See my grin ?

Revenant de Neona, Draugluin se sentait d'humeur franchement lubrique. Croiser un mâle à ce moment là lui aurait déplu... Et il avait senti une odeur de femelle portée par le vent. C'était court, mais il s'était mis dans l'idée de la trouver. Quadrillant Annalee, il pensa même que ce n'était qu'une vieille trace...

Jusqu'à ce que des corbeaux croassent non loin de là et s'envolent. Ce n'était peut-être pas à cause d'une quelconque femelle, mais cela le mit sur la piste. Il en était devenu impatient. S'ébrouant, se donnant un air encore plus rustre, Draugluin se dirigea vers la plaine. Le soleil était inexistant sous ce ciel lourd de nuages gris et la brume légère montant du littoral.

Un temps parfait pour sortir de la brume, telle une vison hallucinée.

Moïra était nerveuse, bien que cela ne soit pas visible extérieurement. Elle avait toutes les raisons de l'être: louve d'Iselwyn, elle se trouvait sur les terres d'Annalee. Si elle rencontrait un loup de cette meute, elle allait avoir des problèmes. Bien sûr, la dominante était tout à fait prête à se défendre à coups de crocs, mais elle savait qu'elle serait moins efficace sachant son adversaire dans son bon droit. Elle n'était pas à sa place ici. En plus, il faisait assez chaud - pas encore assez pour que cela soit désagréable, mais suffisamment pour créer un léger mal-être. Et, pour ne rien arranger, l'aura qui se dégageait des lieux était assez angoissante. Tout le territoire de Sarkan semblait s'être couvert de cette atmosphère malsaine - cependant, la louve arctique ne put s'empêcher de se demander si, depuis quelques temps, ce n'était pas encore pire sur la plaine aux cerfs. En tout cas, elle était sûre que la terre d'Iselwyn qu'elle venait de quitter n'était pas aussi sinistre!

# Pourquoi suis-je venue ici, déjà? # songea la louve. # Ah oui, pour prendre des nouvelles de Plio... #

Plio était une louve appartenant à la meute d'Annalee. C'était elle que Moïra avait rencontrée en premier sur Sarkan, et elle s'était curieusement attachée à la louve du sud. Mais la louve arctique n'était plus si sûre de vouloir la retrouver. Bon sang, il y avait des corbeaux partout! Moïra lâcha un grondement à l'encontre d'une poignée d'entre eux, qui s'envolèrent. Bien fait! Qu'ils aillent au diable! Et comme si ces satanés oiseaux de malheur ne suffisaient pas, la brume semblait s'être décidée à envahir aussi la plaine. Une sourde inquiétude montait dans le coeur de la louve, elle elle plaqua ses orreilles en arrière, de plus en plus mal à l'aise. Elle se refusait à employer le mot peur, pourtant c'était bien là l'origine de l'accélération des battements de son coeur.

Mais qu'est-ce que c'était que ça? Une sorte de boule orange avec des feuilles vertes... non, plusieurs! La louve arctique n'avait jamais vu ce genre de plante auparavant. Soudain, elle se souvint des rumeurs qu'elle avait entendues sur la présence d'un loup monstrueux sur Sarkan, dont l'arrivée était supposée être accompagnée de phénomènes étranges en tout genre... mais ce n'était pas possible! Ou peut-être que si? Moïra s'arrêta, puis pivota vers un point qui semblait plus sombre que le reste du paysage noyé dans la brume...

Les citrouilles étaient comme des rochers colorés dans tant de nuances marrons, or et jaune, rendues ternes dans la brume. Une forme blanche était plus loin et Draugluin se dirigea vers elle sans hésiter. C'était une louve. Une louve blanche, comme les deux saillies sur les terres des neiges dernièrement. Il ne s'attendait pas à voir une arctique si bas.

Vous savez ce qu'on dit ? Jamais deux sans trois.

Cette femelle pourrait bien être la troisième arctique portant un rejeton de Draugluin. Le noir et le blanc allaient si bien ensemble... Il sortit de la brume sans faire un son.

