Mélancolie. - Asak.

Mélancolie.

Assise à l'entrée de la Percée de Gethin, Jill regarde d'un oeil absent la neige qui tombe. Cela fait déjà une bonne heure que les flocons tourbillonnent et tapissent le sol de blanc. La petite louve noire s'est réfugiée dans l'étroit passage de Khthonia afin de bénéficier du calme qui s'y trouve, et pour se protéger de la neige. Cela fait maintenant si longtemps qu'elle n'a plus vu que cette immaculée blancheur, qu'elle commence à aspirer au retour du printemps. Jill se souvient de son égarement total, une fois arrivée sur Sarkan. L'hiver était déjà à la porte de l'île, alors qu'elle-même venait d'un pays où l'été tirait vers sa fin. Depuis, les paysages d'Iselwyn sont blancs, et jamais une touche de couleur ne vient égayer leur morne teinte opaline.

Jill a envisagé de se promener pour la seconde fois dans les boyaux de Khthonia. Néanmoins, cette idée a vite été chassée de son esprit. Elle n'a, tout compte fait, pas envie de se balader dans les multiples tunnels, uniquement pour voir la Nerezza, cet affreux lieu sur lequel elle a ouvert les yeux. La petite louve noire, récemment, s'est aventurée dans Khthonia, et tout était si silencieux, si fragile, si solennel. Elle y a croisé la jeune coyote, Sorrow, et elle ne tient pas à renouveler l'expérience. Être simplement à la Percée de Gethin lui convient. Tout ce qui importe, c'est la tranquillité du lieu.

Jill contemple la danse folle des flocons, et ses pensées s'égarent, l'emmènent loin de Sarkan, loin de la prison encerclée par la mer, qu'il est impossible de quitter. Elle pense à sa meute, à ses trois enfants. Que sont-ils devenus, en sept mois ? Ils ont un an, en théorie. Ils sont devenus grands. Et leur mère n'a pas pu les voir grandir, elle n'a pas pu s'émerveiller sur leurs changements, ni dire qu'est-ce qu'ils ont changé ! avec une expression presque horrifiée sur le visage. Malgré elle, la petite louve noire s'interroge, se demande si Orphali, Charon et Pan se souviennent d'elle, ou si au contraire son image s'est dissipée dans leur mémoire. Elle se demande à quoi ils ressemblent. Si Orphali est toujours la meneuse de la petite troupe. Si Pan a toujours ce sourire un peu niais plaqué sur la figure. Si Charon baisse toujours les yeux d'un air coupable lorsqu'on s'adresse à lui.

Et, pour la énième fois, Jill songe qu'elle ne saura jamais passer à autre chose, que même si elle parvient à vivre jusqu'à quinze ans, la douleur sera toujours là, en elle, et que jamais elle ne saura en guérir. Ni la gentillesse des loups d'Iselwyn ni les plantes d'Yluziah n'y changeront rien - et ce constat lui est affreux.