Délivrance

coyote

[Je me permets de répondre, j'espère que ça ne te dérange pas. c: ]

Délivrance.

Moïra & Jill.

Jill ignore ce qu'elle fait à la Tanière Forestière. Enfin, si, bien sûr, elle sait qu'elle y erre par désoeuvrement, parce qu'elle fait partie de la meute d'Iselwyn depuis quelques jours. Pourtant, elle n'en est pas vraiment heureuse, cela ne l'avance pas à grand'chose. Avec un soupir, Jill songe pour la énième fois qu'elle aurait dû rester solitaire. Mais elle a bêtement préféré intégrer la tribu, sans avoir beaucoup réfléchi, parce que sur le moment, cette option lui avait semblé bonne. Elle n'a pas subi énormément de changements bénéfiques depuis lors. Jill y pense avec accablement, tandis qu'elle arpente avec lenteur la Tanière Forestière. Bientôt, elle s'arrête devant l'endroit précis où elle a rencontré Yluziah, il y a peu de temps mais tellement à la fois. Jill se détourne vite dudit lieu, parce qu'il est pour elle lié à ce que lui a dit Yluziah : il n'y a aucun moyen de revenir à autrefois. Il n'y a pour Jill aucun espoir de retrouver ses enfants.

Cela aussi, elle se l'est ressassé des milliers de fois. Néanmoins elle ne pourra jamais l'accepter. Jill se l'affirme, et à cet instant, elle perçoit des halètements. Cela lui fait prendre conscience qu'elle n'est pas seule, et aussitôt elle se met à humer l'air froid en espérant reconnaître l'effluve qui vient à sa truffe. Mais elle ne connaît personne de la meute Iselwyn, tout juste Dyniya et Yluziah, et bien sûr elle ne sait pas identifier l'odeur qui flotte dans la Tanière. A la fois intriguée et apeurée par ces halètements, Jill s'approche un peu, avance doucement, se dit que peut-être il y a quelqu'un en difficulté à qui elle pourrait porter secours - bien qu'elle soit inculte en botanique et soit loin d'être guérisseuse.

A l'abri de la Tanière, Jill peut voir une louve blanche assez imposante, allongée sur le sol, qui vient visiblement de mettre bas. Jill est à la fois touchée et bouleversée par ce spectacle, auquel elle ne s'attendait pas le moins du monde. Elle hésite, puis s'approche encore, prudemment, l'échine légèrement baissée en signe d'infériorité, ainsi que pour prouver qu'elle ne cherche pas l'animosité.

Une fois proche de la nouvelle mère, Jill aperçoit le louveteau. Enfin, si tant est que c'en soit un. Prise d'une étrange curiosité, Jill bouge la tête pour mieux le distinguer. Un louveteau ? Bizarrement, elle n'en est pas certaine. Elle s'apprêtait à dire une banalité gentille à la nouvelle mère, par exemple "félicitations" ou "quels beaux bébés", mais ici rien ne semble convenir, et Jill reste silencieuse, captivée par l'enfant qui n'est pas un loup.

[ Pas du tout, c'est même tout le contraire! =D ]

« Bonjour, »

« Je suis Moïra. Et toi? »

Délivrance.

Moïra & Jill.

Jill voit un sourire amical naître sur le visage de la louve blanche ; en un sens cela l'étonne. Elle se serait plutôt attendue à un grondement menaçant, à un ordre de partir. Ayant elle-même accouché six mois auparavant, elle a connu la période de surprotection des louveteaux encore si dépendants, et en toute logique elle imaginait la louve blanche la repousser par instinct. Jill apprend de cette dernière son nom, Moïra. Elle devine que Moïra fait aussi partie d'Iselwyn, sinon pourquoi aurait-elle mis bas en ces lieux ?