Ce mâle à l'apparence infâme, poils hirsutes et ternes, crocs trop gros pour sa gueule et yeux écarlates, s'avança vers la louve. Elle était seule. Elle était "vide". Coup double.

Moïra n'arrivait pas à en croire ses yeux. Devant un se tenait un loup noir tout simplement monstrueux. Ses yeux étaient d'un rouge sang absolument terrifiant, et ses crocs si gros qu'ils dépassaient de sa gueule. Il avait l'air de sortir tout droit d'un cauchemar. Et il venait à sa rencontre!

# Les rumeurs étaient vraies! # songea la louve, affolée.

Il fallait qu'elle fuie. Fuir! Elle n'avait aucun espoir de l'emporter à un tel démon! Sans parler de l'emporter, elle n'avait même aucune chance de mener un combat digne de ce nom! Mais ses pattes refusaient de bouger, mis à part suite aux tremblements qui parcouraient tout son corps. La louve plaqua ses oreilles en arrière et montra ses crocs dans un grondement sourd, tentant désespérément de se donner suffisamment de courage pour s'en aller de là. Mais même cet acte de rébellion était rendu dérisoire, pathétique même, par la comparaison entre la dentition de la louve et celle du mâle. Ses crocs avaient juste l'air ridicules à côté! Le loup noir était tout proche, désormais. Moïra gronda de plus belle mais tout le reste de son corps la trahissait, paralysé par la terreur qui embrumait son esprit comme son coeur.

" Dégage! " dit-elle en tentant de paraître menaçante, mais ce ne fut qu'un couinement ressemblant fort à une supplique qui sortit de sa gueule.

Pourvu qu'il parte! La louve espérait qu'il allait simplement s'en aller, car elle ne doutait pas une seconde que dans le cas contraire, elle mourrait!

Décidément, les blanches du coin, à part peut-être une, étaient des pugnaces. Et c'était vraiment le pied, même si elles avaient parfois tendance à penser qu'elles pouvaient faire le poids. Elles ne pouvaient pas. Vivre avec l'humiliation les brisait. C'était comme détruire à petit feu.

A sa demande, il répondit par un rugissement, gueule grande ouverte, montrant son arsenal dégouttant de salive et où on pouvait encore voir un peu de sang dilué. Son rugissement roula dans sa gorge et fut projeté vers la louve, comme on enverrait un missile. Ses yeux rouges lançaient des éclairs de rage, comme si un démon dansait derrière ces vitres brillantes. Son poil collé par endroit, noir comme le charbon, se gonfla autour de son collier.

Il se mit à marcher d'un pas décidé, lançant cette fois ci un bref son à mi chemin entre le grognement et l'aboiement rauque d'un molosse. Il ne prit même pas la peine de chercher à lui faire face. Il voulait la blesser, tout de suite. Il voulait la faire se recroqueviller, des nuits loin de là, repensant à cette forme se dirigeant sur sa croupe pour la salir à jamais et planter en elle la semence d'un Monstre.

Moïra se recroquevilla de terreur lorsque le monstre rugit, dévoilant non seulement ses crocs immenses mais aussi projetant des filets de salive mêlés de sang. Comment une chose aussi terrible pouvait-elle exister? Perdant toute envie de lutter, submergée par l'effroi et l'horreur de cette situation cauchemardesque, la louve s'aplatit au sol, priant pour que sa mort soit rapide. Car il n'y avait réellement rien d'autre à faire. Le monstre semblait en colère, et très déterminé - à quoi? Sans doute à déchirer sa chair entre ses crocs.

Cependant, le monstre abominable ne s'en prit pas à elle - du moins pour l'instant. Au lieu de lui sauter à la gorge, il la contourna - sans pour autant s'éloigner. Désormais, il était derrière elle. Mais que voulait-il? Qu'allait-il lui infliger? Cette approche n'était pas sans lien avec celle d'un mâle attiré par les chaleurs d'une louve, mais les chaleurs étaient finies! Il ne pouvait quand même pas songer à se reproduire, si? En tout cas, Moïra était bien trop terrorisée pour oser remuer ne serait-ce qu'un poil. Et, d'une certaine façon, elle se disait qu'il s'il voulait se reproduire, ce serait un très mauvais moment à passer, mais sans suite, puisque les chaleurs n'étaient pas là... elle ne pourrait pas avoir de petit, n'est-ce pas? N'est-ce pas?

