Des souvenirs plein la tête

Le soleil était en train de se coucher sur l'île Néona. Ses rayons teintaient d'orange le blanc crémeux de la Falaise Tuncay, créant des ombres étranges et démesurées à chaque fois qu'ils rencontraient un obstacle sur leur chemin. L'un d'entre eux était un coyote roux, à l'air perdu dans ses pensées, qui marchait près du bord de la Falaise en regardant droit devant lui. En contrebas la mer s'écrasait sur le pied du monstrueux amas de calcaire, dans un grondement qui présageait fort bien de ce qui arriverait s'il dérapait et tombait dans les flots - en assumant qu'il ne se retrouverait pas embroché par les rochers.

Toutefois, Seirei connaissait ces lieux par coeur et il n'avait pas besoin de regarder où il mettait les pattes pour ne pas tomber. Il était ici chez lui... et, dans ce qui semblait être une éternité, chez Sorrow aussi; Sorrow, la première coyote qu'il ait jamais rencontrée, dont il était tombé amoureux, et qui avait disparu du jour au lendemain... c'était elle qui avait creusé la tanière où le coyote de trois ans dormait. Elle l'avait invité à la partager avec elle, et ils avaient ainsi vécu ensemble pendant plus d'un an - et, aujourd'hui, elle n'était plus là. Seire ignorait ce qu'elle était devenue, et craignait fort qu'un loup n'ait mis fin à ses jours. Nombreux étaient les représentants de cette espèce à haïr les coyotes sur cette île, tout cela parce qu'une stupide déesse aurait dit qu'ils étaient maudits! Seirei n'y croyait guère, même s'il lui arrivait de se poser des questions.

En tout cas, la vie des coyotes n'avait rien d'agréable, et ils n'avaient d'autre choix que de se terrer.

Je me suis allongé la journée, à l'orée d'une grotte, pour reposer mon corps fatigué. J'ai perdu en endurance depuis que je mange peu. Cela se voit sur ma carrure dont le squelette saillant roule sous ma chair. J'ai perdu tous ce poids suite à des problèmes. Je dirai même que je suis peut-être atteinte de maladie, mais cela ne me rend pas handicaper. La preuve, j'ai décidé de gravir cette falaise aux roches blanches. Je me suis assoupi dans une crevasse qui s'est formé avec le temps dans la pierre, donnant une petite grotte pour se protéger du soleil. Mes yeux ambres ont rejoint le ciel qui aborde un crépuscule magnifique. Il s'étend au loin sur l'océan et baigne de ces couleurs oranges la falaise. C'est joli, ici. Ô misérable que je suis, je commence à me plaire sur cette île alors que j'ai tout perdu. Mon ancienne meute, dirigée par mon fils. D'ailleurs, ils ont tous disparu. Je n'ai croisé aucune silhouette familière. Je perds espoir de les retrouver un jour.. En tout cas, j'essaie de positiver et de me dire qu'on m'a offert des vacances. Le vent se lève avec le coucher du soleil, rafraichissant l'atmosphère. Il faut que je me décide à bouger d'ici. Je me dresse donc sur mes quatre pattes, engourdies par le temps passé allongée. Je quitte donc la crevasse pour m'avancer du bord. Mon regard subit une attraction par le vide. Je fixe l'océan se déhanchant à quelques mètres sous moi. Une danse rythmée qui ne donne pas envie de sauter, de peur de dériver sur les gros rochers. Ce serait la mort absolue. Je me surprends à penser à cela, sachant que je ne suis pas suicidaire. Je retire difficile mes yeux du précipice pour les poser sur le point culminent de la falaise. Allez, je prends la marche pour continuer à grimper par une pente abrupte. Difficilement, mais je parviens au sommet. Le souffle court, je halète pour récupérer plus rapidement. Ce n'est plus de mon âge. Ma voix claque à travers le bruit océanique des vagues qui s'échouent contre les rochers un peu plus bas. La solitude va finir par me coûter, je commence à me parler moi-même.

Seirei s'arrêta net en apercevant une silhouette lupine. Il y avait de nombreuses différences entre la silhouette d'un coyote et celle d'un loup: le premier avait des oreilles relativement plus grandes par rapport à sa tête, un museau plus pointu, une queue plus fournie, et une taille bien plus petite. Il n'y avait donc aucun doute sur l'espèce de l'individu qui se tenait au sommet de la falaise. Seirei plaqua ses oreilles en arrière dans un signe clair de méfiance, et tout son corps se tendit en préparation d'une éventuelle fuite.

« Qui es-tu? » demanda le coyote, sur ses gardes.