Jill essaie de lui sourire également, mais bizarrement elle n'y parvient pas, esquisse à peine un mouvement des babines, c'est comme si elle n'en avait pas la force, sa tristesse reprend le dessus. Moïra lui a demandé son nom, elle répond simplement : « Jill. Je m'appelle Jill. » Elle aimerait s'en empêcher mais son regard est irrésistiblement attiré par le bébé de Moïra - mais est-ce vraiment le sien ? C'est une drôle de question que se pose Jill, cependant le louveteau est si peu semblable à sa mère qu'elle n'arrive pas à la chasser de son esprit. Pour s'en défaire, elle demande d'un ton mal assuré : « Tu as besoin de quelque chose ? Tu... Tu veux que j'aille chercher quelqu'un ? »

Jill est mal à l'aise, elle n'ose pas s'approcher davantage. Moïra semble exténuée par son accouchement et Jill se souvient de sa propre expérience. Elle ajoute : « C'est ta première mise bas ? » Tutoyer une louve dont elle connaît le nom depuis une poignée de minutes lui paraît étrange, mais si elles appartiennent au même groupe, sans doute est-ce préférable.

Moïra est elle-même un peu étonnée de la vitesse à laquelle elle a réussi à retrouver une attitude amicale - celle qu'elle veut afficher envers les membres de sa meute en toute circonstance. D'un autre côté, elle n'a pas voulu de ce petit... et bien qu'elle semble parvenir à surmonter le traumatisme engendré par la saillie du loup noir, il s'agit plus d'une façade que d'une réalité. Oui, elle est en mesure de laisser tout ça de côté pour se concentrer sur la meute d'Iselwyn, mais en dessous... les blessures n'ont pas fini de cicatriser, loin de là. Et, de ce fait, il y a une part d'elle-même - férocement réprimée car la louve arctique désire réellement ne pas renouveler l'échec de sa première portée - qui serait très satisfaite de voir le nouveau-né mourir. En tout cas, le résultat de tout cela est très certainement un instinct de protection un poil moins développé... et l'appartenance de l'autre louve à la meute d'Iselwyn était suffisant pour faire le reste.

« Enchantée de te rencontrer, Jill. » répondit simplement la louve arctique. « Je ne dirais pas non à quelque chose à grignoter, à vrai dire... mais sinon, je vais bien. Je suis juste épuisée. »

La louve blanche n'avait guère envie que toute la meute soit au courant du fait qu'elle avait donné naissance à un coyote. Bien que cela serait sans doute inévitable puisqu'elle allait l'élever. En y repensant, tous les loups de la meute ne connaissaient peut-être pas cette espèce... il y avait un nombre important de coyotes dans le nord de l'Amérique, et Moïra en avait de ce fait déjà croisé par le passé. Tous des pique-assiette...

« C'est ma deuxième mise-bas. Je pensais savoir à quoi m'attendre, mais je dois dire qu'un petit n'étant pas un loup a dépassé toutes ms craintes... »

La louve arctique frissonna, mais se reprit rapidement.

« Cela fait longtemps que tu es arrivée sur Sarkan? » demanda Moïra.

IL était important aux yeux de la louve blanche d'apprendre à bien connaître tous les membres de la meute, aussi se montrait-elle curieuse. Et puis, cela l'aidait à oublier le jeune coyote qui semblait sur le point de s'endormir contre son ventre.

Délivrance.

Moïra & Jill.

Jill sent une certaine gêne l'envahir quand Moïra lui fait part de son désir de grignoter quelque chose. « Je ne suis pas une très bonne chasseuse » s'excuse-t-elle d'un ton piteux, en désignant d'un vague signe du museau sa patte arrière tordue. L'instant d'après, elle regrette sa remarque, parce que cette dernière lui semble mesquine, voire même avare. Jill se passe nerveusement la langue sur les babines pour les humecter, ce qui est un tic nerveux qui lui revient fréquemment. Elle est soulagée que Moïra se remette à parler, lui disant avoir déjà eu une portée, mais qu'un petit n'étant pas un loup a dépassé toutes ses craintes. Jill se retrouve à nouveau sans savoir quoi dire.

Qu'est-ce qu'il convient, en effet, de répondre à une affirmation pareille ? Jill l'ignore. Malgré elle, elle regarde l'enfant de Moïra, un enfant qui n'a pas sa place parmi les loups, c'est ce que pense Jill, et c'est une pensée si affreuse qu'elle tente de la chasser. Un déluge de questions se forme dans l'esprit de Jill, elle voudrait demander à Moïra qui est le père, si elle croit que ce louveteau qui n'en est pas un devrait vivre, si elle pense pouvoir lui offrir un avenir, si on l'acceptera à Iselwyn, et comment explique-t-elle une chose aussi repoussante et incompréhensible que de mettre au monde un être qui n'appartient pas à l'espèce de ses parents - en supposant que le père soit un loup ? Cependant Jill opte pour se taire, parce qu'elle sent que ses interrogations sont cruelles, pourraient blesser Moïra, que suite à cela cette dernière pourrait cesser d'être aimable, serait outrée, fortement agacée, et qu'elle lui distribuerait une parole aigre ou un coup pour qu'elle se taise, qu'elle arrête de la tourmenter.

