A piece of my broken soul - Prio Pandore

Keelin avait mis bas environ 4 mois plus tôt. Depuis la naissance de celle qu'elle avait nommé Pandore, comme celle ayant ouvert la boîte de tous les malheurs selon un loup conteur itinérant qu'elle avait croisé, Keelin avait tout fais pour l'enfermer et éviter qu'elle se promène. Les séances de nourrissage étaient réduites au maximum afin de ne pas être en contact trop longtemps avec cette chose. D'ailleurs, le nom Pandore était venu après une ou deux semaines de désignation mentale par "Chose" ou "Machin".

Sa fille avait hérité de ce qui avait empêché Keelin de trop la nettoyer, la salive acide. Ses tétines en avaient subi les frais. Même si elle avait souhaité la nettoyer, elle aurait irrité la peau jeune de l'animal, qui se retrouvait donc poussiéreux mais tout de même pas crotté. Ou rarement. Car il n'y avait plus un seul doute : Ce n'était pas un louveteau. Mais étant louve européenne, les coyotes lui étaient inconnus. C'était donc une chose improbable, et pas loup, qui lui était sorti du bide.

Au bout de presque 4 mois, elle avait compris que l'instinct était plus fort chez la gamine et qu'elle allait forcément vers l'extérieur. Elle mangeait de la viande que Keelin avait gardé de sa chasse sur le Kohinoor. A présent, elle allait devoir aller chasser. Cette idée même la rendit anxieuse. La neige était partout.

Elle marchait donc d'un pas mesuré en direction de la zone basse et craquelée d'Api Bara en compagnie de la mioche. Pandore. Il fallait qu'elle s'en débarrasse...

Pandore... Pandore. La petite coyote suivait sa mère avec empressement, ses pattes frêles et encore si peu musclées la retardant beaucoup. Pandore était le fruit de tous les malheurs sur terre...
Dès sa naissance, Keelin lui avait d'ailleurs bien fait sentir ce qu'était une mauvaise mère, une mère malaimante... Ce qu'était que d'être une erreur de la nature, un croisement rejeté de tous...

Pandore trottinait le plus vite possible, tête et queue basse comme à son habitude. Elle n'avait jamais ri, n'avait jamais ressentit ce qu'était le plaisir de se sentir désirée, aimée. Non... Elle était une anomalie. Elle était seule au monde et le resterai toute sa vie...

- Maman, heu... Keelin, pardon... Attend moi, j'ai mal aux coussinets...

Sa petite voix fluette du tout jeune animal empli l'air un instant, avant de retomber.

Keelin soupira. A chaque fois que Pandore ouvrait la gueule, le rugissement du père envahissait son esprit. Elle s'arrêta donc, sans la regarder d'abord, puis tournant son regard dans sa direction, acquiesça brièvement.

"Ok, on fait une pause."

Elle vit alors, à nouveau, la totalité du tableau. Elle avait fait une fausse couche avant d'arriver sur Sarkan. Ici, elle avait été violée et tout instinct maternel avait été annihilé face à cette graine du viol. Pandore n'avait rien demandé, certes, mais c'était physiquement impossible pour Keelin n'être affectueuse avec elle.

"Demain, je vais devoir partir chasser. Tu ne pourras pas venir avec moi, la zone est trop dangereuse et les meutes n'apprécieront déjà pas que moi j'y sois. Tu resteras sur Neona."

Bien sûr, dans l'esprit de la solitaire rousse, les idées et possibilités dansaient une gigue ininterrompues.

Soulagée d'avoir enfin une pause, la petite boule rousse aux fines pattes noires s'assit dans l'herbe gelée par les températures extrêmement basse régnant sur Néona. Par -3 degré, la petite avait du mal a conserver sa chaleur corporelle malgré sa fourrure duveteuse, et elle tremblait de froid. Elle éternua, petit bruit aigue perdu dans le souffle de la brise omniprésente, et alla se blottir contre sa mère pour récupérer un peu de sa chaleur. Elle avait froid, elle avait faim, elle était mal-aimée et épuisée.