Sa tanière ne se trouvait pas très loin d'ici, et il avait peur de ne pouvoir y retourner tant que l'inconnu serait sur place; peut-être même la louve avait-elle déjà découvert son lieu de repos... Seirei remarqua qu'elle était plutôt maigre, mais même ainsi il ne pouvait pas espérer la vaincre. Elle était bien plus grande que lui, après tout. Les yeux chocolat du coyote détaillaient la femelle, inquisiteurs, cherchant la moindre indication qu'elle pourrait devenir agressive. Il ne l'avait pas entendue se parler à elle-même.

La solitude me ronge, j'ai peur que ma lucidité prenne un coup par la folie dévastatrice. Je pourrai intégrer une meute, sur cette île, mais je n'ai confiance en personne. À vrai dire, je n'ai croisé pas grand-monde. L'avantage d'un solitaire et le fait que j'accepte ce statut, c'est ne pas être muselé par des lois que les alpha ont décidé. J'ai assez donné dans une meute, alors je préfère encore me parler à moi-même. Mon esprit capricieux coule dans le torrent de ma mémoire qui a la fâcheuse tendance à me montrer des souvenirs, la plupart du temps néfastes. Je commence à avoir des spasmes, la respiration qui accélère. Je me pensai seule quand une voix me tire de mes pensées. Dieu merci, je suis sauvée grâce à ce coyote dont mes yeux ambres se délectent. D'ailleurs, il m'a surpris sans forcément au point de faire un bond de trois mètres, mais simplement le cœur qui tambourine légèrement. Je n'ai pas senti son odeur, comme quoi j'étais partie loin dans ma tête. L'océan agité a masqué ses bruits de pas. Je me mets à humer l'air. Il n'a pas la marque propre aux lupins niveau effluves corporelles. Je me mets à juger sa carrosserie de mon regard attentif. Il est typé comme les coyotes que j'ai pus croiser durant mes cinq ans d'existence. Ils ne sont pas nombreux. J'ai du en voir un, voire deux, dans ma vie. Je ne connais presque rien sur eux, mais ce n'est pas pour autant que j'ai de l'animosité pour cette espèce. En tout cas, il se méfie de moi et j'esquisse un sourire amusé tout en dévorant la distance qui nous sépare. Mes yeux ambres se sont installé dans son regard. Je le fixe tandis que mes pupilles se dilatent. Je n'entends plus les vagues, je me fous de l'environnement puisque toute mon attention est portée sur lui. J'hésite à jouer de sa méfiance envers moi. Après mûres réflexions, je décide de coucher mon jeu comme au poker. C'est ton territoire ici ? C'est vrai, en y repensant, ça puait le coyote là où j'ai dormi. Je soutiens toujours son regard, captant la moindre réaction chez cette connaissance. J'aurais pu me détourner de lui et tracer ma route, mais sa boite charnelle semble retenir en prison quelque chose qui titille ma curiosité.

Le coyote se hérissa lorsque la femelle s'approcha de lui. Il ne recula pas, levant la tête pour regarder la louve droit dans les yeux, sa défiance et sa nervosité clairement visibles dans son regard. Toutefois, il n'était pas aussi nerveux que ce qu'il voulait faire croire. Il savait être en mesure de semer la louve si jamais il devait fuir, car il était certainement capable de la battre à plate couture en termes de vitesse. C'était le point fort de coyotes, et Seirei possédait en outre la capacité de brûler en une seule fois toutes ses réserves d'énergie pour courir encore plus vite. Leur proximité avec sa tanière était ce qui l'ennuyait le plus.

Bien entendu, cela voulait dire qu'il devait absolument rester sur ses gardes, car il ne pouvait pas se permettre d'engager un combat. La louve lui rendait son regard, fixant ses yeux des siens, tout en étant plus proche que le coyote ne l'aurait voulu; mais il était hors de question de s'avouer vaincu et de simplement reculer tant que tout cela n'était que des techniques d'intimidation.

« Oui, je réside dans le coin, » admit le mâle.

Il n'y avait guère de raison de le nier, son odeur était omniprésente. Le mâle se hérissa davantage, découvrant légèrement ses canines, lorsque la louve mentionna que l'odeur d'un coyote était puante. Non mais, elle s'était sentie? Les loups ne sentaient guère meilleur que les coyotes - après tout, ils appartenaient à la même famille, celle des canidés, et en plus avaient le même régime alimentaire. Les coyotes n'étaient en rien inférieurs aux loups! Seirei estimait que le seul point fort de l'espèce lupine était sa taille et son nombre. Un jour il y aurait assez de coyotes pour changer la donne, mais pour le moment ils étaient tellement en sous-nombre que c'en devenait comique.