Alors, tout ce que Jill parvient à bafouiller est un : « C'est... C'est incompréhensible. » Elle lève brièvement les yeux vers Moïra, elle lui lance un regard désolé et se détourne vite. Jill décide de se concentrer plutôt sur la première phrase de Moïra, celle où elle déclare avoir déjà eu le ventre rond. Avec espoir, Jill s'exclame : « Tu as déjà été mère ? Et tes enfants, où sont-ils ? » Elle a l'infime espoir que Moïra a elle aussi été séparée de ses louveteaux suite à son apparition sur Sarkan, mais qu'ensuite elle a réussi à les retrouver. Elle l'espère tellement. Si tel événement a pu arriver à Moïra, pourquoi pas à elle ? Et même si Moïra n'a pas pu être de nouveau avec ses enfants, au moins Jill et elle seraient-elles unies dans le même malheur, celui d'avoir perdu leurs louveteaux, d'ignorer où ils sont, et de vivre chaque jour avec cette douleur au coeur.

Peu après avoir posé l'une de ses questions, Jill perçoit, à une trentaine de mètres, le léger chant aigu d'un oiseau. Bien que ce soit une maigre proie, elle s'éloigne un peu pour la traquer, après avoir indiqué son intention d'un signe de tête à Moïra. Jill parvient à avancer doucement, discrètement, avec lenteur, jusqu'à être proche du coin de terre où l'oiseau sautille. Par une chance rare, qui ne reviendra pas souvent, elle réussit à coincer rapidement le petit oiseau entre ses pattes avant, après lui avoir sauté dessus. Malgré qu'elle soit une louve fort mince, même amaigrie, sa masse suffit pour briser les os de l'animal et le tuer. Jill le prend délicatement dans sa gueule et revient auprès de Moïra. Elle-même a grand'faim, mais l'oiseau brun ne suffirait jamais à les nourrir toutes les deux. Résistant à l'appel du ventre, Jill s'approche de Moïra, dépose la proie morte tout près d'elle. Ainsi, elle peut apercevoir le petit coyote blotti contre sa mère, et cette vision la fait reculer de deux ou trois pas.

Jill s'assied, ramène sa queue contre son corps pour avoir moins froid. Elle se rend compte que Moïra lui a demandé depuis combien de temps elle vit sur Sarkan, et elle murmure : « Une dizaine de jours. Je crois. » Jill sent sa gorge se nouer. Dix jours, même sans doute plus, qu'elle n'a plus vu sa fille et ses deux fils. Sans l'avoir désiré, elle ajoute : « J'ai été séparée de mes enfants. Je ne sais pas ce qu'ils sont devenus. »

Jill s'excusa de ne pas être une très bonne chasseuse, tout en désignant sa patte tordue. Moïra ne l'avait jusque-là pas remarquée. La louve arctique se demanda alors si Jill n'était pas tout simplement une oméga, avec une telle blessure permanente c'était une possibilité à ne pas négliger. La femelle blanche n'avait que mépris pour les oméga qui s'étaient retrouvés à se poste par incompétence ou faiblesse de caractère; en revanche elle n'avait aucun problème avec ceux qui étaient utiles à la meute. Par exemple, elle savait que la guérisseuse de la meute, Yluziah, était oméga. Il ne lui viendrait jamais à l'idée de la dénigrer à cause de son rang, parce qu'elle était d'une aide précieuse pour Iselwyn. En fait, seuls les loups qui ne contribuaient en rien à la survie et à la prospérité de la meute l'insupportaient. La louve arctique était toujours très tolérante envers ceux qui faisaient de leur mieux, et implacable envers ceux qui n'étaient que des fardeaux sans intérêt.