Le mâle aux yeux fous s'imposa au dessus d'elle sans plus d'attente. Il la prit à la nuque et non seulement à la peau du cou - cette femelle des terres des neiges l'avait rendu plus hargneux - menaçant ses vertèbres.

Il fit tout pour l'obliger à s'offrir, usant de la même technique qu'avec les autres. C'était parfois plus amusant de les saillir, parfois de leur craquer le cou. Mais la mort des plus pugnaces était moins marrante. Moins satisfaisante.

Draugluin serra la mâchoire. Un grondement monta de sa gorge. Dès qu'elle céderait, si elle le faisait, il se ferait un "plaisir" de lui faire comprendre qu'il était plus grand, plus gros et surtout bien moins gentil qu'elle.

[Si tu veux lancer le dé après ça, tu peux.]

Moïra sentit le mâle l'attraper à la nuque, sans se contenter de serrer sa peau mais en mordant carrément son cou. La louve gémit de douleur, son coeur battant la chamade dans son poitrail. Elle ne doutait pas une seconde que si elle refusait de se soumettre, elle pouvait dire adieu à la vie. L'étau des mâchoires du terrifiant loup noir se resserra et la louve arctique céda, le laissant faire ce qu'il voulait. Quel autre choix avait-elle? Ce ne serait qu'un mauvais moment à passer, se répétait-elle sans se douter que cela durerait bien plus longtemps que cela.

La louve arctique sentit une douleur vive la transpercer lorsque le mâle se mit au travail et elle serra les crocs. Ceci était sa deuxième saillie, mais elle présentait un contraste saisissant avec la première, faite de douceur et d'amour. Chacun des mouvements du monstre était une souffrance, et une souffrance double puisqu'à la douleur physique s'accompagnait un traumatisme moral. Elle se sentait sale, comme si elle trahissait la mémoire du loup qu'elle avait aimé.

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'Rejeton de Draugluin' :
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Draugluin acheva sa petite besogne, une vraie promenade de santé. Il se remit donc sur la terre ferme de ses quatre pattes et se retourna, bien décidé à repartir en direction des terres de la forêt pour voir où en étaient les ouailles qu'il n'avait pas rencontré.

Des femelles, peut-être ? Ou un mâle un peu trop imbécile, comme le louveteau des souterrains.

Il s'en lécha les babines et marcha d'un pas décidé en direction de la frontière.

Enfin, c'était fini. Le loup monstrueux s'en alla, probablement satisfait de lui. Oreilles plaquées sur son crâne, mâchoires serrées, Moïra resta couchée sur le sol pendant un bon moment. Toujours tétanisée malgré le départ de l'abomination - ainsi que l'allègement de l'atmosphère, qu'elle remarqua à peine - elle n'arrivait tout simplement pas à trouver le courage de se lever. Une heure, peut-être deux s'écoulèrent ainsi, la louve blanche ne pouvant s'empêcher de frissonner de temps à autre. Puis la louve arctique prit ne profonde inspiration et, lentement, se remit sur ses pattes. Tête basse, queue repliée entre ses pattes arrière comme il ne lui était plus arrivé depuis un très jeune âge, elle entreprit de retourner vers la meute d'Iselwyn le plus rapidement possible. Elle parvint à se mette à courir, puis à galoper à toute vitesse vers le sud. Elle n'était pas près de remettre les pattes sur les terres d'Annalee, Plio ou pas Plio! Toutefois, elle se sentait soulagée de penser qu'elle ne risquait pas d'être pleine de ce monstre, puisque les chaleurs étaient passées. C'était peut-être la seule chose qui l'aidait à tenir le choc. Elle allait bien vite déchanter...