Soldats de l'Amitié

Au milieu de scouleurs chatoyantes des gemmes multicolores, une fourrure effleurait les paroies parées d'éclats aussi fugitifs qu'appréciables. En ces temps de guerre, chacun se devait d'être aussi discret et vigilant que possible. L'animal qui troublait le repos du refuge n'avait aucunes difficultées à rester attentif ; en réalité, c'était plutôt ne pas remarquer ce qui se tramait dans ses alentours qui lui était une épreuve.
Mais ses talents malheureusement limités ne s'étendaient pas à la discrétion, et Ysmir grimaça lorsque ses pattes cliquetèrent sur le sol rocailleux. Il avait encore beaucoup à apprendre pour être un parfait soldat.

En vérité, il n'était pas un guerrier. Juste un loup aussi amical que désespérant, aussi doué pour la surveillance que maladroit à en mourrir. L'animal n'était pas impressionant, avec sa petite taille, sa fourrure grise et fauve un peu assombrit par la poussière d'Annalee, ses yeux noisettes incertains et quelque peu joueur.
Pourtant, il continua d'avancer, goûtant avec plaisir à la plaisante fraîcheur régnant en souveraine dans les souterrains. Le loup des forêt avait un mal fou à s'adapter à la vie dans les territoires infernalement chauds, et profitait donc au maximum de cette bienfaisante sortie.

Mais néanmoins dangereuse. Car Iselwyn et Sarkan, s'il n'était pas encore officiellement en guerre, risquait de partir dans un affrontement aussi sanglant que déchirant. Ce qu'il ne souhaitait pour rien au monde... Hélas, la Lune-Corbeau, l'étrange phénomène décrit par Morpheus, l'étrange animal aux prunelles enflammées, décidaient pour eux.
Il était vexé, puisque son libre arbitre lui était confisqué, au même titre que celui de ses Alphas, Cherokee et Moonlight.

Ysmir s'arrêta un instant, au bord de l'eau. L'étendue miroitante reflétaient d'une manière merveilleuse les pierres précieuses, et magnificiait encore la beauté à la fois brute et délicate, sauvage et délicieuse, qui caractérisait la Grotte aux Gemmes. Un sourire aux lèvres, il baissa son museau pour étancher sa soif.
Alors qu'il buvait tout son soûl, un mouvement dans l'obscurité attira son implacable attention. Il se raidit, plus que jamais aux aguets. Malgré tout, il ne parvint à déterminer si l'objet de son attention n'était qu'une simple branche malmenée par les courants d'air, ou un ennemi prêt à lui sauter dessus...

Il ne voulut pas prendre de risques, et ne fit pas un pas envers l'animal potentiel. Mais il resta à l'affut, attendant un moment propice pour...
Brusquement, il bondit, si vite que le suivre des yeux fût une exercice ardue. Il atterit plus ou moins agilement - c'est à dire qu'il chancella et manqua de s'étaler par terre-, et dévoila ses crocs sur une terrible réplique :
"Salut ! Tout va bien ? Tu t'appelles comment ?"

Le loup, l'oeil brillant mais un peu craintif, se tenait bien droit, une lueur rieuse dansant dans son regard noisette et doré, et fit frétiller sa queue de joie à l'idée de rencontrer une autre personne. Il renifla devant lui, intrigué.
"Il y a quelqu'un, au moins ? Je ne parle pas à un mur ?" s'inquiéta-t-il bien légitimement.
Après tout, la dernière fois, il avait eu peur de l'ombre d'une chouette lors d'une chasse avec Syliah. La louve n'avait rien dit sur le moment, mais il sentait que l'évènement risquait de faire jaser...

De l'ombre sortit un parfait inconnu à Ysmir, qui l'étudia avec attention. Le poil clair, un air débonnaire, des yeux brillant d'une lueur que le loup connaissait bien : la même lueur amusée brillait dans son propre regard noisette. Il se raidit pourtant : l'animal portait l'odeur d'Iselwyn ! Comme pour confirmer ses pires craintes, son interlocuteur lança un peu réglementaire :
"Yoi ! La forme et toi ? Moi c'est Bliss d'Iselwyn, le seul l'unique !"

L'animal hésita un instant. Depuis l'annonce de l'affrontement, il imaginait les loups d'Iselwyn comme des guerriers immenses, vaguement monstrueux, plein de rage et d'envie de sang.
Celui qu'il avait sous les yeux semblait détendu, amical, et dépourvu d'aura impressionante. Même les femelles de sa meute étaient plus impressionantes.

Mais son hésitation ne dura qu'un instant, le naturel revenant toujours au galo p:
"Yep !" acquiesça-t-il, malgré tout toujours sur ses gardes."Moi, c'est Ysmir, sentinelle d'Annalee.""
Il crut utile d'ajouter fièrement, en bombant le torse :
"Et le meilleur des surveillants !"
Il vouluy un peu crâner et se hérissa pour paraître impressionnant, tentant d'opposer à l'animal un regard altier et calme, qui le faisait un peu loucher.

"Au fait." ajouta-t-il ingénument."Je crois qu'on va bientôt être ennemis, non ? Donc on fait quoi ? On se combat tout de suite ?"
Il adopta une moue un peu dubitative, et dévoila sans vergognes ses babines sur un énorme baillement : la guerre, si peu intéressante !

La plaisanterie fit rire Ysmir, qui jeta un regard éloquant à son nouvel ami.
"Oui, deux beaux gosses comme nous, on doit faire chavirer bien des coeurs !" lâcha-t-il en souriant.
L'animal vint lui toucher la fourrure et, après un bref sursaut, le loup mâle fut intrigué.
A la provocation, il jappa joyeusement et se lança à la poursuite de son compagnon.