En tout cas, Jill avait l'air gênée. C'était sans doute à cause de cet événement incroyable, un coyote né de deux loups... elle-même naviguait depuis un bon moment dans les eaux tranquilles de l'état de choc. Son calme apparent était surtout dû au fait que son esprit refusait d'accepter la réalité afin de la protéger. Avant que la louve arctique ne puisse répondre à Jill, celle-ci s'en alla. D'abord surprise, Moïra suivit du regard la direction indiquée par l'autre louve et vit à son tour l'oiseau. Elle comprit que Jill allait tenter de l'attraper. La femelle sourit, quelque peu réconfortée par cette marque de soutien. Elle ne s'était pas attendue à ce que Jill fasse l'effort d'aller chercher à manger. Et la louve parvint à tuer l'animal, qu'elle ramena ensuite non loin de Moïra. Celle-ci perçut le mouvement de recul de Jill à la vue du coyote, chose dont elle ne blâmait pas l'autre louve: Moïra savait qu'elle aurait sans doute elle-même mal réagi si leurs situations avaient été inversées.

« Je ne suis pas non plus très douée à la chasse, » avoua la louve blanche. « En tout cas, merci. »

Moïra dévora approximativement la moitié de l'oiseau, ce qui ne lui prit pas beaucoup de temps. Il ne s'agissait pas d'un animal bien gros, mais cela suffit à calmer sa faim légère, d'autant que le nouveau-né avait arrêté de téter. La louve arctique poussa le reste de l'oiseau vers Jill, du bout de son museau:

« Prends le reste, tu as l'air d'avoir aussi faim. Même si ce n'est pas suffisant pour apaiser un estomac en colère, c'est mieux que rien. »

Puis la louve entreprit de répondre aux autres questions de Jill.

« Je ne comprends pas non plus comment un coyote a pu naître de deux loups, mais cette île est déjà pleine de choses étranges... je suppose que ça en fait une de plus. J'ai déjà été mère, j'ai eu deux louveteaux, deux mâles. Mais mes enfants sont morts peu avant que je ne me réveille sur Sarkan; car je n'ai pas réussi à les élever seule après la mort de leur père... pas assez de proies, trop de prédateurs ravis de tomber sur un jeune loup ne bénéficiant pas de la protection d'une mère partie à la chasse... »

On sentait dans la voix de la louve arctique que cet événement lui était toujours très douloureux. Mais elle s'efforçait d'oublier, de passer à autre chose, et espérait que réussir à élever ce petit-là jusqu'à l'âge du sevrage lui permettrait d'être à nouveau en paix avec elle-même. Et ce, même si le petit était un coyote.

« J'ai bien peur que tu ne revoies jamais tes petits, » reprit Moïra d'une voix douce. « Personne n'a jamais quitté Sarkan. Mais je suis sûre qu'ils vont bien! Il n'y a pas de raison de s'inquiéter. »

Ou, plus exactement, cela serait inutile... Moïra n'avait jamais entendu parler de familles qui avaient été réunies sur Sarkan. Quand un loup se réveillait sur l'île, les chances que certaines de ses connaissances fassent de même étaient bien minces, voire tout simplement nulles.

Délivrance ?

Moïra & Jill.

Jill regarde Moïra manger avec, malgré elle, une pointe d'envie. Sans doute Moïra s'en est-elle aperçue, car bientôt elle pousse ce qu'il reste de l'oiseau vers la petite louve noire, en l'autorisant à achever ce repas. Jill étant tout de même assez fière de son coup et de son geste de générosité, elle ne se fait pas prier pour attaquer les débris du volatile, après avoir adressé un regard reconnaissant à Moïra. Elle se met aussitôt à dévorer son maigre déjeuner avec un grand appétit. Elle-même ne se rendait pas compte qu'elle avait si faim, après les jours de jeûne et le froid qui stagne sur Iselwyn. Tout en mangeant, elle écoute Moïra lui parler de ses louveteaux. Outre l'improbable coyote - né, de façon vraiment folle, de deux loups - elle a eu autrefois deux fils. Lorsque Jill apprend leur mort, très jeunes, parce que leur père était mort lui aussi et que leur mère ne pouvait pas incessamment veiller sur eux, elle sent tous ses espoirs s'effondrer. Evidemment, elle ressent aussi de la peine pour Moïra, car elle croit comprendre qu'il n'y a rien de pire pour une mère que de perdre ses enfants.

