles en vue, ou des demoiselles qui demandaient ses services afin d'avoir une progéniture. Elle connaissait bien le rôle des mâles dans un clan, et ici cela ne lui plaisait pas. On put le voir à la manière dont ses sourcils inexistants se froncèrent au-dessus de ses yeux ambrés. Il fallait absolument qu'elle surmonte cette espèce d'attirance malsaine qu'elle avait pour un membre d'une meute tout à fait différente de la sienne, au risque de passer pour une traite aux yeux de son alpha. Toutefois, inconsciemment, ce fut une succession de plans tous plus incroyables les uns que les autres qui apparut. Pour voir Marrok, elle devrait faire attention à ce que son odeur ne reste pas sur son pelage, ou tout du moins pas trop souvent. Il allait falloir qu'elle brouille les pistes lorsqu'ils se verraient. Rien que de penser à tout ça faisait monter la nervosité de la femelle qui paraissait à présent tendue.

- En fait, je n'avais jamais vu un lieu aussi beau, lui répondit Huyana qui était visiblement éblouie par la clarté obscure que dégageaient les gemmes de cette grotte. Si ma meute n'attendait pas ma présence, je serais bien restée ici toute ma vie.

Elle vit le mâle s'asseoir entre deux pierres plus grosses que les autres, juste en face d'elle. Ainsi, pour lui donner cette réponse, ce fut son regard ambré qui fut obligé de se lever. Elle s'assit à son tour en enroulant sa queue autour de ses pattes antérieures, histoire de paraître la plus détendue possible. Mais cette attitude n'était là qu'un vulgaire mensonge car elle n'était pas aussi calme qu'elle y paraissait. Intérieurement, la femelle était une vraie boule de nerfs qui menaçait d'exploser au moment présent. Il fallait à tout prix qu'elle se calme ou bien le stress allait lui faire faire des choses regrettables.

Huyana, quant à elle, hésitait encore. Mais dans la vie sauvage, il n'y avait pas trente-six solutions. Les décisions devaient être prises rapidement, il fallait être sûr de soi. La demoiselle vit bien que cette attirance était réciproque, et elle n'avait pas l'intention de décevoir Marrok. Elle voulait bien mettre de côté ses principes en meute pour pouvoir être à ses côtés, mais à la seule condition de pouvoir lui faire entièrement confiance. La demoiselle n'avait pas envie de se retrouver trahie, voire même salie, ce qui serait pire encore. Elle voulait d'une relation durable et stable, car elle ne faisait pas partie de ces femelles mi-louves, mi-catins. Elle était entière et authentique, alors mieux valait l'accepter comme elle était. Malgré sa position relativement neutre, on pouvait voir le trouble dans lequel étaient noyées ses prunelles. Et si Selene venait à apprendre cette relation entre elle et un mâle d'une autre meute, que se passerait-il ? Elle n'en savait rien, et elle préférait ignorer cette option tant qu'elle le pouvait encore.

- Que veux-tu me dire ? Lui demanda finalement Huyana qui n'aimait pas tourner autour du pot lorsque quelque chose était à dire, elle préférait qu'on le lui dise de vive voix.

Toutefois, elle ne broncha pas lorsque le mâle vint s'asseoir encore plus près d'elle, de manière à lui donner un affectueux coup de langue sur l'oreille. Ce geste donna lieu à une implosion assez gigantesque entre ses neurones et elle fut incapable de dire un mot de plus. Sa tête vint se lover sous celle du mâle en un élan de tendresse visible.