Tout en faisant écho aux gloussement de son camarade, le loup eut une accélération de vitesse et parvint à hauteur de l'animal. Souhaitant montrer ses talents, et pris de pitié pour l'animal qui, bien sûr, ne courrait pas aussi vite que lui (  ), il lança :
"Eh, ça gaze ? Le premier arrivé là-bas a gagné !"
Il eut une fulgurante poussée de vitesse et, transformant le trappe-trappe en course, atteignit la paroi.
Il oublia juste une chose.

Freiner.
Il dévia heureusement pour ne pas heurter de plein fouet la protubérance rocheuse, et finit il ne sut comment dans le lac, les quatre pattes en l'air, la fourrure mouillée et éternuant à cause de l'eau dans ses narines.
"Zut !" cria-t-il, vexé.

Ysmir contempla d'un air outragé son nouveau meilleur pote se gondoler joyeusement par terre, apparemment très amusé par ses frasques et mésaventures.
"Arrêtes, tu ressembles à un vers de terre !" répliqua-t-il, vexé.
Mais sa rancune ne dura pas, et bientôt un magnifique sourire apparut sur ses canines. Le mâle rigola volontiers avec le loup d'Iselwyn.

A la plaisanterie de son ami, il s'arrêta brusquement de ricaner et le contempla avec une jolie tête d'innocent, un sourire taquin sur les lèvres.
"Et si tu jugeais par toi-même ?" répliqua-t-il d'une voix ingénue.
Brusquement, Ysmir s'élança et saisit Bliss sans lui faire mal par la peau du cou. Il le tira dans l'eau et manqua de le noyer plusieurs fois en trébuchant. Quand enfin il le lâcha, il avait un beau sourire provocateur et s'assit dans l'eau, éclaboussant les horizons.
"Elle est bonne ?" s'enquit-il avec sérieux.
Mais la lueur brillant dans ses yeux noisettes démentaient ses propos calmes.

Ysmir évita moyennement les éclaboussures en poussant un jappement mi-outragé, mi-amusé. Pour riposter, il fit lui-même un magnifique plat près de Bliss, éclaboussant les alentours avec une magnifique harmonie.
Il était touchant de voir ces deux jeunes mâles, pourtant censés être ennemis, sinon rivaux, jouer ensemble comme des louveteaux élevés dans la même portée. C'était d'ailleurs ce que se demandait Ysmir.

Pourquoi n'ai-je jamais eu de frère comme lui ? se demandait l'animal, tout en jouant avec son compère.
Il n'en avait jamais eu, d'ailleurs...
Cette réflexion le fit s'arrêter un moment, et il s'assit d'un air sérieux qui ne le rendait absolument pas crédible.
"Pourquoi est-ce qu'il a fallu..."
Il s'arrêta en pleine phrase pour calculer mentalement son âge, ce qui lui enleva ce qui lui restait de crédit.
"... trois ans," reprit-il ensuite.", pour que l'on se rencontre ? Hein ?"

Il frissonna : et si l'animal ne ressentait pas ce que lui même ressentait en ce moment ? Qu'il... ne l'appréciait pas ? Le sang d'Ysmir se glaça d'horreur.
"Parce que moi, tu es mon meilleur copain..." balbutia-t-il pathétiquement.
Il baissa le museau en pensant qu'il ne connaissait même pas son nom.

Le réconfort que lui procura l'animal le rendit heureux au delà des mots, et il répondit au coup de langue par un affectueux coup de tête un peu trop vif. Une lueur taquine brilla dans son regard noisette.
"Oui, mais comme toujours il faut qu'il y ait un loup plus fort que l'autre... Et ça c'est moi !"
Pour plaisanter, il voulut sauter sur son compagnon pour lui fourrer la tête sous l'eau, mais sa fourrure alourdie de liquide et sa légendaire maladresse le fit trébucher, et ce fut lui qui s'étala sous l'eau, éclaboussant de plus belle son ami.

Il resta un moment sous l'eau, avant de ressortir de sous l'eau, affolé. Il pris une grande inspiration, avant de regarder son ami, vexé.
"Rigoles pas, ou je te... Ou je te..."
Il recracha en même temps de l'eau, transformant sa menace en une suite de gloussement semblables à ceux d'une pintade.

Ysmir n'eut que le temps de crier, tout en crachant ce qui lui restait d'eau :
"Eh, c'est pas du j..."
Mais, trop tard, son ami l'avait de nouveau plaqué sous l'eau.
Cela faisait tellement de fois qu'il se retrouvait dans cette situation qu'il ne comptait même plus. La prochaine fois, si des branchies lui poussaient dans le cou, il ne serait pas étonné. Les membres d'Annalee, en revanche, risquaient d'être plus qu'interloqués.
Et ce serait encore lui qui se ferait gronder. La vie était injuste.

Il poussa de toutes ses forces sur le sol marin, afin de dégaer son agressuer. Qu'est-ce qu'il était lourd ! Cette fois, cependant, il avait retenu sa respiration, et ce fut avec l'aisance d'un poulet dans de la mélasse qu'il réussit enfin à repousser Bliss.
"Pff... Pff..." souffla-t-il.
Brutalement, il se redressa, alarmé.
"Oh non ! J'ai oublié le rat !"

Initialement, le loup était venu pour capturer une proie pour ses camarades de meute. Mais voilà : il avait compris -ou crut comprendre- que les femelles de sa meute avaient une préférence pour les rats. Il avait donc gambadé jusqu'aux terres neutres, et la suite, vous la connaissez.
"Il faut que j'en attrape un !"
Il s'ébroua, sortit de l'eau, s'ébroua une deuxième fois et s'immobilisa, alerte.