Jill cesse de manger, le coeur soudain lourd. D'un oeil absent, elle fixe les quelques os épars, les plumes brunes et grises, répandus sur l'herbe. Elle a perçu dans la voix de Moïra son chagrin, sa douleur, et elle voudrait lui témoigner sa compassion, cependant elle ne sait pas comment s'y prendre. Finalement, Jill murmure : « Je suis désolée. » Elle ignore si c'est ce qu'il convient de dire. Sans le vouloir, elle voit le petit coyote, qui paraît dormir, blotti contre le flanc de sa mère. Il a l'air si petit, comparé à Moïra, songe Jill, et elle est surprise que cette phrase surgisse dans son esprit, comme ça, spontanément.

Moïra reprend la parole, elle dit à Jill qu'à son avis, elle ne reverra jamais ses enfants, car personne n'a jamais quitté Sarkan. Mais, selon elle, il n'y a pas lieu de s'inquiéter, et les trois petits loups se portent certainement bien. Même si le ton de Moïra est doux, et qu'elle essaie, en un sens, de réconforter Jill, cette dernière reçoit ses paroles comme un coup violent. Lentement, elle relève la tête et pose ses yeux dorés sur Moïra. Pendant un moment, elle est si horrifiée par la phrase j'ai bien peur que tu ne revoies jamais tes petits qu'elle reste muette. Ce n'est qu'après un instant qui lui semble long que Jill parvient à articuler : « Je ne vois pas comment tu pourrais le savoir. » Sa voix est basse et tremble quelque peu. Jill déglutit avec difficulté, bientôt la colère, la tristesse et le désespoir affluent en elle, elle voudrait hurler à Moïra non non non, ce n'est pas vrai, ce n'est pas possible, je ne peux pas les avoir perdus de cette manière, c'est faux, je dois bien les revoir un jour. Elle a envie de bondir sur la louve blanche pour la mordre d'avoir osé prononcer des mots aussi affreux, et en même temps elle voudrait pleurer avec elle, pleurer sur les enfants morts, disparus, arrachés.

Jill se détourne, elle reste assise, complètement embrouillée et perdue. Ses babines tremblent, elle murmure d'une voix cassée : « Je ne veux pas les perdre, ce n'est pas possible. » Brusquement l'oiseau qu'elle a ingurgité la dégoûte, elle se sent nauséeuse, elle voudrait être loin, n'importe où, loin du cauchemar qu'est devenu sa vie en dix jours.

Moïra comprit que l'autre louve compatissait à la perte de ses louveteaux. C'était un événement qui faisait toujours souffrir la louve blanche. Quelque part, elle se sentait moins seule, et cela la faisait se sentir mieux - tout en faisant aussi naître une certaine culpabilité pour être d'une certaine façon "réjouie" du malheur de quelqu'un d'autre. Bien sûr, elle se sentait triste pour l'autre louve, mais partager son malheur - même si Jill n'avait pas vu la mort de ses louveteaux, elle les avait "seulement" perdus - apaisait quelque peu la souffrance.

Elle se rendit compte également que ses paroles aux sujets des louveteaux de la louve l'avaient blessée. Moïra n'avait nullement eu l'intention d'aboutir à un tel résultat, mais il n'était pas bon non plus que Jill reste dans l'illusion qu'elle pourrait revoir ses louveteaux. Affronter la réalité était la première étape pour la surmonter; elle-même avait toujours un serrement au coeur en pensant à son compagnon et ses petits décédés, mais elle ne se noyait plus dans son chagrin comme à son arrivée sur Sarkan. C'était certes un étape douloureuse, mais nécessaire. Malheureusement. Du moins, c'est ainsi que la louve arctique envisageait les choses.

Moïra offrit un regard compatissant à Jill. Elle se serait bien levée pour aller la réconforter à coups de langues et de frottements de tête, mais le petit qui dormait contre elle l'en dissuada. Il faisait trop froid, et il était trop jeune, pour qu'elle le laissât sans protection physique.

