[Jugé] Sublimer le mâle, savourer le mal

Avalée par les eaux de la Nerezza, Hécate perdit conscience. Toutefois, il semblait que ce n'était pas la fin pour elle. Elle surgit soudain hors de l'eau - hors d'une eau salée - et elle aspira l'air dont elle avait tant besoin à pleins poumons. Que s'était-il passé? Comment pouvait-elle se retrouver en pleine mer alors qu'elle avait été emportée par une rivière souterraine? D'ailleurs, la louve grise n'était pas en pleine mer. Elle se trouvait, au contraire, près du rivage - elle avait presque patte. La jeune louve de six mois s'avança vers la plage en agitant ses pattes de façon experte. Elle avait déjà eu l'occasion de nager pendant son enfance, et savait donc s'y prendre.

Complètement trempée, elle se hissa sur la berge sableuse. Malheureusement, ses épreuves n'étaient pas terminées, ce qu'elle comprit bien vite en constatant que cette plage n'avait pas plus d'odeur que la grotte dans laquelle elle s'était éveillée la première fois. La jeune louve gémit. Qu'est-ce qui l'attendait cette fois-ci?

De lourds nuages orageux menaçaient la plage, obscurcissant une scène de combat entre deux loups adultes. L'un d'entre eux sentait comme elle, c'était un solitaire, l'autre venait de la meute du sud... il ne fallait pas compter sur eux pour l'aider. Comme si elle serait aller leur demander de l'aide, à vrai dire... elle voulait surtout voir leur sang couler! La furie meurtrière qui s'était emparée de la louve ne s'était pas dissipée. Elle n'avait pas ses chaleurs, elle n'était pas mature, elle n'était pas adulte, mais elle voulait du sang! Hécate s'approcha des deux mâles en grondant.

Hécate n'avait rien entendu de la conversation entre les deux mâles, mais elle n'y aurait guère prêté attention si cela avait été le cas. Le nom de Luan l'aurait certainement fait réagir - en la mettant encore plus en colère à l'idée qu'il lui était arrivée du mal. Toutefois, ce désir de vengeance n'aurait pas subsisté bien longtemps dans son esprit au-delà des envies de meurtre supplémentaires qu'il aurait initié. Hécate aurait rapidement oublié la raison de cette rage, car vouloir défendre quelqu'un n'était pas un sentiment compatible avec son état d'esprit actuel.

La louve grise surveillait attentivement les deux mâles, incapable de se décider sur l'identité de celui qu'elle attaquerait en premier. Elle ne songeait pas au fait qu'elle avait bien peu de chances de s'en sortir, elle voulait juste sentir le goût du sang sur sa langue... la question de savoir qui attaquait demeurait, d'autant que ses deux adversaires étaient trop éloignés l'un de l'autre pour qu'elle puisse blesser les deux en même temps. Dans l'hypothèse improbable où elle en aurait eu les compétences, bien entendu. Le loup noir se mit à tourner autour de l'autre, ce qui poussa ce dernier à être pris en tenailles entre ses deux adversaires. Hécate se focalisa donc sur lui, le fixant de son regard vairon où brillait une dangereuse lueur de folie. Peu formée à l'art du combat, incapable de vraiment réfléchir dans cet état de fureur meurtrière, Hécate attaquerait simplement le plus proche, le plus accessible. Elle se précipita en grondant, un léger filet de salive gouttant au coin de ses babines. Toutefois, le loup noir avait agi avant elle et il se trouva à mordre la cible d'Hécate devant son nez. La louve grise, sans réfléchir, attaqua le loup noir, qui était désormais le plus à portée de crocs. Elle tenta de lui mordre la nuque, sachant qu'il s'agissait là d'un endroit sensible. Dans le même temps, ses griffes cherchèrent à assurer une prise sur les flancs du mâles, afin qu'Hécate puisse grimper sur son dos et le faire tomber à terre.

Le loup qui s'était, malheureusement pour lui, retrouvé sous le tas de poils que les trois adversaires étaient devenus, tenta de se dégager en agitant ses pattes dans tous les sens. Et, malheureusement pour Hécate, elle reçut un bon coup de griffe sur le crâne qui lui fit lâcher un petit couinement sous la douleur. Avant qu'elle ne puisse réellement prendre la pleine mesure de sa blessure, elle fut cependant jetée à terre par le loup noir, et vit tout son oxygène expulsé de ses poumons lorsque ce dernier tomba sur elle. Elle ne put rien faire d'autre que le lâcher, complètement sonnée.

Toutefois, elle sentait le goût du sang sur sa gueule et cela lui procura un plaisir immense; elle avait hâte de recommencer!

La louve grise se releva en secouant la tête, projetant des gouttelettes de son propre sang un peu partout. Respirant l'air béni profondément, elle voyait quand même encore quelques petits points noirs. Heureusement, le loup noir ne l'avait pas poursuivie et elle eut donc le temps de s'en remettre. Elle se remit à gronder, incapable de se décider sur celui qu'elle allait attaquer désormais. Le loup noir était loin, prêt à se défendre, donc a priori une cible plus difficile. Cependant, elle avait commencé à l'attaquer lui... Et Hécate était du genre extrêmement obstiné, à tel point que même dans les rares cas où elle changeait d'avis, elle refusait d'admettre qu'elle avait jamais eu un avis différent. C'est pourquoi la louve grise bondit à la suite du loup noir, ses oreilles plaquées en arrière, déterminée à goûter son sang à nouveau. Après quelques foulées gracieuses, la jeune louve tenta de mordre le museau du loup noir, un peu comme elle l'aurait fait face à un daim ou un cerf pour l'empêcher de respirer tout en lui infligeant une douleur non négligeable.

Hécate ne remarqua pas le départ du loup qui s'était plus ou moins allié avec elle. Bien entendu, ce n'était pas une alliance à proprement parler, simplement ils avaient la même cible voilà tout. La louve grise avait raté son attaque, mais ses mâchoires s'étaient refermées sur l'une des oreilles du loup noir. La femelle n'hésita pas et serra aussi fort qu'elle le put, tentant de déchirer et d'arracher l'oreille tant qu'elle y était. Malheureusement cet acharnement ne lui permit pas de déceler l'attaque du loup noir et celui-ci parvint à la mordre à la gorge. Une douleur vive, dévorante, s'empara du cou d'Hécate, qui commença à voir trouble.

Il semblait que sa carotide n'avait pas été touchée ou seulement très peu, car elle n'en mourut pas - du moins pas immédiatement - et était toujours consciente. néanmoins l'hémorragie était très importante et sa mort n'était, a priori, plus qu'une question de temps... à moins d'un miracle.

Hécate lâcha sa prise, incapable de savoir si l'oreille avait cédé ou si ses crocs s'étaient affaiblis, et elle s'écroula. Elle sentit à peine les attaques suivantes du loup noir, perdue dans un brouillard de souffrance. Le noir l'emporta alors qu'elle fermait les yeux.