Feuille d'ivoire [Libre]

Sevuk avait fini par craquer. Depuis qu'il avait entendu parler de Neona, il n'avait qu'une idée en tête : l'explorer ! D'après les récits qu'il avait pu glaner à droite et à gauche, cette petite île était vraiment unique. Elle unissait le blanc et le noir. Deux couleurs bien distinctes et caractéristiques du Bien et du Mal. Alors, il avait patienté jusqu'à la marée basse. Après être arrivé sur la plage, il avait continué son petit bonhomme de chemin. Il avait traversé une étrange grotte recouverte d'immenses racines. Au milieu de cette cavité, il avait eu droit à un face à face avant une créature très grande, accompagnée d'un loup. Naïvement, il avait tenté de discuter avec eux. Mais comme il n'avait jamais eu de réponse, il avait fini par comprendre que ce qu'il voyait n'était pas vivant. Troublé, il avait quitté précipitamment le lieu. Et sa course l'avait conduit jusqu'ici, sur cette falaise.

Il s'avança vers l'un des arbres blancs et s'arrêta dessous. Ainsi, abrité par ce feuillage, il pouvait calmer sa frayeur. A part sa couleur peu ordinaire, cela restait un arbre. Un végétal tout simple qui faisait parti de son cercle sûr d'amis. Les plantes n'étaient jamais trompeuses une fois qu'on avait fait connaissance avec elles. Blotti contre le tronc, il put à loisir observer les alentours. Des arbres et de la roche constituaient le paysage. Son flair ne lui apportait aucune odeur spécifique. Sevy leva la tête vers le sommet de son protecteur. Il se demandait si ces feuilles pouvaient avoir des vertus médicinales. Malheureusement, elles étaient hors de sa portée. Alors, il se mit sur ses quatre pattes et commença à faire le tour des autres arbres. Avec un peu de chance, il pourra trouver une feuille abandonnée au sol.

La pierre blanche sur laquelle Huyana posait ses pattes lui renvoyait la clarté d'un soleil qui ne semblait jamais faiblir, cela brouillait sa vue mais ne lui déplaisait pas. Ainsi, elle avait l'impression de ne plus être dans le monde réel mais dans une autre dimension, là où les sentiments n'existaient pas, là où le désespoir n'avait pas sa place. En s'éloignant de sa meute aussi longtemps, l'odeur du Kohinoor avait lentement disparu, ne laissant alors que la trace des effluves de là où elle venait. L'espionne autrefois respectée n'était plus qu'une goutte d'eau dans un océan de songes, marée basse dans son esprit, cela la laissait réfléchir. Toutefois elle ne trouvait pas de solution à son trouble, rien ne lui indiquait comment réagir, de quelle manière elle pouvait surmonter les épreuves que lui imposait l'existence.

En silence, ses pattes se posaient sur la surface pierreuse de la falaise Tuncay. La brise marine ébouriffait son pelage devenu terne, même l'éclat de malice qui avait autrefois brillé au creux de ses iris s'était éteint. On ne percevait que le désespoir de l'être qu'était Huyana, la tristesse d'une louve qui avait cru bon de croire aux propos d'un mâle qu'elle ne connaissait pas. Finalement, elle s'arrêta près d'une faille qui parcourait le flanc de la falaise et s'y glissa. Le soleil cognait contre son visage lupin aux traits curieusement tirés par une indicible fatigue, laissant ses plaies encore ouvertes se vidaient du pus qu'elles contenaient. Le spectacle d'une demoiselle dans cet état n'était pas des plus gais, il fallait l'avouer.

Une légère brise apporta une odeur particulière à son museau. Intrigué, Sevuk s'immobilisa et prit une grande inspiration pour mieux analyser cette senteur. L'effluve de sang et de maladie percuta ses narines. Quelqu'un était blessé ! Un futur patient en perspective ? Il fronça les sourcils et mit de côté sa recherche de feuille. La vie était plus importante que la curiosité. La tête haute, son regard orange inspecta les alentours. Il ne vit rien d'étrange. Alors, il confia à son flair la mission de trouver le propriétaire des blessures. Le nez rasant le sol, il marcha à travers les petites roches. La piste olfactive le conduisit devant une faille. Un coup d’œil à l'intérieur confirma qu'il s'agissait bel et bien de l'abri du malade. Le mâle observa le corps meurtri. Comment une femelle pouvait-elle être dans un tel état ? Surtout que cette demoiselle ne lui était pas totalement inconnue. Sous la couche d'odeur du pus, il avait reconnu celle d'Huyana. Une louve des terres enneigées. Bien qu'il n'eut jamais de contact direct avec elle, il n'avait pas oublié son effluve. C'était un membre de sa meute et naturellement, il souhaitait l'aider. Il prit sa voix la plus douce.

"Huyana ? Je suis Sevuk, un membre du Kohinoor. J'aimerai te venir en aide. Tu ne devrai pas rester là. Ces parois rocheuses sont mauvaises pour tes blessures. Il y a des arbres pas loin. Tu seras mieux sous l'un d'eux, à l'ombre."

Elle perçut l'odeur d'un membre du Kohinoor, chose qui la fit devenir méfiante, voire même agressive. Ses oreilles se plaquèrent contre sa nuque et un grondement sortit du fond de ses entrailles. Elle en venait à se méfier de ses congénères depuis que Selene l'avait chassée de la meute, elle était à présent en exil même si elle tentait de se forcer une place dans une autre harde. Si elle se souvenait bien, l'être qui vint à sa rencontre se nommait Sevuk, il était guérisseur. Cela expliquait sa présence ici puisque certaines plantes ne poussaient que près de la falaise, chose relativement impressionnante lorsqu'on voyait dans quel habitat la verdure grandissait. Huyana posa un regard inquiet sur le mâle qui s'était présenté à elle afin de l'aider, toutefois elle n'avait aucune confiance en lui. La manière avait laquelle il lui parlait semblait vouloir dire qu'il n'était en rien conscient de ce qui s'était passé entre elle et Selene. Elle aurait pu en jouer, mais sa folie n'atteignait pas encore ce qui lui servait de franchise.

- Pourquoi veux-tu m'aider ? Siffla-t-elle sans l'ombre d'un regret quant au fait d'envoyer balader quelqu'un qui aurait pu lui venir en aide. Je ne suis plus du Kohinoor, tu n'as rien à gagner en faisant en sorte que je vive.

Huyana était couchée, bien loin de la louve qu'elle avait été auparavant. On sentait chez elle le doute ainsi que la peur, mais surtout la rancune qu'avait généré la réaction de Selene à son égard. L'idée de vengeance avait commencé à germer dans son esprit, mais pas suffisamment pour qu'elle la mette en œuvre. De toute façon, son état ne lui permettait aucune chose.

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