« Je ne peux le savoir à coup sûr, seulement dire que personne n'a jamais quitté l'île, ni des connaissances ne se sont retrouvées sur Sarkan. Ce n'est pas parce que ce n'est jamais arrivé que c'est impossible, mais... » poursuivit-elle en conservant une voix douce. « Je suis vraiment désolée. »

La détresse de Jill la peinait considérablement elle-même. Moïra espérait que la femelle réussirait à surmonter ce terrible événement; elle aurait aussi aimé savoir comment l'aider. Des mots? Elle était bien placée pour savoir que cela ne suffisait pas, voire que cela vous replongeait dans votre chagrin. Une simple présence? Avoir un soutien était bien, mais cela aussi avait des limites...

« Si tes louveteaux ne sont pas seuls, ils s'en sortiront... même sans Sarkan, il est possible que vos chemins se soient séparés par la suite, à l'âge adulte. »

La louve arctique hésita un instant.

« Accepterais-tu de m'aider à m'occuper de mon petit? Toute seule, j'aurais bien du mal à assurer à la fois mes responsabilités envers la meute et envers lui... »

Elle ne pensait pas que le jeune coyote puisse devenir un substitut des louveteaux perdus de Jill - d'autant moins qu'ils ne sont pas de la même espèce - mais être occupée pourrait aider Jill à sortir de ses pensées moroses, à aller de l'avant. A voir que la vie continue.

[Je compte parfaitement répondre à ce RP, sans souci. Wink

Ca ne fait jamais que 3 jours que Moïra a posté en même temps. *^* ]

Délivrance ?

Moïra & Jill.

Jill a l'impression que plus les jours s'écoulent, plus elle s'enfonce dans le désespoir. Jusqu'ici, les trois louves avec qui elle a eu un réel contact, une discussion - Yluziah, Dyniya et à présent Moïra - lui ont toutes assuré la même chose : un retour en arrière est impossible. Aussi la petite louve noire commence-t-elle à visualiser l'île comme un enfer, une prison où elle aurait été emmenée pour purger une peine - sans savoir laquelle ou pourquoi. Jill n'a absolument pas l'espoir d'arriver un jour à s'acclimater à Sarkan. Par ailleurs, l'idée même d'essayer ne l'attire pas.

Moïra se dit à son tour désolée, elle ne précise pas pourquoi ; cependant Jill peut compléter à sa place : désolée pour tes louveteaux, désolée que nous soyons ici, désolée qu'un événement aussi fou et improbable ait eu lieu. Cela ne les console pas, aucune des deux, mais en même temps que dire d'autre ? Jill l'ignore elle-même, et elle choisit pour réponse le silence. Elle ne répond pas davantage quand Moïra évoque la séparation qui serait survenue avec ses enfants, une fois adultes. Elle hausse vaguement les épaules, en évitant de regarder la louve blanche en face d'elle.

Après une hésitation, Moïra demande à la petite louve noire si elle serait d'accord de s'occuper de son rejeton en tant que nourrice. Assez surprise sur le moment, Jill se redresse, penche un peu la tête pour mieux distinguer, endormi contre sa mère, la créature qui n'est pas un louveteau. Et elle tente de s'imaginer se chargeant de lui, lui parlant, le protégeant du froid, veillant sur lui, en attendant que Moïra revienne d'une chasse ou d'une patrouille. Mais elle n'y parvient pas. Non, Jill a beaucoup de mal à se voir s'occuper de cet être. De sentir son petit corps roux contre le sien, de humer son odeur qui a une nuance qui le différencie des autres louveteaux et le rappelle à son espèce - le coyote. Jill est prête à refuser.

Néanmoins la prière de Moïra résonne à ses oreilles : Toute seule, j'aurais bien du mal à assurer à la fois mes responsabilités envers la meute et envers lui... Moïra qui est aussi, en un sens, une mère éplorée. Moïra qui lui a donné la moitié de l'oiseau. Moïra qui, somme toute, a essayé de bien faire au sujet d'Orphali, de Pan et de Charon. Alors, Jill répond : « D'accord. Je t'aiderai à t'occuper de lui. » Mais l'on perçoit dans sa voix l'hésitation et une certaine réticence.