- Je pourrai aller avec toi et apprendre... fit la petite chose d'une voix tristounette. Tu ne fais jamais rien avec moi... Et puis... Tu m'as dis que l'eau entourait l'ile souvent et que c'était dangereux... Qu'il n'y avait rien a manger ici... Je fais comment moi, si l'eau t'empêche de revenir me donner à manger ?

A quatre mois, la petite Pandore faisait déjà preuve d'une logique implacable. Elle voulait tout savoir du monde qui l'entourait, même si les réponses qu'elle obtenait étaient plutôt rares...

Keelin fut tentée de l'attraper par la peau du cou et l'envoyer valser, mais elle en était incapable. Entre n'avoir aucune affection pour son gamin et l'envoyer s'ouvrir le crâne, il y avait un pas.

- Tu as déjà eu les insectes et tout ça pour apprendre. Et les feuilles, les flocons. Je t'ai vue leur courir après. Chasser, c'est pareil. Tu attends, tu traques, tu te précipites et tu mords. Ta salive fera le reste, la plupart du temps de toute façon. Tu mords et tu attends que l'animal meure d'infection et c'est bon.

Elle soupira et regarda la petite dans les yeux.

- L'eau autour de l'île va et vient régulièrement. Ca s'appelle la marée. Elle monte, elle descend, elle monte, elle descend. Donc quand tu vois qu'elle est là à la plage, suffit d'attendre qu'elle soit basse. Mais si tu la vois basse et que tu traverses, tu peux être coincée et te noyer.

Keelin observa le sol, craquelé, noir. C'est vrai qu'ici, il n'y avait rien à manger. Rien du tout. Au moins, sur le continent, on trouvait des poissons, parfois des carcasses.

- Si tu me vois pas revenir dans deux jours, ne m'attends plus et traverse. Je serai soit dans une situation délicate, soit coincée par la neige quelque part. Pas un drame.

Pandore frissonna et baissa la tête. Elle se sentait triste, trahie, abandonnée. La petite coyote était loin d'être bête... Sa mère ne reviendrait pas, elle l'avait compris au délais qu'elle lui avait demandé de respecter avant de quitter Neona et au ton qu'elle avait employé.

Pour Keelin, Pandore n'était qu'un boulet, qu'un poids mort, qu'une épine dans la patte. Plus vite elle parviendrait à se séparer de la petite, plus rapidement elle serait libérer de cette entrave indésirée. Et la petite rousse le vivait mal... Très mal.

Tout au fond d'elle, Pandore sentit une colère sourde monter. La fureur et le dégoût inondait tout son corps, brûlant ses veines et aveuglant ses pensées. Elle haïssait les loups... Tous autant qu'ils étaient ! S'ils étaient tous comme sa mère, elle les détestait du plus profond de son petit coeur délaissé.

- D'accord, soupira d'une voix sourde. Je t'attendrai ici pendant deux jours.

Mais la petite n'en croyait pas un mot. Dès que sa mère aurait tourné les talons, elle la suivrait discrètement pour rejoindre une terre plus adéquate à sa survie et elle ferait en sorte de ne plus jamais croiser le chemin de sa génitrice.

Keelin hocha de la tête.

- Ca vaut mieux comme ça. Là bas, il fait non seulement froid mais la famine est abominable.

Sous entendu : Tu ne tiendrais pas la route. Et Keelin le pensait. Pandore ne tiendrait pas la route, la seule raison pour laquelle elle ne lui avait pas encore dit d'aller se faire voir sur le passage entre les îles à marée haute.

Personne ne connaissait l'existence de Pandore, elle ne l'avait dit à personne, même si Moonlight et Abyss savaient qu'elle avait été violée par Draugluin.

- J'y vais.

Pas d'au revoir, ni d'adieu, Keelin se mit à trottiner, son estomac grondant douloureusement dans son abdomen, en direction de la plage et du passage vers Sarkan.