Elle n'allait pas accepter sa proposition. Moïra comprit que Jill ne l'aiderait pas à s'occuper de son petit. Cela se voyait à la lueur dans son regard, à son attitude hésitante. L'idée de prendre soin d'un coyote la repoussait. La louve arctique comprenait très bien ce sentiment, elle-même n'arrivait toujours pas à s'y faire. En fait, sans le fait que la perspective de nourrir et protéger un petit coyote ne soit considérablement plus agréable que la perspective de devoir faire la même chose avec un clone du père... Moïra l'aurait sans aucune doute beaucoup plus mal pris. Mais, en comparaison, cela paraissait un fardeau bien léger, vraiment.

Pourtant la réponse de Jill surprit la louve arctique. Car elle fut positive. Peut-être Moîra avait-elle simplement projeté son propre système de pensée sur l'autre louve. En effet, la Bêta n'aurait probablement pas eu le courage de dire oui, si leurs situations avaient été inversées... ou peut-être que si. La femelle blanche était prête à beaucoup pour sa meute, et pour les membres de sa meute par extension. Donc, elle aurait très bien pu serrer les dents et accepter de s'occuper d'un tel petit, pour la simple raison qu'elle ne pouvait laisser un autre membre de la meute dans le pétrin. Pour un coyote. Pas pour un louveteau qui aurait été la copie conforme de son géniteur.

« Merci, Jill, » répondit la louve blanche, sincèrement touchée.

On sentait une certaine réluctance dans la voix de Jill, mais qui n'aurait pas hésité? L'autre louve lui serait d'une grande aide, et peut-être que s'occuper du petit lui ferait prendre conscience que sa vie n'était pas finie, qu'elle pouvait avoir d'autres louveteaux. Un jour, elle aurait envie d'avoir à nouveau une famille. Du moins Moïra l'espérait. La louve arctique laissa ses yeux transmettre toute la reconnaissance qu'elle éprouvait envers Jill. Puis, avec un soupir, elle baissa les yeux vers le petit être blotti contre elle.

« Comment vais-je bien pouvoir te nommer, toi? » s'interrogea-t-elle.

Elle avait jusqu'ici soigneusement évité d'y penser. Un nom, cela aurait rendu ce futur petit bien trop réel. Mais, maintenant, il était là.

Délivrance ?

Moïra & Jill.

[Si la fin de ma réponse te déplaît, dis-le moi et je changerai. Huhu

]

Jill se sent gênée par la reconnaissance qu'elle lit dans le regard de Moïra. Elle n'est pas certaine de la mériter. Ne répondant rien à ses remerciements, elle se couche sur le sol gelé, à quelques pas de Moïra. D'un oeil absent, elle observe la louve blanche et son fils. Elle tente à nouveau d'imaginer ce dernier près d'elle, mais l'idée seule la répugne. Alors, finalement, Jill pose sa tête sur ses pattes avant, pour ne plus avoir l'attention attirée par le petit coyote.

Moïra brise le silence en demandant, plus à elle-même qu'à la petite louve noire, le nom qu'elle va attribuer à ce petit coyote. Bizarrement, Jill a du mal à imaginer un coyote, un nuisible portant un nom. Cela lui semble aussi absurde que de se mettre à baptiser les sangliers, les renards et les les daims. Pourtant, elle peut comprendre que Moïra veuille donner un nom à son fils. Néanmoins, cela ne chasse pas d'elle ce sentiment d'étrangeté, d'absurdité complète.

A ce moment-là, un souvenir lui revient en mémoire. Quelques jours après la naissance de leurs trois louveteaux, jugeant qu'ils étaient assez forts pour vivre et donc pouvaient recevoir un nom, Jill et le père de la portée s'étaient concertés pour savoir comment appeler qui. Vas-y, choisis lui avait dit Alcor, son compagnon. Moi, je n'ai pas d'imagination. La petite louve noire n'en ayant pas des masses non plus, elle avait assemblé les premières syllabes qui lui venaient en tête pour former les noms suivants : Orphali, Pan, Charon.

Pour son fils Pan, elle avait eu un moment d'hésitation, un nom s'était proposé à elle que, en fin de compte, elle avait rejeté. Il s'agissait de Seirei. Cela évoquait à Jill une plaine enneigée, traversée par un troupeau de caribous en migration. Mais elle avait au final opté pour Pan. Cependant, le nom lui revient à l'instant, et à tout hasard, elle propose à Moïra : « Seirei ? »

Sa voix est un peu endormie. Jill se concentre sur le choix du patronyme du coyote, pour éviter de sombrer à nouveau dans le désespoir.

Jill se coucha sur le sol, la tête posée sur ses pattes. Une posture détendue, malgré la gêne de la louve. Moïra se méprit, toutefois, sur l'origine de cette gêne: elle pensait qu'elle était réservée à son fils. Son fils... il avait besoin d'un nom. Elle allait vivre au moins quatre mois avec lui. Elle n'avait pas l'intention de l'aimer, mais elle prendrait soin de lui; il vivrait, il deviendrait adulte. Même s'il était d'une autre espèce. Même s'il était un coyote, espèce que la louve arctique ne portait guère dans son coeur. Il avait besoin d'un nom, car il avait droit à une identité. Elle devait lui offrir ce qui lui serait nécessaire.

Et puis Jill proposa un nom. Seirei. Pourquoi pas? La louve à fourrure blanche n'avait guère d'idées sur le sujet, son esprit était encore engourdi par le choc de la découverte de la nature de son fils. Seirei... cela sonnait un peu mystérieux, et c'était plutôt beau. Oui, c'était décidé, son fils porterait ce nom-là.

« Seirei, »dit la louve arctique. « Seirei. »

Elle répérait le nom pour mieux s'imprégner de sa sonorité.

« Oui, j'aime bien. Désormais, tu t'appelleras Seirei, » reprit-elle en donnant un coup de langue sur la tête du nouveau-né. « Merci, Jill. C'est un beau nom, et j'espère qu'il lui portera chance. »

Elle réussirait à le faire vivre, celui-là. Elle lui refusait le droit de périr, tout simplement.

Délivrance ?

Moïra & Jill.

Les oreilles de Jill se pointent vers Moïra, étonnée que cette dernière adopte le nom qu'elle a proposé. Elle songe au petit coyote, désormais nommé Seirei, et un drôle de sentiment de complicité s'empare d'elle. La petite louve noire se dit que cet individu - elle ne peut pas parler de lui en terme d'enfant - porte le nom qui aurait dû être attribué à son propre fils, et cela, en un sens, la bouleverse. Cela ne fait que deux semaines qu'elle est sur Sarkan, mais ses aventures ont déjà été bien riches. Et cela ne fait sans doute que commencer.

« Je suis contente qu'il te plaise » répond-elle à Moïra. Jill n'ose rien dire sur la dernière phrase de celle-ci : j'espère qu'il lui portera chance. Elle n'ose pas dire qu'elle ne voit pas en quoi le nom Seirei, même s'il évoque les caribous foulant la neige, dans une masse compacte en mouvement, pourra jamais porter chance à quiconque. En revanche, elle peut comprendre le besoin de mystification. Et puis, sur Sarkan, rien ne paraît impossible. Alors, pourquoi pas ?

[Fin du RP pour Jill. J'ai beaucoup aimé l'écrire ! Faire la ronde

]

Moïra offrit un sourire chaleureux à Jill. La louve arctique espérait que l'oméga allait trouver sa place dans la meute d'Iselwyn et sur Sarkan. En tout cas, elle avait sa sympathie, et la Bêta n'allait certainement pas hésiter à lui confier son fils le temps de ses rondes. Même si Jill ne l'apprécierai probablement jamais - sa propre mère ne le ferait pas - il ne courrait aucun danger avec elle.

Tout ceci avait épuisé la nouvelle mère. La naissance, le stress lié à l'origine du petit, le choc de la découverte de son espèce, la détresse de Jill vis-à-vis de ses petits perdus au-delà de la mer qui entourait l'île... Moïra n'aspirait plus qu'à une chose: dormir.

« Je vais me reposer un peu. Dans le cas où tu ne seras pas là quand j'ouvrirai les yeux, je te dis à bientôt. Et merci encore. »

Puis la louve arctique bâilla, et ferma les yeux. Presque inconsciemment, elle se replia autour de son petit pour lui procurer protection et chaleur; puis elle sombra dans le pays des songes.

[ Out, et ce fut un plaisir de RP avec toi ^^ ]